Cas d'école - Michel Hutt

Par Marie Kacher

Cas d’école, Michel Hutt
Editeur : Yves MichelNombre de pages : 230
Résumé : Au milieu du XXIe siècle, deux jumeaux plus rivaux que complices explorent ensemble le passé de leur mère, dans l’espoir de découvrir qui est ce père inconnu qu’elle a rayé de son existence quarante ans auparavant. Leurs recherches tournent à une véritable enquête. Chacun à sa manière, tous les membres de cette famille très étrange sont des « cas d’école », reliés par une caractéristique commune : ils ont été profondément marqués par leur éducation et leur parcours scolaire.
- Un petit extrait -
« À la récréation, je me suis fait allumer… Zorn m’a chopée et m’a entraînée dans un coin de la cour pour me passer un savon. D’après lui, il ne faut jamais admettre devant les élèves qu’on s’est trompé, sinon ils perdent toute confiance dans l’enseignant, qui ne peut plus être le « modèle fort » dont ils ont besoin. Je lui ai fait observer que je m’étais bel et bien plantée, et que ça se voyait à trois kilomètres que j’étais à côté de mes pompes. [...] Zorn m’a expliqué que dans ce cas, j’aurais dû dire que j’avais fait des fautes, exprès, « pour voir s’ils étaient attentifs ». N’importe quoi ! Et les prendre pour des cons, ça renforce leur confiance dans l’adulte, peut-être ? Pour moi, développer ce genre de mensonge est triplement grave : soit les gamins comprennent instantanément qu’on les dupe et ils sont écœurés, soit ils croient toute leur vie aux salades qu’on leur sert et on en fait des êtres naïfs faciles à manipuler, soit ils se « réveillent » un beau jour, après s’être fait balader des années. Là, ça fait super mal et leur confiance en l’autre (et dans l’institution !) risque fort d’être détruite à tout jamais. Tout ça pour ne pas reconnaître que tout le monde est faillible, les maîtres aussi bien que les élèves. »

- Mon avis sur le livre -
Face à la croissance exponentielle et ininterrompue de ma pile à lire, qui déborde désormais d’un peu partout dans ma chambre, il m’a fallu mettre en place une stratégie inflexible : derniers arrivés, premiers lus, véritable travail d’archéologie livresque pour atteindre progressivement les strates les plus profondes de cet abime d’achats frénétiques. Ajoutez à cela une alternance entre les services de presse et les lectures personnelles, et vous aurez un bon aperçu de mon fonctionnement actuel pour sélectionner mes prochaines lectures. Mais même sans cette organisation pour l’instant plutôt efficace, je dois bien admettre que Cas d’école n’aurait pas eu à patienter bien longtemps : trônant fièrement en haut de la pile ayant élu domicile sur le coin de mon bureau, il ne cessait d’attirer mon regard depuis son arrivée, et j’ai dû prendre sur moi pour ne pas envoyer valser ma lecture précédente pour m’y plonger aussitôt !
Depuis des années, Ermina n’a plus que des contacts intermittents avec son frère jumeau Félix, qui l’a toujours considérée comme une rivale et la jalouse farouchement, et complétement inexistants avec sa mère Isabelle, qui lui a clairement fait comprendre qu’elle ne sera de nouveau la bienvenue chez elle qu’une fois qu’elle aura « un mari et un vrai métier ». Mais après le décès de cette dernière, les deux jumeaux se retrouvent face à face dans la maison maternelle, et alors les langues se délient et les liens se renouent, progressivement, au fil des conversations. Après la trouvaille d’une valise scellée estampillée « à jeter telle quelle, ne pas ouvrir » - ordre qu’ils ne suivront pas, bien entendu -, Félix et Ermina découvrent une facette de la vie de leur mère dont ils n’avaient jamais soupçonné l’existence … et s’interrogent plus vivement que jamais sur l’identité de leur père, dont ils ne savent absolument rien.
Vous l’aurez compris, ce roman est avant tout une histoire familiale, une histoire basée sur les non-dits, les secrets, les mystères. A travers la lecture du journal intime de leur défunte mère, Ermina et Félix se rendent compte qu’ils ne connaissaient au final que si peu de choses d’elle … mais aussi que ce passé qu’Isabelle tenait tant à enfouir est peut-être la clé qui leur permettra de découvrir, enfin, l’identité de leur père qu’elle leur a toujours cachée. Chapitre après chapitre, les jumeaux se rapprochent de l’issue de cette enquête acharnée qu’ils mènent depuis leur plus jeune enfance, par des questions incessantes, par l’inspection infructueuse du livret de famille, par des visites à la maternité où ils sont nés, au rectorat … Et lorsqu’arrive enfin le moment fatidique, lecteur comme protagonistes restent complétement hébétés face au grandiloquent « Je suis ton père » qui surgit au détour d’une page. Petit moment de flottement dans mon cerveau : ai-je bien lu ? Comment cela est-ce possible ? Mais quelle sorcellerie est-ce-là ? Quelle révélation inattendue ! Ajoutez à cela le chapitre 18, burlesque à souhait, qui a fait bondir de joie la comédienne amatrice que je suis, et vous comprendrez que l’auteur nous offre ici un roman plein d’humour et de vitalité !
Mais Michel Hutt ne serait pas Michel Hutt s’il se contentait de raconter seulement une histoire et ne proposait pas à ses lecteurs un second niveau de lecture, bien plus sérieux. A travers cette histoire, il aborde donc l’épineuse question de l’éducation, qu’elle soit nationale ou parentale d’ailleurs. Par l’intermédiaire du journal d’Isabelle, c’est l’enseignement tel qu’il est aujourd’hui pratiqué qui se voit décrit, et croyez-moi le portrait n’est pas bien flatteur - bien qu’il soit malheureusement criant de vérité et qu’il semble complétement ubuesque par moment (depuis que je suis toute petite, je me dis que la logique de l’Education Nationale est tout sauf logique, justement …). Que ce soit du côté des élèves comme de celui des profs, l’épanouissement et l’enthousiasme sont loin d’être au rendez-vous … Pourquoi ? Et surtout, comment y remédier ? Voilà les deux grandes questions qui sont au cœur de ce récit, roman d’anticipation qui « esquisse le portrait d’une école plus efficace », pour reprendre les mots de la quatrième de couverture. S’inspirant de diverses pédagogies alternatives, Michel Hutt nous propose ici un système scolaire moins enfermant, moins stigmatisant, mais surtout bien plus épanouissant et par la même occasion bien plus attrayant ! Imaginons l’école de demain, voilà ce à quoi nous invite ce livre !
En bref, vous l’aurez bien compris, Michel Hutt a encore frappé et c’est de nouveau un coup de cœur pour ce roman simple et profond à la fois ! Par le biais d’une histoire aussi émouvante que surprenante, pleine d’humour et de surprises (mention spéciale aux interventions de Johnny-le-perroquet), notre fabuliste moderne pointe du doigt les dysfonctionnements de notre système éducatif afin de proposer une alternative plus humaine et plus épanouissante. Un livre à offrir sans distinction aux parents, futurs parents, institutrices, oncles, cousines, voisins, coiffeuses, boulangers … Je m’égare, pensez-vous ? Mais point du tout ! Ce que je veux dire, c’est tout simplement que ce roman ne s’adresse pas qu’aux enseignants, mais bien à tous ceux que l’avenir de nos enfants préoccupent … ou, bien, plus généralement, à ceux qui aiment les perroquets.
Ce livre a été lu dans le cadre de la Coupe des 4 maisons(plus d’explications sur cet article)