La silencieuse qui nous murmure à l'oreille

La silencieuse qui nous murmure à l'oreille

"La Poupée de Monsieur Silence". (c) Frémok.


La silencieuse qui nous murmure à l'oreillePour la deuxième fois en dix ans, les artistes belges Caroline Lamarche et Goele Dewanckel, une francophone et une néerlandophone bilingue, publient un album associant leurs deux noms. Pour le coup, il s'agit du magnifique album "La Poupée de Monsieur Silence" (Frémok, 56 pages), tout en hauteur (30 x 18,5 cm), imprimé en quadrichromie sur un beau papier mat blanc et épais - une jaquette en abrite le dos carré brut. Une merveille de texte, très largement illustrée, qu'on destinera plutôt aux ados et aux adultes qu'aux jeunes enfants.
La silencieuse qui nous murmure à l'oreilleLeur première expérience était le très bel album jeunesse petit format (19 x 15 cm, la moitié de celui qui vient de sortir) "Le phoque" (Rouergue Jeunesse, 2008, épuisé), récit métaphorique sur la confiance et la persévérance soutenu par des images sensuelles et méditatives. Un jeune phoque quittait sa mère et la mer pour gravir une colline.

La silencieuse qui nous murmure à l'oreille

"La Poupée de Monsieur Silence" nous entraîne dans une histoire de contraires, monochrome et multicolore, dedans et dehors, silence et bruit, paix et violence. En filigrane, la vie et la mort, la relation à soi et à l'autre. Le tout, superbement traité.

La silencieuse qui nous murmure à l'oreille

(c) Frémok.


On pénètre dans une maison tout en bleu, seulement en bleu. Dans ce bleu qui fait penser au sud. A l'intérieur, une jeune femme. Une jeune femme seule la plupart du temps. Son mari, tout en bleu luinaussi, Monsieur Silence, "l'amour de sa vie", a une vie importante. Il apporte le silence aux personnes et aux animaux  qui ont besoin de repos. Sur la terre entière! - c'est dire s'il est (pré)occupé. Il sort, lui, dans un monde extérieur qui apparaît en mille couleurs, exubérant ou tragique, de plus en plus tragique au fil de la narration. Dans sa maison bleue, sa femme en bleu l'attend. Quand il est là, elle l'aide, elle l'écoute. Durant ses nombreuses absences, elle confie ses aspirations simples, élémentaires, sans véhémence, plutôt avec mélancolie. Dans sa maison bleue, la femme en bleu n'entend que le silence. Elle ignore ce qu'est un son, une voix, un chant. Elle attend. Monsieur Silence l'appelle sa Poupée. Elle ne s'y oppose pas. Comme elle ne s'oppose pas à sa vie de poupée muette.

La silencieuse qui nous murmure à l'oreille

(c) Frémok.


Jusqu'au jour où ses questions sur le monde extérieur, sur les bruits du monde extérieur, sont trop fortes. Elle, la femme tout en bleu, sort dans le monde plein de couleurs. Elle découvre la vie, les sons, les bruits, les chants. Elle croise plein de gens qui lui parlent de l'homme qu'elle aime. Elle croise aussi plein de gens qui ont besoin de parler. Comme elle sait très bien écouter, elle écoute. Elle découvre la vie à laquelle elle aspirait sans le savoir et sa solitude disparaît.

La silencieuse qui nous murmure à l'oreille

(c) Frémok.


Rarement un texte un peu mystérieux aura été autant magnifié par des illustrations qui le prolongent et le questionnent encore davantage. Goele Dewanckel est comme entrée dans les mots de Caroline Lamarche. Mais l'interprétation qu'elle nous en propose, superbe, subtile, nous renvoie illico au texte de la romancière et à notre propre interprétation. "La Poupée de Monsieur Silence" est une quête de soi, vivifiée par d'admirables illustrations où tout est à voir, où tout est à interpréter. On remarquera d'abord la beauté des traits de la Poupée, qu'elle soit joyeuse ou triste, sa paix intérieure, son adéquation à sa maison emplie d'éléments végétaux, puis ses sourires de plus en plus nombreux quand elle entre dans le monde. On notera que ce monde est plein de couleurs vives, de drames, de violence et de tristesse. Il faut examiner chaque image pour y déceler les scènes parallèles, en résonance avec les mots. On admirera la nature luxuriante, en opposition avec les sombres destins humains. On décèlera ici l'oiseau qui meurt, attrapé par le chat, là la cruauté des humains entre eux. On remarquera enfin comme les ambiances s'apaisent quand la femme en bleu écoute ceux qu'elle croise.
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Voilà une fable magnifique, qui laisse totale liberté à chacun pour l'interpréter. Sa mise en page simple et rigoureuse pose en une ou deux lignes, bleues elles aussi, en lettres manuscrites majuscules, le bref texte de Caroline Lamarche en autant de légendes des images. Une entente parfaite et féconde.
Exposition

Les originaux de "La Poupée de Monsieur Silence" sont exposés à la librairie Peinture Fraîche (10 rue du Tabellion, au bout de la rue du Bailli, 1050 Bruxelles) jusqu'au 1er septembre aux heures d'ouverture de la librairie: du mardi au samedi de 10h30 à 19 heures.
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