Poétesse du cœur et de la profondeur, Béatrice de Jurquet publiait l’an dernier, à la rumeur libre, Si quelqu’un écoute, recueil épais de vers denses suivis d’une manière d’art poétique, sous le titre « Une ligne de vie ». Autant dire un testament, au sens originel : preuve et profession. Certains vers nous parviennent du fond de la mort même, par exemple ce tercet (p. 48) :
Vivre m’a saisie par les cheveux
Mais quand les dieux ont bien voulu
Essuyer mon visage, quelle merveille !
Béatrice de Jurquet pourrait faire sien cet aveu de Roland Barthes, qui disait « vivre selon les nuances » qu’il apprenait dans la littérature. Les nuances manquent et les quelques cent vingt pages de son recueil ne sont pas de trop pour les formuler, comme elle l’écrit dans « Pièce aux voix » (p. 52) :
Toujours manquent une voix
la voix des autres
dans la pièce aux voix
et des quarts et des quarts de ton.
La poésie de Béatrice de Jurquet, doucement surannée, d’inspiration celanienne et assez proche, finalement, de celle de Marie-Claire Bancquart, s’appuie une métaphysique du presque-rien sans se soucier un instant qu’elle fût obsolète (p. 60) :
Sans doute rien. Ultime recours.
Que ce rien me tienne.
Voilà aussi pourquoi, comme Bancquart, Jurquet parle aux animaux (p. 63) :
Aux animaux
qui nous regardent toujours dans les yeux
je parlerais comme à n’importe lequel d’entre nous
Plus loin, le chien d’Ulysse se métamorphose en celui de Goya, se noyant dans son silence (p. 78-79).
Le poème choisi par l’éditeur pour la quatrième de couverture est peut-être aussi le plus curieux, le plus moderne et le plus inexplicable. Il s’appelle « So what ? », et je tenais à le reproduire intégralement ici :
Fumer moins boire moins
penser moins écrire moins
inventer les mots de la riposte
les armes une fois déposées
Écrire, sur du papier à musique :
« mes dieux ont éveillé le jour, endormi la nuit »
Sous un manteau d’invisibilité, la voie est libre.
À lire ailleurs : la notice de l’éditeur, la critique de Possibles, le recueil Cour intérieure de Jurquet (1991) généreusement disponible sur Gallica.
Béatrice de Jurquet, Si quelqu’un écoute, préface de Gérard Chaliand, la rumeur libre, 2017, 128 p., 16€.