"La défaite, mon vieux. On ne l'attend jamais et surtout on ne s'y habitue pas. N'empêche, il vaut mieux s'y préparer".

J'ai récemment lu que la boxe était, pour beaucoup, le sport le plus cinématographique. Mais le noble art inspire aussi les écrivains, à l'image de Nick Tosches et de Pierre Hanot, dont j'ai évoqué les romans ces derniers mois. Sans doute faut-il être un connaisseur pour apprécier les subtilités de ce sport, mais on peut aussi se retrouver sur un fait : les histoires qui entourent les boxeurs, leurs combats, leurs carrières ou leurs vies, sont souvent très romanesques. Et lorgnent souvent vers le noir. En voici une preuve avec notre livre du jour, "Les boxeurs finissent mal... en général", de Lionel Froissart (récemment réédité aux éditions Héloïse d'Ormesson), titre qui annonce d'emblée la couleur. Il sera sans doute question de gloire, et encore, pas toujours, mais ces instants fugaces ne pèseront pas bien lourds face aux déboires et aux sorties de route de ces champions. Le nom de certains des boxeurs évoqués dans ce livre vous parleront, même si n'y vous connaissez rien, d'autres sont connus des spécialistes et l'un d'entre eux n'a même connu qu'une très modeste carrière... Des histoires très différentes, douloureuses, admirablement racontées par un auteur à la fois journaliste et aficionado...
Douze histoires, comme les douze rounds d'un combat. Douze parcours de champions ou de sportifs aspirant à le devenir, mais qui, un jour, ont connu la chute. Et du genre violent. Pas seulement le coup qui vous envoie au tapis pour le compte et vous laisse K.O., mais des coups durs, sur et en dehors du ring, rappelant que la boxe est un sport qui peut être très cruel.
Des années 1920, lorsque la boxe est entrée dans son époque moderne et a connu ses premières très grandes affiches et ses premiers immenses champions, jusqu'à nos jours, Lionel Froissart a choisi douze moments forts qui, pour des raisons différentes, nous amènent au plus près de boxeurs talentueux pour qui, soudain, tout s'est mis à ne plus tourner très rond.
En titre de ce billet, j'ai choisi cette phrase sur la défaite, qui fait partie de toute carrière sportive, mais qui prend évidemment un sens particulier pour la boxe. Si l'on perd, et même si l'on ne perd qu'aux points, donc sans avoir été mis K.O., cela veut dire qu'on a pris plus de coups que l'adversaire, et des coups qui laisseront des bleus aussi bien au corps qu'à l'âme.
Mais, il faut élargir cette notion de défaite, dans le cas qui nous concerne. Car celles qu'évoque Lionel Froissart, ancien journaliste sportif au quotidien "Libération" (il y a couvert, en particulier, les sports automobiles pendant près de 30 ans, mais c'est aussi un passionné d'autres disciplines, dont la boxe, on s'en doute) sont des défaites définitives.
Certaines se cantonnent au ring, un sale coup et tout bascule, une carrière, mais aussi une vie. La mort est très présente dans ce livre, comme si elle s'installait parfois dans un des coins du ring, aux côtés du staff d'un des combattants. D'autres sont des défaites face à la vie, un combat quelquefois autrement plus compliqué à remporter que bien des championnats du monde...
Lionel Froissart aborde des questions qui, je pense, pourrait concerner n'importe quel sport et tous ceux qui les pratiquent à un très haut niveau. Être un champion, ou même un sportif professionnel, c'est faire des sacrifices importants, adopter une vie quotidienne qui n'a pas grand-chose à voir avec celle du commun des mortels...
Et puis, un jour, tout s'arrête...
Un jour, on choisit, ou pas, de ne plus être sportif de haut niveau, de redevenir un humain lambda, de redescendre sur terre... Et, pour reprendre un bon vieux cliché, mais il est de bon aloi, me semble-t-il, c'est une petite mort. Comment affronter ce vide soudain ? Comment accepter de redevenir anonyme, d'être oublié, de ne plus forcément vivre grand train ?
Comment vivre avec la culpabilité aussi, lorsque l'on a causé la mort d'un homme. Eh oui, les règles ont beaucoup évolué au fil du temps, on prend de plus en plus de précautions pour éviter de trop graves traumatismes. Mais, l'histoire de la boxe a été émaillée de drames terribles, de morts sur le ring ou à sa sortie, qui ont marqué durablement les esprits.
Ainsi, dès l'exergue, Lionel Froissart cite Bob Dylan, et sa chanson "Who killed Davey Moore ?", dans laquelle le prix Nobel (ça fait drôle d'écrire ça) énumère les différentes personnes ayant joué un rôle dans l'organisation du combat au cours duquel Davey Moore perdit la vie en 1963. Chacun se dit navré, effondré, mais personne n'est responsable, personne n'est coupable, c'est le destin.

