"Il va vraiment falloir que je répète le même numéro de cirque dans chaque province, avec chaque général, pour vous convaincre de ma légitimité, hein ?"

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DEUXIEME TOME D'UN CYCLE.
- "Les Dieux sauvages, tome 1 : la Messagère du ciel".
Tout augmente, que voulez-vous, tout augmente ! Dans le billet consacré à "La Messagère du ciel", premier tome du nouveau cycle de fantasy de Lionel Davoust, j'évoquais une trilogie. Mais, dans la fantasy française, faut-il y voir l'influence d'Alexandre Dumas, il est à la mode de proposer des trilogies en quatre tomes... Pour "les Dieux sauvages", le cycle dont nous parlons aujourd'hui, c'est donc le tome central qui a vu double et qui sera proposé en deux parties, une cette année, l'autre l'an prochain. Cette nouvelle livraison s'intitule "Le Verrou du fleuve" (aux éditions Critic) et on y retrouve Mériane, investie (dans tous les sens du terme) par un dieu qui en a fait sa porte-parole et même son porte-étendard dans la guerre qui oppose le peuple de la Rhovelle à un étrange envahisseur doté de pouvoir extrêmement puissants. La jeune femme n'est pas ravie de ce nouveau rôle, mais elle a compris qu'elle ne pouvait pas y échapper. Et, alors qu'une bataille décisive se profile, la voilà qui va devoir convaincre un monde incrédule qu'elle a le moyen d'empêcher le cauchemar de commencer, ou du moins de retarder considérablement l'échéance... Et ce n'est pas facile, facile...
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La Rhovelle est traversée d'ouest en est par le fleuve Aÿs, coupant approximativement le pays en deux moitiés égales, une au nord, une au sud. Une situation géographique très particulière, dont on a tenu compte en haut lieu, en dépit des différends qui peuvent régulièrement opposer les provinces du royaume, au moment d'envisager un système de défense.
Ainsi a-t-on installé sur le fleuve, en plein coeur de la Rhovelle, une gigantesque ville-forteresse, conçue pour résister en cas d'invasion et empêcher que l'ensemble du royaume ne soit conquis par un envahisseur. Ou, s'il y parvient, ce sera après avoir usé longuement ses forces sur ce lieu stratégique qui a gagné le surnom de "Verrou du fleuve".
Oui, mais voilà : depuis la chute de l'empire d'Asrethia, moins de deux siècles plus tôt, jamais la Rhovelle n'a eu affaire au genre d'ennemi qu'elle doit combattre désormais. Une armée de monstres à peine humains, possédant un pouvoir magique sans égal et capable de faire des ravages, comme ont pu d'ores et déjà s'en rendre compte les habitants.
L'invasion a commencé, les troupes rhovelliennes ont été salement repoussées, et désormais, Loered représente quasiment le dernier espoir de repousser cet ignoble adversaire. "Qui contrôle Loered, contrôle le fleuve", a-t-on coutume de dire. Mais, face à ces ennemis-là, il semble clair que si le Verrou du fleuve cède, alors la Rhovelle tombera toute entière en leurs mains.
Mériane, jeune femme arrivée de nulle part au milieu des chefs des différentes maisons rhovelliennes, se présentant comme l'élue du dieu Wer, qui parle par sa bouche, se retrouve ainsi dans une situation bien peu enviable : la frêle personne a en effet, poussée par la voix dans sa tête, celle qui se dit être un dieu, promis qu'elle réussirait de libérer Loered.
Et ça ne s'est pas arrêté là : elle a également annoncé qu'elle rendrait le trône de Rhovelle à son héritier légitime, Erwel, et qu'elle abattrait définitivement le géant qui semble mener les troupes ennemies, le seigneur de guerre Ganner qui, elle l'ignore, est en fait son équivalent dans l'autre camp, puisqu'il est l'élu d'Aska, dieu avec lequel Wer est en concurrence directe.
Une promesse, ça va, trois promesses, bonjour les dégâts... Car tenir la première semble, en l'état actuel, déjà particulièrement optimiste, alors parvenir à atteindre ces trois objectifs, Mériane semble ne même pas l'envisager. Non seulement l'ennemi possède une puissance de feu inimaginable, mais Mériane, pour sa part, est à la tête d'un bien maigre contingent, aux moyens fort limités...
Elle le sait, désormais, elle est seule sur le devant de la scène, la seule qui semble encore croire que la victoire est possible. Elle n'est rien, personne, en tout cas elle n'appartient pas à l'élite militaire, et voilà qu'elle s'auto-proclame stratège, capable de sortir tout le royaume de cette situation désespérée. Pire, elle est peut-être complètement folle, la prophétesse...
A côté des promesses qu'elle a tenues en public, convaincre les principales figures politiques et militaires de Rhovelle qu'elle a les compétences pour y parvenir (la principale étant qu'elle est la messagère du ciel et qu'elle accomplit la volonté de Wer) risque bien d'être le défi le plus délicat à relever. Si Mériane est têtue, elle a forte concurrence parmi ses interlocuteurs...
