Avant de partir en vacances cet été, il ne faut surtout pas oublier de glisser quelques bandes dessinées dans sa valise. C’est vrai que certaines d’entre elles pèsent parfois un peu lourd, mais quel plaisir de dévorer une bonne BD en sirotant une boisson fraîche à l’ombre d’un arbre ou en étant confortablement installé sur un transat. Grâce aux BD, on n’est même pas obligé de partir loin pour se sentir en vacances. La preuve: avec cette sélection de cinq des meilleures BD parues ces dernières semaines, même ceux qui restent chez eux pourront voyager dans leur tête. Embarquement immédiat!
Pour les explorateurs du monde et de l’âme: Florida (Jean Dytar – Editions Delcourt)
Jean Dytar est un auteur au style unique et envoûtant, tant dans son dessin que dans les univers qu’il met en scène. Il l’avait déjà prouvé il y a quatre ans avec « La Vision de Bacchus », une BD qui se penchait sur les secrets des peintres de la Renaissance. Il le démontre une nouvelle fois avec « Florida », un roman graphique somptueux sur le fiasco d’une expédition coloniale française en Floride à la fin du XVIe siècle. C’est surtout la manière dont Jean Dytar raconte cette histoire qui est remarquable. Car s’il utilise son scénario (très bien documenté) pour aborder la question de la colonisation de l’Amérique du Nord, de même que les guerres de religion qui ont ravagé l’Europe à cette époque-là, Jean Dytar est très loin de se limiter à un simple récit historique. « Florida », c’est aussi et avant tout un drame intimiste sur un couple confronté aux épreuves de la vie. Ce couple est formé de Jacques et Eléonore Le Moyne, deux protestants français installés à Londres pour échapper aux persécutions catholiques en France. Jacques est revenu traumatisé de cette fameuse expédition en Floride, à laquelle il avait participé en tant que jeune cartographe, et refuse obstinément de parler de ce qui s’est passé là-bas. Désormais, il consacre toute son énergie à peindre des fleurs, tout en fuyant les mondanités comme la peste. Au grand dam d’Eléonore, qui rêve de grandes aventures et qui est frustrée par l’attitude très fermée de son mari. D’autant plus que Walter Raleigh, un proche de la Reine Elisabeth, fait pression sur Eléonore pour qu’elle convainque son mari d’enfin raconter son expédition en Floride, afin de pouvoir en faire un livre à la gloire des huguenots, les protestants français. Et puis surtout, il y a la dimension graphique de « Florida », sans doute l’élément le plus étonnant de cette BD. Jean Dytar quadrille ses pages et ses cases comme un véritable cartographe, plongeant ainsi ses lecteurs dans l’esprit torturé de Jacques Le Moyne. Un roman graphique raffiné et intelligent, qui plaira aussi bien aux férus d’Histoire qu’aux amateurs de récits psychologiques.
Pour les amoureux des mots et de la mer: Le dernier voyage de l’Amok (Frank Le Gall – Editions Dupuis)
Après treize ans d’absence, Théodore Poussin est enfin de retour dans « Le dernier voyage de l’Amok ». Et quel retour! Le personnage créé par Frank Le Gall au milieu des années 80, dont les traits font penser à ceux de Tintin mais dont les aventures sont plus proches de celles de Corto Maltese, s’impose plus que jamais comme le digne héritier des albums de Hugo Pratt et des romans de Joseph Conrad et Robert Louis Stevenson. Théodore Poussin, c’est de la BD comme on n’en fait plus (ou très peu). C’est un héros romantique et rêveur, qui se laisse porter par le destin pour vivre des aventures et faire des rencontres sur toutes les mers d’Asie, de Singapour à Saïgon. Souvent, on a l’impression que Poussin subit les événements, sans forcément chercher à réagir. C’est beaucoup moins le cas dans ce treizième épisode, qui nous fait découvrir une nouvelle facette de la personnalité du marin originaire de Dunkerque. Une facette beaucoup plus sombre et calculatrice. Dépossédé de son ancienne cocoteraie florissante par le capitaine Crabb, Théodore Poussin prépare en effet patiemment sa vengeance et fait preuve d’une détermination inattendue pour reprendre son île, quitte à y laisser quelques plumes… et quelques membres de son équipage! « Le dernier voyage de l’Amok » démontre que Frank Le Gall est comme les grands vins: il se bonifie avec le temps. Dans ce tome 13, il signe non seulement un excellent scénario (dont la réussite tient surtout à sa galerie de personnages complexes et attachants) mais il parvient également à magnifiquement mettre son récit en images, grâce à des planches d’un exotisme et d’une sensualité remarquables. Espérons que l’on ne doive plus attendre aussi longtemps avant de découvrir la suite de cette saga au parfum délicieusement romanesque.