L'histoire funeste de Davey Moore est raconté dans "Les boxeurs finissent mal... en général" (c'est le quatrième des douze rounds). Lionel Froissart appuie d'ailleurs son clin d'oeil à Dylan en reprenant un mode narratif choral sur ce chapitre, multipliant les points de vue jusqu'au drame, sans oublier l'adversaire du jour, Sugar Ramos, lui-même marqué par le destin.
Il y a dans ce chapitre un passage qui m'a frappé : après la fameuse pesée, ultra-médiatisée et mise en scène pour frapper... les esprits, Davey Moore déplore ce qui fait de son métier un vrai cirque. Et il songe que le speaker annonçant le combat pourrait parfaitement porter le costume d'un Monsieur Loyal, dans un spectacle digne de Barnum ou du "Freaks", de Tod Browning.
"Et maintenant, mesdames et messieurs, nos phénomènes de la boxe. Capables de rivaliser de violence sans jamais faiblir, ils encaissent autant qu'ils distribuent. Venez, approchez ! Admirez leurs muscles saillants. Leur mâchoire d'acier. Regardez les spécialistes de la cogne. Venez nombreux assister à ce spectacle unique de deux hommes engagés dans un combat à la vie, à la mort..."
Lionel Froissart met là le doigt sur un des éléments marquants, sans doute également commun à nombre de sports de haut niveau, c'est la dimension spectaculaire qui accompagne la boxe, une mise en scène qui passe par la pesée, donc, mais aussi l'entrée des boxeurs, la présentation, l'annonce des rounds, etc.
La boxe est devenu un spectacle, le combat n'est qu'un bijou, certes, mais l'écrin est tout autant important. Le public a payé cher sa place et en veut pour son argent. Froissart évoque Mike Tyson, dont la propension à mettre ses adversaires K.O. beaucoup trop rapidement lui valut la défiance d'un public qui voulait des combats âpres, longs, disputés.
Et, comme souvent, au nom du spectacle, on finit par en oublier l'essentiel. Les boxeurs deviennent des gladiateurs modernes, le ring une arène et les promoteurs des propriétaires avant tout soucieux de leurs bénéfices... On mesure d'ailleurs parfaitement la place que l'argent va prendre dans la boxe, au fil de ces histoires.
Qui dit sport professionnel dit rémunération (on parle de bourse, dans la boxe), mais bien vite, d'autres enjeux vont apparaître. En premier lieu, car là non plus, ce n'est pas un cliché, la mafia, qui va longtemps gangrené le monde de la boxe. Lionel Froissart rejoint d'ailleurs Nick Tosches : tous les combats n'étaient pas truqués, mais la plupart des plus gros combats, eux...
De Capone à Frankie Carbo, nombreuses ont été les figures emblématiques de la Mafia à se passionner pour la boxe. Mais pas en simple spectateur, non, il y a de l'argent à se faire et le meilleur moyen de faire la culbute, c'est encore d'arranger les combats... Cela, on le retrouve dans plusieurs des histoires racontées par Lionel Froissart.
Plus tard, lorsque le crime organisé aura été démantelé en grande partie, le milieu de la boxe n'aura pas forcément été assaini pour autant. La figure du promoteur prendra la relève, à l'image d'un certain Don King, personnage aussi exubérant et échevelé que sulfureux, faiseur de champions et grand argentier, homme d'affaires roublard et soucieux de tirer le maximum de ses poulains.
Le nom de Don King est évidemment associé à celui de Mike Tyson, dont l'histoire clôt le livre, même si ce n'est pas le seul champion qu'il a cornaqué. Mais, plus amusant, on croise aussi un autre promoteur, à la carrière nettement moins glorieuse, un certain Donald Trump, qui semble avoir laissé un souvenir aussi peu mémorable dans le monde de la boxe qu'il est en train de le faire en politique...
Puisque j'évoque ce point précis (certes anecdotique), c'est l'occasion de préciser que "Les boxeurs finissent mal... en général" a été publié par les éditions Héloïse d'Ormesson en 2007 et vient d'être réédité en ce printemps 2018. Aucune retouche n'a été faite, et c'est presque dommage, car, si l'on excepte la trajectoire inattendue de l'actuel président américain, il est intéressant de confronter ces chapitres aux événements postérieurs.
Parfois, ça fait sourire, comme lorsqu'on lit le dernier round, consacré à Tyson, avec une tonalité qui laisse entendre que cet homme, à la carrière tumultueuse et à la vie sérieusement mouvementée (avant, pendant et après la boxe) ne pourra que se terminer violemment ou derrière les barreaux. Or, force est de constater que le plus jeune champion du monde des lourds s'est bien assagi. Il était même très calme et discret dans les gradins de Roland-Garros, au moment où je lisais ce livre.
Et puis, il y a les histoires plus sombres, comme celle d'Alexis Argüello. Grand puncheur, champion du monde dans trois catégories différentes, sa carrière et sa vie épousent celle de son pays : le Nicaragua. Un pays en proie à la guerre civile alors qu'il boxait au plus haut niveau, en pleine guerre froide.
