Si j’étais au Marché de la poésie, ce dimanche 10 juin 2018, c’était d’abord pour trouver les nouveautés des éditions Des Femmes. Il y avait, place saint-Sulpice, comme chaque année, bien représenté et en bonne forme, tout le microcosme de la poésie française contemporaine, et je n’ai pas perdu mon après-midi (voir échantillon ci-dessous — j’ai même rencontré Séverine Daucourt), mais c’est d’un seul de ces livres que je voudrais vous parler maintenant : La Dame aux Nénuphars, de Viviane Cerf.
L’autrice est née (comme moi) en 1992, a passé son enfance à Oyonnax et a écrit ce roman en 2012 pendant sa khâgne (et la mienne), au lycée Henri IV : comprenez ma curiosité de lire ce qu’écrivent des camarades ! Or c’est un roman en vers, inspiré des fameux Nymphéas de Monet, dont l’héroïne contemple les modèles dans l’étang de l’orangerie, lors de ses errances parisiennes.
Autant dire que l’œuvre (en cela, la khâgne a fait son travail) est pleine de subtilités artistiques ou érudites, comme lorsque la jeune fille contemple la sainte Anne de Léonard de Vinci au Louvre, qui malgré tout son amour nous renvoie irrémédiablement à la menace sourde de l’hôpital psychiatrique. Le nénuphar est aussi celui de Vian dans L’Écume des jours, celui qui grandit comme un cancer dans le corps et l’âme de l’héroïne, polytraumatisée, perdue malgré toute sa culture.
Un bon exemple de tout ceci pourrait être le passage à l’exposition « Degas et le nu » (qui eut vraiment lieu au musée d’Orsay, en 2012) :
Direction les Degas.
Une exposition.
Des femmes nues.
Beaucoup.
La plupart se lavent et, très souvent, elles s’essuient la nuque.
Tu te demandes pourquoi, ça, les serviettes sur la nuque.
En trois secondes, la nuque, normalement, sec.
Alors pourquoi passent-elles des heures à ça, l’essuyer ?
Pourquoi il les peint comme ça ?
Tu penses.
Ce femmes : comme toi : un coup sur la nuque.
Dans le dos, qui a frappé fort, elles s’y attendaient pas. (p. 96-97)
Je ne sais pas vous, mais cette façon de faire résonner sa personnalité dans tous les moments de sa vie culturelle (au lieu d’étaler sa culture sans aucun rapport avec son propos, comme s’y employait Lise Marzouk dans une méchante autobiographie) me plaît, quand bien même elle serait un contresens sur Edgar Degas ou qui que ce soit.
Ailleurs, voir : le blog d’Yv, la notice sur le site des femmes, et surtout une présentation de son livre par l’autrice sur Youtube.
Viviane Cerf, La Dame aux Nénuphars, éditions des femmes, 2018, 130 p., 10€.