Pour les romantiques en manque d’espoir: Les petites distances (Camille Benyamina – Véro Cazot – Editions Casterman)
C’est l’histoire d’une rencontre qui n’en est pas vraiment une. Entre un homme invisible (ou presque) aux yeux de tous et une femme qui se bat avec des monstres imaginaires. Lui s’appelle Max. C’est un gars qui passe totalement inaperçu. Littéralement. Sa copine oublie qu’elle est en couple avec lui alors qu’ils vivent ensemble depuis quatre ans, sa psy ne le reconnait pas alors qu’il est allé en consultation chez elle quelques jours plus tôt, même ses parents semblent avoir totalement oublié son existence! Elle s’appelle Léonie. C’est une jolie rousse qui a tellement peur des monstres qui la poursuivent dans son appartement qu’elle invite des inconnus à coucher avec elle juste pour éviter de se retrouver seule. Bizarrement, lorsque Max emménage dans le même immeuble que Léonie, il devient définitivement invisible. Forcément, ça lui fait bizarre au début mais rapidement, il décide de profiter de la situation pour s’installer dans l’appartement de sa jolie voisine, avec qui il passe désormais toutes ses journées. Cette présence invisible fait du bien à Léonie. Elle l’aide à chasser ses démons. Quant à Max, il tombe évidemment follement amoureux. Le seul hic, c’est qu’elle ne le voit pas… « Les petites distances » est une BD romantico-fantastique imaginée par Véro Cazot, la talentueuse scénariste de « Betty Boob », et dessinée avec beaucoup de finesse par Camille Benyamina, qui adopte un style plus nerveux et plus crayonné que dans « Violette Nozière vilaine chérie ». Soyons honnêtes: « Les petites distances » a ce côté un peu prévisible qui caractérise la plupart des comédies romantiques. Mais ce n’est pas très grave, car cette fable moderne sur la peur de la solitude a un côté tellement léger et attachant qu’on finit quand même par se laisser embarquer. Attention cependant à ne pas laisser traîner ce livre entre toutes les mains, car quelques scènes du livre sont plutôt torrides. Après tout, il faut bien qu’il y ait certains avantages au fait d’être invisible!
Pour les férus de Tarantino et de jeux vidéo: Il faut flinguer Ramirez (Nicolas Petrimaux – Editions Glénat)
Mais qui donc est Jacques Ramirez? A priori, ce petit homme muet et moustachu est un employé modèle de Robotop, une entreprise d’électroménager établie à Falcon City, en Arizona. Lorsqu’il s’agit de réparer un aspirateur, il n’y a pas deux techniciens aussi doués que lui. Il est même capable de le faire les yeux bandés. Pas étonnant que ses collègues l’adorent: Ramirez est toujours là pour masquer leur incompétence. Mais l’employé modèle mènerait-il une double vie? L’expert en aspirateurs serait-il également un expert en armes à feu? Ce qui est certain, c’est que sa vie bascule le jour où deux membres d’un cartel mexicain croient reconnaître en lui le légendaire Ramirez. Autrement dit, le pire assassin que le Mexique ait jamais connu. Un nettoyeur qui travaillait autrefois pour le cartel, mais qui a trahi les siens. Démarre alors un improbable thriller survitaminé dans lequel se mélangent les démonstrations d’électroménager, les courses-poursuites et les braquages de banques commis par une célèbre actrice ayant troqué la fiction pour la réalité… Venu de l’univers du jeu vidéo, Nicolas Petrimaux réussit une entrée fracassante dans le monde de la bande dessinée avec « Il faut flinguer Ramirez », l’une des BD les plus réjouissantes et les plus dingues de cet été 2018. Ne laissant aucun répit à ses lecteurs, Petrimaux s’amuse comme un gosse dans cette BD loufoque remplie d’explosions, d’humour et de femmes fatales. Le tout dans un décor des années 80 à couper le souffle, avec des fausses publicités pleines de second degré pour servir d’intermèdes. Un cocktail étonnant, réalisé à partir d’ingrédients de « Grand Theft Auto » et des films de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez.
Pour les amateurs de polars nordiques: Le tailleur de pierre (Léonie Bischoff – Olivier Bocquet – Editions Casterman)
De manière assez étonnante, les éditions Casterman ont tardé à sortir ce « Tailleur de pierre », alors qu’il était prêt depuis longtemps. Au vu du résultat final, on se dit que l’éditeur a vraiment eu tort d’attendre, car cet album est certainement l’une des meilleures sorties BD de cette année. Au fil des albums, on a l’impression que le tandem Léonie Bischoff-Olivier Bocquet ne cesse de s’améliorer. Après « La princesse des glaces » et « Le prédicateur », « Le tailleur de pierre » est déjà la troisième enquête de Patrik Hedström et Erica Falck que les deux auteurs adaptent en BD. Et on peut clairement dire que ce nouvel épisode est le meilleur des trois, même si leurs deux premières adaptations étaient déjà très réussies. Sur beaucoup moins de pages que le roman de base (la BD fait 120 pages, contre près de 500 pour le roman), le scénariste Olivier Bocquet parvient à capter la substantifique moelle du récit de Camilla Läckberg, qui se déroule comme toujours dans la petite ville de Fjällbacka. Une fois les personnages principaux présentés au début de l’album, l’enquête démarre avec la découverte du corps d’une petite fille, vraisemblablement assassinée. Progressivement, on apprend l’existence de lourds secrets de famille, dont certains étaient profondément enfouis depuis des dizaines d’années. Pour Patrick et Erica, l’enquête est d’autant plus difficile qu’elle met en cause certains de leurs amis proches, dans une atmosphère particulièrement sordide. Une fois qu’on démarre la lecture de ce « Tailleur de pierre », on ne peut plus s’arrêter. Olivier Bocquet parvient en effet à capter toute notre attention, grâce surtout à une utilisation très réussie des flash-backs et à une attention toute particulière accordée à la psychologie des personnages, un élément crucial qui constitue la base de tout bon polar. Le dessin de Léonie Bischoff est, lui aussi, largement à la hauteur. La dessinatrice suisse semble de plus en plus à l’aise dans l’univers de Camilla Läckberg et parvient à rendre ce récit très glauque particulièrement vivant, notamment grâce à des colorisations différentes en fonction des ambiances et des époques. Du coup, on croise les doigts pour que les responsables de Casterman permettent à Léonie Bischoff et à Olivier Bocquet de poursuivre leurs adaptations de la reine des polars nordiques. Une chose est sûre: on aimerait beaucoup retourner à Fjällbacka avec eux.