Mohammad, ma mère et moi était sur ma liste d’envies depuis sa parution. Je m’étais dit que j’attendrais que la vague d’engouement soit passée pour le lire. Mais lorsque Benoit Cohen himself m’a demandée si j’aimerais recevoir un exemplaire de son récit, je n’ai pas hésité une seule minute.Comme l’indique le titre, il sera question de Mohammad, de Benoit et de sa mère. Le réalisateur et auteur Benoit Cohen vit à Brooklyn depuis quelques années avec femme et enfants. Donald Trump vient d’être élu, c’est un coup de massue. Benoit fait des allers-retours à Paris, voit souvent sa mère, dont il est très proche. Cette mère, bourgeoise jusqu’au bout des doigts, est une femme pétillante et allumée. Lorsqu’elle entend, à la radio, l’un des deux fondateurs de l’association Singa, une association qui vient en aide aux migrants, c’est une révélation.
«Si on peut, on doit». Cette phrase provoque un électrochoc chez ma mère. Elle se dit qu’elle ne peut plus ne rien faire. Elle a la chance d’avoir une grande maison et la possibilité d’accueillir quelqu’un chez elle.
Benoit et ses frères ne sont pas sans s’inquiéter du nouveau projet de leur mère.
Mohammad débarque dans la vie de Marie-France, en plein cœur du VIIearrondissement. Une fois passés les ajustements du début, la cohabitation se déroule à merveille. À la demande de Benoit, Mohammad lui raconte son histoire.Mohammad voit le jour en Iran, en 1994, dans une famille de musulmans chiites, d’origine afghane. Il quitte l’Iran pour l’Afghanistan avec ses parents. Il est engagé comme homme de ménage, puis serveur à l’ambassade d’Angleterre. Un collègue de travail lui donne un livre de développement personnel qui changera sa vision du monde à jamais. (Ah, le pouvoir des livres…) «La lecture de ce livre l’a débarrassé de toute crainte, lui a donné de la force, de l’ambition. Il n’a plus peur du futur et n’accepte plus de subir aucune humiliation.» Mohammad devient ensuite interprète pour l’armée française. Lorsque les troupes françaises quittent le pays, le jeune afghan se retrouve au chômage. Sa vie est en danger. Mohammad quitte le pays, espérant se rendre en France. Son parcours est parsemé d’embûches et de rencontres – heureuses et moins heureuses. Un destin marqué par la guerre et la violence. Puis, il y a sa rencontre avec Marie-France, une deuxième mère. Une de ces rencontres qui changent la vie, porteuses de confiance et d’espoir. L’avenir laisse enfin entrevoir des percées de soleil...· · · · · · · · ·Le récit de Benoit Cohen est de ceux qui harponnent son lecteur. Je l’ai dévoré en un après-midi, incapable de le reposer. Les récits de migrants (véridiques ou fictifs) sont aussi nombreux que les maringouins en Abitibi. Il y en a à toutes les sauces. La particularité et la fraîcheur de Mohammad, ma mère et moi vient de ce que Benoit Cohen choisit d’entremêler trois fils narratifs: le sien, celui de sa mère et celui de Mohammad.Benoit a quitté la France par choix, pour changer d’air. Mohammad a quitté l’Afghanistan par obligation. Le parallèle entre la situation de Benoit et celle de Mohammad rend d’autant plus frappant le fossé existant entre les Occidentaux et non Occidentaux. Si le Français rencontre quelques écueils, l’Afghan en rencontre un char pis une barge.Mohammad et moi avons tous les deux quitté notre pays et vivons en terre étrangère. J’avais envie de changer d’air, lui sauvait sa peau. Il n’avait pas d’autre option, moi si. J’ai pu choisir mon pays d’adoption, lui non. Il n’avait pas d’argent, moi si. Je me suis tout de suite senti chez moi, lui non. Toute la différence tient en un mot: Welcome. Si on ne se sent pas bienvenu, on ne peut s’intégrer. Difficile de trouver la force de se reconstruire dans un pays hostile. Cette notion d’accueil est au centre de la réussite de l’intégration.Le geste de solidarité posé par Marie-France est remarquable. Qu’une femme de 70 ans décide de mettre ses appréhensions de côté et de passer à l’action me réconforte avec la vieillesse! Je suis tombée sous le charme de cette femme, de son audace, de son ouverture d’esprit et de sa bienveillance.J’ai aussi appris des choses pour le moins révoltantes, comme celle-ci: «L’Afghanistan est le pays, avec la Somalie, qui a accès au moins de pays dans le monde, seulement 25. En comparaison, être français permet d’en visiter 175 sans visa.» Et avec le clown bronzé à l’autobronzant comme Président des États-Unis, les choses ne sont pas prêtes d’aller mieux…
Une très belle histoire, de celle qui apporte de la lumière sur un sujet brûlant d’actualité, de celle qui réconcilie avec l’humanité. Inspirant. À moi, maintenant, Yellow Cab, récit de l’expérience de Benoit Cohen comme chauffeur de taxi à New York.L’avis de Virginie, un tantinet moins emballée que moi, se trouve ici. Mohammad, ma mère et moi, Benoit Cohen, Flammarion, 288 pages, 2018.★★★★★