Je ne vais pas tout vous raconter, vous le verrez par vous-même, mais Argüello a eu, dès l'époque de sa gloire sportive, un rôle très politique, qui s'est poursuivi après, lorsqu'il est rentré au Nicaragua pour y devenir le maire de la capitale, Managua. Tout cela est agité, tourmenté, inquiétant, parfois, entre espoirs et désillusions. Le récit s'arrête en 2007, mais Argüello est mort en 2009, dans des conditions assez troubles...
J'ai évoqué quelques noms, je n'en ai pas encore cités d'autres. Outre Mike Tyson, on peut parler de Marcel Cerdan, bien sûr, de sa rivalité avec Jake LaMotta, le fameux "Raging Bull", qu'on croise dans deux chapitres, de Sonny Liston, le grand rival d'Ali, ou de Carlos Monzon, dont les noms évoquent toute une époque, et pas seulement la boxe.
Mais Lionel Froissart fait aussi découvrir à ses lecteurs, pas forcément de grands connaisseurs du noble art, des personnages comme Harry Greb, champion dans la première moitié des années 1920, Laurent Dauthuille, "le Tarzan de Buzenval", titi parisien à la carrière prometteuse, mais au destin tragique, le Coréen Deuk-Koo, qui aimait tant la boxe anglaise, découverte sur le tard, ou encore Christophe Tiozzo et son talent gâché...
J'ai volontairement laissé à part deux hommes : Anthony Fletcher et "Kid" Paret. Le nom d'Anthony Fletcher ne parlera sans doute à aucun d'entre vous, que vous soyez amateur de boxe ou totalement béotien. Et pour cause, il est le seul, dans cette galerie de portraits, à ne pas avoir tutoyé la gloire. Son histoire ne s'est pas étalée dans les colonnes sportives des journaux, mais à la rubrique judiciaire.
Champion des Etats-Unis, il aurait pu espérer voir sa carrière décoller, mais il a été conduit en prison sans passer par le ring, ni même par la case départ... Une sombre histoire de meurtre, une mobilisation pour faire plier une justice aveugle et un combat d'un tout autre genre, un combat pour démontrer son innocence, avec un risque certain de K.O. dans le couloir de la mort...
Et puis, Benny Paret, surnommé Kid... Il est d'abord intéressant parce qu'il est Cubain et qu'à travers son histoire, on peut évoquer l'extraordinaire tradition pugilistique qui existe sur cette île. Sauf que, depuis la prise de pouvoir de Fidel Castro, le sport professionnel est très réglementé sur l'île, voire interdit, dans le cas de la boxe, ce qui a poussé beaucoup de boxeurs cubains à l'exil...
Benny Paret est pourtant resté célèbre pour son combat contre Emile Griffith, disputé en 1961 et la photo ci-dessous, que j'ai découverte pendant ma lecture et qui m'a fasciné, est parue dans toute la presse internationale. C'est aussi une histoire qui, indirectement, aborde un des grands tabous du sport professionnel : l'homosexualité.
"Les boxeurs finissent mal... en général" n'est pas à proprement parler un roman, ni une compilation d'articles parus dans des journaux. Si l'on devait le qualifier, on utiliserait le terme de fix-up, autrement dit un recueil de nouvelles signées par un même auteur autour d'un même thème. Car, ne vous y trompez pas, c'est bien un travail littéraire qu'accomplit Lionel Froissart.
Chaque round, chaque histoire, chaque portrait de boxeur est ciselé, en fonction d'un angle, d'un événement, d'une chute, quelquefois. L'auteur adopte des points de vue à chaque fois différents, du narrateur neutre à la narration à la première et même à la deuxième personne, et c'est tout à fait intéressant de voir cette diversité de traitements autant que de tempéraments.
Bien sûr, en choisissant d'évoquer la boxe sous un angle assez sombre, Lionel Foissart ne convaincra sans doute pas les détracteurs de ce sport. Un sport décrié, oui, mais qui compte toujours autant de fans à travers le monde, même s'il n'y a peut-être plus de champions aussi charismatiques qu'il y a encore une vingtaine d'années.
Le possible combat annoncé, reporté, évoqué, signé, mais pas vraiment, entre Anthony Joshua et Deontay Wilder pourrait redorer un peu cette légende d'un sport qui est aussi un outil d'intégration, une école de socialisation et un possible ascenseur social. Les boxeurs que nous présente Lionel Froissart ne sont pas issus des classes supérieures de la société.
Ces caractères, car c'est bien ce que l'on a avec ces textes, entre les ombrageux, les téméraires, les fêtards, les brutes épaisses, les revanchards, les fanfarons, les malheureux, etc., donnent une idée intéressante de ce qu'est la boxe au plus haut niveau, de la dureté de ce sport, et pas seulement sur le ring, et nous offrent des tragédies modernes qui n'ont rien à envier à leurs devancières antiques...