A 32 ans, Mina fait sa rentrée dans un collège de banlieue parisienne auprès de jeunes élèves qu'elle va accompagner de son mieux au long de l'années scolaire. Un beau métier, une belle mission, mais une tâche loin d'être de tout repos. Pour se détendre, la jeune femme décide de pratiquer une activité sportive qui lui permettra de se détendre, de prendre du plaisir, de s'évader du quotidien.
Plus jeune, elle a pratiquer assidûment la natation et la gymnastique. Des sports pour les filles, diraient certains. Oui, mais depuis toujours, ce qu'elle aime, c'est le football. A la maison, enfant, elle regardait les matches avec ses grands frères, elle tapait dans le ballon à leurs côtés, contre les copains du quartier.
Et pourtant, jamais jusque-là elle n'avait eu l'idée de jouer au sein d'une équipe autre que celle-là, de se lancer dans la compétition. Est-ce ce petit mot d'un de ses élèves, vous savez, ces petites fiches qu'on rédige traditionnellement en début d'année pour permettre au prof de mieux connaître ses ouailles, ce petit mot dans lequel il affirme que seul le foot compte pour lui dans la vie, qui a fait tilt dans l'esprit de Mina ?
Alors, elle commence à se renseigner, mais c'est déjà début septembre, et beaucoup de clubs ont déjà clos leurs inscriptions. Mina ne trouve qu'un tout petit club, tout récemment créé, le Racing Féminin Football Club, une équipe dépendant du district du Val-de-Marne et qui évoluera dans la Poule D de ce championnat, l'un des plus bas échelons du foot français.
A la tête de ce club encore novice, deux hommes, Mario et Bernard, deux passionnés qui se partagent les tâches : l'un préside, l'autre entraîne et, si nécessaire, on peut inverser. Les moyens sont minuscules, pas de stade facilement à disposition, un équipement chip dont une partie est prise en charge par les joueuses elle-même.
Et, autour de Mina, des joueuses qui, comme elle, on eu envie de connaître l'ivresse du terrain, mais ne possèdent absolument aucune expérience. Pas de sport étude, de centre de formation, de club précédent, rien, juste l'envie de s'amuser, de goûter à la compétition. La motivation est là, mais cela suffit-il vraiment ?
Dans ce court roman (autour de 120 pages), Yamina Benahmed Daho évoque les souvenirs de jeunesse de sa narratrice (Mina, tiens donc, tout cela serait-il autobiographique ?), sa passion naissante pour le football, complètement iconoclaste pour une fille au tournant des années 1980-1990, son quotidien de footballeuse débutante (quotidien, le mot est peut-être un peu exagéré...), mais aussi des anecdotes sur le football et la place des femmes dans ce sport.
Pour les souvenirs, vous les découvrirez en lisant "Poule D". Pour le quotidien, enfin l'activité footballistique, car on s'entraîne quand on peut, où on peut et on joue les matches de la même façon, quelques mots : à ceux qui détestent le foot à travers l'image que renvoie le très haut niveau, lisez ce roman, car c'est celui de la passion, la passion vraie, pure, saine, joyeuse.
Un passage du roman l'illustre parfaitement : Mina donne un exercice à faire à ses élèves, reprenant le fameux principe du "j'aime/j'aime pas", popularisé par Georges Perec. Et, pendant que les collégiens planchent, Mina se lance aussi dans la liste de ce qu'elle aime et n'aime pas. Une liste entièrement en lien avec le foot, démontrant une culture dans ce domaine, sans doute supérieure à celle de biens des experts adepte du café du commerce.
Mina ne se rêve pas en star planétaire, brassant des millions entre salaire mirobolant et contrats publicitaires juteux. Non, elle veut simplement jouer, que ce mot est beau ! Oui, jouer, le foot est un jeu, qui fait rêver aux quatre coins du monde, qu'on pratique aussi bien pieds nus dans la rue ou sur la plage, avec un ballon fait de chiffon que sur des terrains en herbe, crampons aux pieds.
Mina ne l'envisage d'ailleurs pas autrement, et c'est tant mieux, car si elle avait imaginé ce qui l'attendait au sein du Racing Féminin Football Club, peut-être aurait-elle passé son chemin. Ce club est fait de bric et de broc, ses joueuses n'ont aucune culture "tant-sur-le-plan-tèquenique-que-taquetique", elles veulent juste jouer.
Oui, mais les équipes adversaires aussi, et elles sont manifestement mieux préparées, mieux organisées, plus expérimentées, parfois plus vicieuses, aussi, et il faut vraiment aimer le jeu pour encaisser sans faiblir des défaites toujours lourdes... Incapables de défendre, encore moins d'attaquer, Mina et ses coéquipières prennent rouste sur rouste, ce qui n'est pas sans occasionner quelques heurts.
Mais les scores, on s'en fout, ce que raconte Mina, c'est d'abord une expérience humaine, des liens qui se créent, des affinités plus ou moins fortes, c'est vrai, mais qui font que, petit à petit, une équipe prend forme, un collectif. Peut-être plus en dehors du terrain, d'ailleurs, car, dans le jeu, les progrès sont bien lents...
