L’enfant de Caroline Boidé, pierre de touche de la paix et du pays

" Ma fille en poésie ", a dit un soir Vénus Khoury-Ghata à propos de Caroline Boidé. La seconde écrivait alors des poèmes pour son enfant à naître. Et la première entoura ce recueil par ses propres poèmes érotiques, composant un nid d'amour qui fut donné au public en 2017, aux éditions Bruno Doucey.

L’enfant de Caroline Boidé, pierre de touche de la paix et du pays

Réponse lumineuse au Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas, du Hongrois Imre Kertész, la poésie de Boidé s'adresse à l'âme qui dans son ventre cherche à s'incarner. Elle voudrait y voir une relève et une sauvegarde de l'Histoire future, avouant quelquefois douter d'y parvenir : " saurai-je m'ajuster à ton miracle ? " (p. 38). C'est la preuve du contact, du contact intérieur, qui ravive une foi incertaine : " Et si tu coulais en mare de sang ? [...] / Mais tu as mieux à faire que de mourir / Il n'y a pas de place pour un cimetière dans mon ventre / Depuis que la lumière y liste ses anges " (p. 39). C'est ce qui donne aux poèmes érotiques de Khoury-Ghata toute leur place dans l'expression de cette science contagieuse, lorsque par exemple elle écrit à son amant : " Corps tant de fois aimé / je connais ta texture " (p. 76).

L’enfant de Caroline Boidé, pierre de touche de la paix et du pays

" Tu orchestres les vagues de mon ventre-continent... " (p. 40). À demi-juive algérienne, revenue de pèlerinage au Liban sur les traces de Khoury-Ghata, adressant enfin ses poèmes à la Syrie tout entière à travers les vagues, Boidé prouve l'axiome de bon sens de Marie Richeux : la Méditerranée traverse la France.

Paulo majora canamus. L'enfant à venir, n'est-il pas toujours attendu comme un nouveau prophète ? La guerre, et surtout la guerre de religion, appelle un kaddish, un poème de sanctification, signe pan-méditerranéen de paix entre les pays : " La mort s'est invitée dans ton pays [...] / Permets que je m'appuie sur ton ventre bombé / Que je puise au réservoir de ta joie / Que nous séchions nos larmes sous les bombardements de tes cris de vie " (p. 48). L'enfant à naître est " l'énergie du désespoir " (c'était un titre de Michel Deguy), et Boidé écrit d'aileurs : " Mon ventre se fait pierre [...] / Un lien scellé " (p. 55). Justement, ce mois de mai 2018, paraissaient, dans Po&Sie n°163, les admirables souvenirs anthropo-poétiques de Thomas Cantens. À Maiduguri, Boko Haram, 2017, pourtant loin de Syrie, il notait lui aussi : " un enfant-fille furieux appuie sur un détonateur pour exploser mais les mots en uniforme n'explosent rien ils ne disent pas que présenter un enfant à un dieu c'est être coupable de briser une pierre de joie " (p. 67).

C'était dans le poème nommé " Un dieu, même pas deux ", du recueil Dans les corps la sueur des sons. Dans son " ventre-continent ", la poésie de Méditerranée, qui a tant chanté les louanges et gonflé les voiles du monothéisme par le passé, serait-elle d'avis aujourd'hui qu'il y ait mille dieux plutôt qu'un, et poreux et baveux plutôt qu'incorporel ?

L’enfant de Caroline Boidé, pierre de touche de la paix et du pays

Prenons enfin un petit instant pour féliciter très respectueusement Mireille Gansel et Louise Dupré, lauréates 2018 du prix Vénus Khoury-Ghata, qui récompense chaque année la poésie écrite par les femmes.

Ailleurs, à propos du Kaddish : la notice des éditions Bruno Doucey, l'avis de la Toile de l'un, le blog Mes belles lectures.

Caroline Boidé, Vénus Khoury-Ghata, Kaddish pour l'enfant à naître, Bruno Doucey, 2017, 88 p., 14€.