Hannibal – Bryan FULLER (série tv)

Hannibal hannibal1est une série de trois saisons réalisée par Bryan Fuller. Diffusée entre 2013 et 2015, les amateurs de la série (affectueusement appelés les fannibals) ne verront probablement jamais de saison quatre, la série n’ayant malheureusement jamais été reconduite. Ceci dit, on murmure dans les tuyaux que des négociations sont en cours entre Amazon.com – le possesseur des droits de la série – et le géant Netflix : rêver est encore permis !
Comme vous vous en doutez bien, Hannibal suit l’étrange relation entre le cannibale éponyme joué par Mads Mikkelsen et le jeune profiler du FBI, alors incarné par Hugh Dancy, Will Graham. Il s’agit d’un prélude du roman Dragon Rouge de Thomas Harris.
En quoi cette série aux avis si mitigés est un véritable petit plaisir intellectuel ?
Bien entendu, cet article sera plein de spoilers. De plus, la série est pleine de triggers warning dont : nourriture, violence médicale, sang, violence psychologique et physique. (N’hésitez pas à me contacter si d’autres aspects de la série vous ont mis mal !)

Mens sana in corpore sano a dit Juvénal, un esprit sain dans un corps sain. Tiré des Satires de ce dernier, cette citation parle normalement de spiritualité mais, avec le temps, le côté religieux s’est effacé, rompant ainsi le lien spirituel entre le corps et l’esprit (le mental, the mind en anglais). Cette phrase retranscrit très bien la série Hannibal, que ce soit dans la définition antique ou celle moderne. La santé du corps et du mental est en effet très bien représentée dans la saison une et puis, progressivement, à partir de la deuxième jusqu’à la troisième, la laïcité s’efface pour auréoler la série d’une lueur religieuse. Il y notamment une métaphore qui file tout le long de la saison trois, celle de l’agneau perdu entre le diable et le dieu, celle d’un Will Graham, perdu entre la faim meurtrière d’Hannibal et la manipulation sécurisante de Jake, l’inspecteur en criminologie.
Tout est affaire de dualité. Le corps est séparé du mental alors que tout le monde affirme que Will Graham et Hannibal Lecter se ressemblent. L’un dénie cette idée et l’autre semble y être fasciné. Il y a d’un côté le corps, très terre à terre, et l’esprit, le mental tortueux, bien trop intelligent pour son entourage.  Le corps est faible, le corps souffre, Will Graham souffre. C’est un homme seul qui récupère les chiens errants pour combler cette solitude, un homme qui vit au milieu de nulle part, se sentant seulement apaisé au milieu de la rivière, canne à pêche en main. Will n’a pas d’amis, seulement des collègues. Et un jour, il rencontre le psychiatre de renom, Hannibal Lecter. Chacun voit en l’autre la possibilité de sortir de cette solitude. En hommes seuls, ils deviennent amis.

C’est une amitié un peu bâtarde, nous la sentons inégale. Le mental est bien plus protégé que le corps. Will s’en prend littéralement plein la gueule : manipulations, encéphalite, emprisonnement injuste aux conditions terribles (pouvons-nous y voir une critique de l’état des prisons américaines ?) Tout cela à cause d’un mental un peu trop curieux (“I was curious what would happen” – j’étais curieux de ce qui se passerait, répète Hannibal à plusieurs reprises au fil des saisons). L’esprit est protégé par le corps, vu que c’est Will le mouton noir, vu que c’est Will l’imparfait, le garçon possédant une empathie trop grande, qui a des difficultés sociales, dont le travail est de se mettre tous les jours dans la peau de tueurs. Will Graham a le profil parfait pour être un tueur en série, pour être accusé à tort des actions d’Hannibal Lecter.
Personnellement, lorsque je me suis lancé dans la précieuse tâche de binge-watché cette série, je ne m’attendais pas à tout cela. On m’avait dit, les yeux brillants, les deux mots qui font rêver les avides de représentations comme moi : “tu verras”, on m’a dit, “c’est canon”. Canon, c’est un adjectif qui définie la relation amoureuse officielle entre deux protagonistes (souvent issus du milieu LGBTQ+). Si cette série m’a mise dans tous mes états, c’est notamment à cause de la relation spéciale entre Hannibal et Will. Je ne pourrais pas réellement statuer si réellement leur relation est canon ; déjà par l’annulation abrupte coïncidant avec l’apothéose relationnel des deux hommes mais surtout : peut-on réellement qualifier cela d’une relation amoureuse ? Toxique, oui, Hannibal, du haut de son intelligence, de ses diplômes en psychiatrie et de son verbe fin, a eu tous les outils pour manipuler la psychologie fragile du profiler ; sapiophilique, oui, il suffit d’admirer leur joute verbale autour d’un repas ou d’un cadavre. Mais amoureuse ? L’amour-vache, oui. L’amour toxique d’un homme manipulé par son aîné, possiblement. L’Amour avec un A, non.
Pourtant, malgré cela, mon besoin de représentations a été repu par cette série. Hors la relation entre le docteur et le profiler, Dr. Bloom finit avec une femme, élevant le fils de cette dernière comme le sien. La bisexualité est très bien représentée, ici.

Cette série, c’est beaucoup de choses : c’est une adaptation qui réussit à faire passer des moments très gores en des purs moments de grâce, c’est une adaptation qui représente une partie de la communauté LGBTQ+ souvent invisibilisées, c’est une adaptation qui mène drame policier à une critique méta de la société et des religions. Hannibal, c’est beaucoup de choses, emporté avec brio par des acteurs au jeu irréprochable.