Si le dicton " tape dans un parpaing, 10 xxx en sort ", je crois que ça s'applique en ce moment à mes coups de coeur quasi coup sur coup. Entre le pavé Fantasy qui m'a fait m'évader, la lecture du moment Autant en emporte le vent dont j'ai le tome 3 à lire avec Maned Wolf puis celui-là, cette petite bombe littéraire, je suis vernie pour l'été.
Ainsi comme je l'avais promis, dès que j'ai fini Il faut qu'on parle de Kevin je me suis attelée à l'écriture de l'avis. A chaud CACAOOO avec des paillettes d'enthousiasme qui pètent par tous les trous (l'élégance, c'est pour moi). Déjà parce que je frétille à l'idée de vous en parler, mais aussi parce que cette lecture qui m'a accompagnée ces derniers jours restera sans doute ancrée en moi pendant trèèèèès longtemps.
Eva se met à écrire des lettres à son mari Franklin avec qui elle est séparée. Il faut qu'elle parle. Qu'elle lui donne sa version, son point de vue de ces 16 dernières années.
Leur fils, Kevin, a massacré plusieurs élèves de son lycée, dont une de ses professeures qui croyait le plus en lui. Incarcéré dans une prison pour mineur, Eva continue d'aller le voir. Pour savoir. Pour tenter de toucher du bout du doigt cet étranger au sourire sarcastique qu'elle a tant de mal à aimer depuis sa naissance... Et à travers ses lettres à Franklin, de comprendre où commence sa faute, d'où vient le Mal ?
Eva et Franklin forment un couple heureux et très amoureux à New-York. Approchant la quarantaine, ils incarnent un certain modèle de réussite. Eva, d'origine arménienne, est une globe-trotteuse qui ne tient pas en place et avec sa passion pour les voyages a créé une boîte qui édite des guides touristiques. Franklin quant à lui, américain typique, est photographe, toujours en repérage de paysages bucoliques à photographier pour des magazines branchés.
Puis, la Grande Question inévitable se pose : pourquoi ne pas faire un enfant ? Eva n'en veut pas, elle chérit sa vie et son mari plus que tout et la maternité n'a jamais été un besoin fondamental. Pour Franklin, plus terre à terre, il rêve de la vie de famille idéale, de laisser derrière lui une trace de son passage sur Terre et faire ce dont depuis des milliers d'années l'Homme est programmé : la reproduction. Rien qu'à ce point de départ, on sent que dans le couple une divergence d'opinion sur le concept de parentalité naît. L'un la fantasme, tandis que l'autre la craint. Et puis la pression sociale est là. Pourquoi une femme ne voudrait pas d'un enfant ? Un être qui aux dires de tous change votre vie, vous illumine, vous béatifie grâce à un amour inconditionnel et unique qui submerge tout, tout de suite. Eva finit donc par rêver à cette vie. Un enfant avec qui elle pourra jouer, avec qui elle pourra découvrir la maternité, la divine maternité tant vendue par leurs couples d'amis.
Et arrive Kevin.
Dès les premiers instants de la naissance, l'illumination tant recherchée n'est pas là. Eva en avait-elle trop attendu ? Le contact entre Elle et Lui ne se fait pas. Pas de béatification. Pas de connexion instantanée. Quelque chose cloche chez elle ? Forcément. Quelque chose ne fonctionne pas comme ça devrait normalement, ça doit venir d'elle. Forcément. A partir de là, la vie d'Eva devient un calvaire et le récit qu'elle en fait, couche par couche, est glaçant.
La forme du roman épistolaire nous plonge au coeur de la dissection de cette famille, où Eva analyse point par point à travers les années et la croissance de Kevin ce qui ne tourne pas rond. Car Kevin est un enfant extrêmement difficile. Capricieux, méprisant, manipulateur, menteur, indomptable, insondable et doté d'une intelligence aiguë.
Dès la naissance, Eva et Kevin seront dans une lutte constante et sourde, un rapport de force éreintant l'un comme pour l'autre. Lui sent que sa mère est fausse, qu'elle n'est pas sincère dans le rôle de la bonne mère et qu'elle ne l'aime pas. Enfant, il lui dira une phrase qui me marquera pendant longtemps :
On peut être habitué à quelqu'un sans forcément l'aimer. Tu es habituée à moi.
Elle ne cherchera pas à nier (et bizarrement, on ne lui en veut pas. Du tout).
Du côté d'Eva, suspicieuse et incapable de créer le moindre lien avec son fils, voyant dans les actions de Kevin une attaque envers elle et les autres, elle se voit terriblement seule car Franklin ne remarque rien. La dynamique du couple va se voir changer.
Avec Kevin, Franklin n'a aucun problème. Le garçon est gentil, enthousiaste et semble-t-il heureux alors qu'il est maussade, sombre et sarcastique avec sa mère. Franklin lui trouve des excuses tout le temps. Eva doit exagérer. Ce n'est pas la faute de Kevin, c'est la sienne qui a du mal à se faire à sa nouvelle vie de mère. Oui sans doute. Kev' a des problèmes pour se faire des amis ? C'est les autres qui sont méchants. Les baby-sitters quittent leur job au bout d'une semaine ? Elles ne savent pas y faire avec les enfants. Une petite fille s'est blessée ? Ce gentil Kev' a voulu l'aider. Et ainsi de suite. Alors qu'Eva sur-analyse le moindre geste, le moindre mot de son fils, Franklin lui nie en bloc étant incapable de remettre en question son fantasme de la vie de famille idéale qu'il a tant voulu, incapable de vouloir voir en face la vérité que son fils n'est pas une victime du système scolaire ni des enfants. Pire il voit en Eva une mère froide et accusatrice...
Le roman peut paraître un peu ardu. Surtout au début quand la mécanique n'est pas encore familière, quand l'écriture intellectuelle est parfois ponctuées de phrases alambiquées un peu prétentieuses. Mais c'est Eva qui écrit et ce qu'elle écrit révèle sa personnalité : elle est sans concession, elle se sent supérieure aux autres, méprise les petites manies de ces congénères, la culture américaine de la télévision et ce pays qui a fait naître ces meurtres de masse dans les écoles dans les années 90, Columbine étant juste le plus célèbre. A travers l'autoportrait d'Eva qui émerge, on sent poindre la ressemblance entre la mère et le fils. Et c'est à mon sens toute l'intelligence de ce roman qui sans donner les réponses du " Pourquoi " directement, donne toutefois des indices : la lien entre la mère et le fils est bien là, cachée, enfouie, mais bien présente.
Lionel Shriver (c'est une femme) a donné à son roman une grande complexité autant dans les relations aux personnages que dans la narration qui, faite de retour en arrière, se reconstitue comme les pièces d'un puzzle. Rien n'est simple et Shriver nous le fait bien comprendre. Elle aborde des sujets comme l'amour maternelle et la culpabilité avec un certain brio car elle veut interroger notre société : Pourquoi c'est toujours la faute de la mère alors que le père peut-être absent et négligent, rien ou presque ne lui sera reproché ? Et les parents d'un enfant meurtrier, pourquoi n'ont-ils rien fait pour prévenir la catastrophe ? Sont-ils coupables autant que leur progéniture ?
L'autre force de Il faut qu'on parle de Kevin est de créer un suspens ou une sorte d'attente en tout cas, sur les événements que déroulent au fur et à mesure le récit d'Eva dont la violence et la fin inéluctable pèsent comme une épée de Damoclès. Pourquoi Eva a supporté la tempête et les procès (dont un à son encontre) seule comme si elle était l'unique responsable ? Ces interrogations m'ont particulièrement tenue en haleine jusqu'à la fin, pressentant qu'il y avait autre chose que ce qu'Eva voulait bien nous dire.
Si la fin du récit d'Eva est tragique, le massacre perpétué par Kevin étant connu depuis le début (quoique, à quelques détails près), les deux dernières pages sont bien plus bouleversantes et le dernier paragraphe qui a apparemment marqué tout ceux qui l'ont lu, clôt la boucle commencée dès la première page. Vous me croyez si je vous dis que j'en ai eu les larmes aux yeux ?
Et si on ne saura jamais vraiment pour quelles raisons Kevin est passé à l'acte, j'ai malgré tout ma petite hypothèse... Mais là, je vous laisse faire la vôtre.