Le plaisir, lui, est bien là, plaisir d'être ensemble, de jouer, de se dépenser, de se faire mal, aussi, parfois, de sentir que l'on fait corps, même face à plus fortes que soi. Un immense pied de nez aussi à ceux qui voudraient que seuls les garçons jouent au foot. Parce que, malgré la précarité de ce statut, ces femmes sont bel et bien et à part entière des footballeuses.
Au milieu du récit du parcours de Mina au sein de son club, on découvre différentes anecdotes qui ont marqué l'histoire du foot. Toutes sont en rapport avec la place des femmes dans ce monde que beaucoup voudraient voir exclusivement masculin : les rares femmes ayant arbitré les hommes au plus haut niveau et la défiance qu'elles ont dû combattre ou encore les résultats des clubs féminins...
L'action de "Poule D" débute en 2011. Cette année-là, la section féminine de l'Olympique Lyonnais vient de décrocher sa première victoire en Ligue des Champions, la plus prestigieuse des compétitions européennes. On découvre lors d'un chapitre les conditions de cette victoire, loin d'être acquise, face à un club allemand.
Depuis, Lyon a remporté quatre autres fois la Ligue des Champions, dont les deux dernières éditions. Cinq titres européens pour un seul club français ! Le palmarès des féminines de l'OL est simplement 5 fois supérieur à celui de tous les clubs masculins hexagonaux (une seule victoire pour l'OM de Bernard Tapie, en 1993). En France, ce sont les clubs féminins qui glanent les titres, eh oui, Messieurs !
Et puis, parce que tout amateur de foot que je sois moi-même, je n'ai pas l'audace de prétendre que je connais tout sur le sujet, j'ai découvert grâce à Yamina Benahmed Daho l'incroyable histoire du Dick, Kerr's Ladies Football Club, un des tout premiers clubs de football féminin fondé en Angleterre il y a désormais plus d'un siècle (résumée dans la vidéo ci-dessus).
"Poule D" est un roman sans prétention autre que de parler d'une passion au féminin, encore aujourd'hui difficile à faire accepter. En dépit des excellents résultats des clubs français, mais aussi d'une équipe nationale performante, mais à qui il manque sans doute une grande victoire pour asseoir un début de légitimité.
Yamina Benahmed Daho parle très bien du foot, du jeu et des émotions, des sensations et des doutes, de la joie et du plaisir de pratiquer ce sport, même lorsqu'on est complètement à la ramasse. Bien sûr, si vous connaissez mal ce sport, si vous n'y avez jamais joué, vous serez peut-être un peu désarçonné. De même, il faut parfois faire marcher un moteur de recherche pour mettre des mots et des images sur telle référence.
Mais je ne crois pas que ce soit un livre qui ne s'adresse qu'aux amateurs de foot purs et durs, bien au contraire. C'est un bel hymne au football, et plus encore au football féminin, une façon aussi d'alerter sur les difficultés que rencontrent les clubs féminins en termes d'infrastructures et de matériel. Long sera encore le chemin pour que l'on prenne enfin au sérieux toutes les équipes de toutes les poules D (et autres lettres de l'alphabet) de toute la France.
N'oublions pas que les clubs, jusqu'à l'adolescence, sont mixtes. Filles et garçons jouant ensemble. Et n'écoutez pas les vieux barbons ou les machos débiles qui éructent sur la nullité du football féminin, sur le fait que c'est d'abord un sport de mecs, que les filles ceci et les femmes cela... Ils se trompent. Et si une jeune fille a envie de jouer au foot, comme ses frères, comme les joueurs qu'elle regarde avec passion à la télé, alors, il faut tout faire pour qu'elle puisse s'épanouir dans cette activité.
Ah, je termine avec un autre livre. Vous le verrez, si "Poule D" est une aventure essentiellement féminine, les hommes y tiennent un rôle, qui va du meilleur au pire... Dans "Un footballeur", Bruno Heckmann racontait une histoire qui ressemble beaucoup à celle de "Poule D", mais de l'autre côté du spectre : celle d'une équipe "corpo" masculine, plus nulle que nulle, et qui va découvrir le goût du succès grâce... à une femme.
J'ai lu ce roman à sa sortie en 2010 et je me souviens d'un ton assez caustique et de situations proches de celles que raconte "Yamina Benahmed Daho. Oui, en cette période très foot, il y a là deux romans très complémentaires, sur la passion simple d'un jeu qui électrise une grande partie du monde, mais loin de tous les excès et les enjeux démesurés du football professionnel, que dénonçait le regretté Philip Kerr dans une de ses séries de romans.
Je suis sorti de cette lecture avec un grand sourire, malgré les déboires des personnages. Avec une passion renforcée pour ce sport que je n'ai guère pratiqué ailleurs que dans des cours d'école. Avec l'envie aussi d'échanger avec Yamina Benahmed Daho qui aurait, j'en suis certain, beaucoup à m'apprendre sur ce jeu.
Oui, j'insiste, ce n'est qu'un jeu. Mais le plus beau de tous !