A elle de chasser les doutes et la résignation, de faire oublier les rivalités internes et les dissensions politiques, afin que le royaume entier s'unisse derrière elle pour sauver le Verrou du fleuve et envisager de vaincre un ennemi a priori supérieur. A elle de faire ses preuves, de remporter des victoires probantes, de prouver aussi que ce qu'elle prophétise peut effectivement advenir.
La situation de Mériane devient alors très inconfortable. D'abord parce que sa relation avec la voix dans sa tête (comment se résoudre à l'appeler Wer, elle qui ne croit pas en lui ?) est toujours aussi tumultueuse, que ce que lui dicte cette voix divine est loin d'être toujours acceptable et qu'elle même peine à croire que ce qu'elle entend et annonce finira par se réaliser...
Ensuite, parce que, justement, pour marquer les esprits, elle doit frapper fort. Mais, pas encore l'ennemi, non, mais les esprits de son propre camp, en leur montrant aussi, à ces vieilles badernes si sûrs de leur supériorité, qu'ils se plantent dans les grandes largeurs ou que ses plans à elle donneront de meilleurs résultats...
Avant même d'envisager de défendre Loered coûte que coûte, il va donc falloir qu'elle démontre qu'elle peut annoncer l'avenir, même quand il s'agit de catastrophes. Et de les laisser se produire, inexorablement, lorsqu'on ne l'écoutera pas... Dilemme terrible, qui affecte bien plus la jeune femme que son omnipotent partenaire...
Être Seigneur de guerre, ce n'est pas l'assurance de connaître gloire et postérité, non, c'est une charge terriblement lourde à porter, surtout quand on n'y est pas vraiment préparée. Et pendant que les puissants essaye de sauver avant tout leurs propres meubles et de préparer, non sans cynisme, un avenir pourtant bien bouché, Mériane, elle, s'engage dans une longue, très longue bataille, seule, ou presque, contre tous...
Lionel Davoust conserve la structure chorale déjà présente dans le premier tome, qui permet ainsi de multiplier les points de vue, mais aussi les lieux à suivre. Cela permet aussi de mettre en relief certains éléments forts du cycle, comme le dialogue (quasi) permanent entre Mériane et Wer, auquel on ne peut assister qu'en étant aux côtés de Mériane.
C'est aussi un second volet porté par un rythme fort, un côté épique très prononcé. Eh oui, c'est la guerre, ça barde, ça castagne, ça massacre, ça défonce, ça pulvérise... Un choc titanesque... sauf qu'on a l'impression que les Titans ne se trouvent en fait que d'un seul côté et que le combat sera très inégal. Eh oui, le lecteur n'est pas parfait, il lui arrive aussi de douter...
Plus sérieusement, puisque ce cycle s'inspire clairement de la vie de Jeanne d'Arc, on peut dire que Loered est pour Mériane ce que Orléans fut pour la Pucelle de Domrémy. D'ailleurs, Lionel Davoust a conservé un fait marquant : comme son modèle, Mériane est envoyée vers Loered non pas à la tête d'une immense armée, mais d'un simple convoi de ravitaillement avec son escorte.
Loered... Parlons-en, de ce verrou du fleuve... Dans ce royaume qui, depuis l'apocalypse que fut la chute de l'empire d'Asrethia, n'a retrouvé qu'un niveau technologique des plus rudimentaires, ce lieu apparaît comme une prouesse, une merveille d'architecture militaire, un monument qui a légitimement de quoi faire la fierté de ses concepteurs et de ses promoteurs.
Non, je ne vais pas vous la décrire ici, tout simplement parce que cela fait partie des surprises qui sont réservées au lecteur. Parce qu'il vous faut aussi ressentir les émotions que les personnages qui se retrouvent face à ce site extraordinaire ressentent. Un souffle coupé, des yeux qui s'écarquillent, l'impression d'être bien petit...
Je ne vous cache pas qu'il serait plaisant de pouvoir contempler cet incroyable dispositif qui, effectivement, avait tout pour être imprenable, jusqu'au débarquement de cette armée contrefaite et pourtant tellement puissance menée par Ganner. Le seul ennemi capable, si on le laisse faire, de balayer cette forteresse en un rien de temps...
Face à ce qui s'annonce comme la plus féroce des batailles, se dresse donc une toute jeune femme, sans expérience militaire, trappeuse vivant à l'écart de tout, paria dans son propre village, mais qu'un dieu facétieux ou provocateur est allé chercher pour qu'elle devienne plus que sa représentante : sa voix, son bras, son arme...
Dans une fantasy qui est un genre traditionnellement très masculin, Mériane s'impose déjà comme une héroïne marquante. Par son fichu caractère (mais avoir du caractère ne signifie-t-il déjà pas qu'il sera "mauvais" ?), par sa détermination, malgré sa situation impossible, le refus de se résigner, que ce soit devant Wer ou devant les hommes qu'elle est amenée à côtoyer.
C'est une révoltée qu'on a en face de nous. Contre un destin qui lui joue de sales tours, contre une monarchie où les hommes occupent tous les postes d'importance, contre cet ennemi qui resserre son étau petit à petit sans qu'on comprenne pourquoi, et encore moins comment. Héroïne, oui, mais pas en quête de gloire, plutôt poussée par la colère et l'envie d'en finir avec ce cirque, pour reprendre un de ses mots.
C'est un beau personnage, