Pour le droit de vote des femmes, discours (1867-1871), de John Stuart Mill, traduit de l’anglais (Grande Bretagne) et préfacé par Benoît Basse, Éditions iXe, « Collection la petite iXe », 2018, 124pages.
L’histoire
Le 20 mai 1867, le Britannique John Stuart Mill prononçait à la Chambre des Communes un discours resté dans les annales, car, chose jusqu’alors inouïe, il réclamait l’extension du droit de vote aux femmes.
Traduits pour la première fois en français, les trois autres discours de ce recueil attestent la constance de son engagement féministe. Mill pourfend les arguments conservateurs sur la prétendue incapacité des femmes à exercer d’autres fonctions que domestiques ou leur manque d’intérêt pour les affaires publiques. Partisan de l’égalité des sexes, il plaide pour un partage des responsabilités civiles et politiques, soutient que les différences observables entre les deux sexes sont le produit de l’histoire et de la domination masculine.
Homme de son temps, Mill croyait en la dynamique du progrès moral et pensait sincèrement que la victoire était à portée de main. Il aurait été consterné d’apprendre que son pays n’accorderait le droit de vote aux femmes qu’en 1928, plus de soixante ans après son discours historique au Parlement.
Note : 5/5
Mon humble avis
Elles ne seraient plus rangées dans la catégorie des enfants, des idiots et des fous, jugées inaptes à prendre soin d’elles autant que des autres, assez démunies pour qu’il faille agir en tout point à leur place et sans leur consentement.
Discours parlementaire du 20 mai 1867, p. 37
Merci à Babelio et aux Éditions iXe pour l’envoi de ce livre en échange d’une chronique !
C’est toujours un plaisir d’être sélectionnée pour une masse critique, mais plus encore quand c’est pour un livre de ces éditions que j’ai découvert il y a peu, mais elles sont engagées sur plusieurs fronts et cela ne peut que me plaire ! Par exemple, la première chose que j’ai remarquée sur la couverture : le nom du traducteur est de la même taille et tout aussi visible que celui de l’auteur de l’œuvre originale. À une époque où certains éditeurs continuent à ne même pas mentionner les traducteur·rice·s sur leurs couvertures, c’est vraiment louable.
Et puis bien sûr, beaucoup de leurs publications tournent autour du féminisme donc ça m’intéresse ! J’avais déjà entendu parler de John Stuart Mill dans mes cours d’histoire britannique à la fac, avec quelques extraits de ses discours mais je ne les avais jamais lu ainsi donc j’étais curieuse de découvrir cela.
Mais pour celles et ceux qui ne connaîtraient rien du contexte historique de ces discours : nulle inquiétude, une présentation du traducteur replace les textes dans leur période, de quoi pouvoir entamer leur lecture sereinement.
Ou a-t-on peur, si le droit de vote leur était reconnu, qu’elles révolutionnent l’État, qu’elles nous privent de l’une quelconque de nos grandes institutions, que nos lois dégénèrent ou que nous soyons d’une façon ou d’une autre moins bien gouvernés en conséquence des suffrages qu’elles auraient exprimés ? Personne, Monsieur, ne croit des choses pareilles.
Discours parlementaire du 20 mai 1867, p. 21
John Stuart Mill était très engagé à une époque ou il n’était pas acquis de défendre les droits des femmes : si de nos jours, cela pourrait s’apparenter à un vol de prise de parole, à l’époque en Angleterre, les femmes n’avaient tout simplement pas l’occasion de la prendre, la parole. Pas dans les conditions où John Stuart Mill le fait, comme par exemple à la Chambre des Communes. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne tourne pas autour du pot, et qu’il entend bien dire, de façon passive agressive même, à quel point il serait ridicule de refuser de donner le droit de vote aux femmes.
Je sais qu’un sentiment obscur – trop honteux pour s’exprimer ouvertement – suggère que les femmes n’ont pas à se soucier de leurs droits, que leur unique préoccupation doit être de servir un homme de la façon la plus utile et dévouée. Mais puisque je suis convaincu qu’il n’est dans cette assemblée aucun député que sa conscience blâme d’entretenir un sentiment aussi mesquin, je peux affirmer sans offenser personne que cette volonté de confisquer l’existence entière d’une moitié de l’espèce à l’avantage présumé de l’autre moitié, me paraît, indépendamment de son caractère injuste, particulièrement absurde.
Discours parlementaire du 20 mai 1867, p. 27
Comme cela arrive parfois dans des écrits de personnes engagées, vieux de plusieurs décennies ou siècles, des passages sont terrifiants quand on voit que certains arguments de Mill doivent encore être employés aujourd’hui pour le féminisme. Certes, les femmes ont le droit de vote, mais pour celles et ceux au fond qui pense que ça signifie que la lutte est finie : réveillez-vous et lisez ces textes. Mill allait plus loin que le « simple » droit de vote (à demi-mot, parce qu’il en demandait quand même déjà beaucoup).
J’aimerais d’ailleurs que notre Assemblée commande un rapport sur le nombre de femmes qui, chaque année, sont battues à mort par leur mari, rouées de coups, piétinées jusqu’à ce que mort s’ensuive par leurs mâles protecteurs ; en face, une colonne avec le nombre de condamnations prononcées contre ceux de ces ignobles criminels qui n’ont pas été purement et simplement acquittés. Et j’aimerais, dans une troisième colonne, une liste des biens matériels illicitement dérobés, dont le vol, jugé par le même tribunal au cours d’une même session et par les mêmes magistrats, a été sanctionné par une peine identique. Nous disposerions ainsi d’une estimation arithmétique de la valeur assignée par une législature et des tribunaux masculins au meurtre d’une femme, souvent consécutif à des années de torture, et s’il nous restait un tant soit peu de dignité nous baisserions tous la tête de honte.
Discours parlementaire du 20 mai 1867, p. 43-44
Une lecture courte mais très enrichissante !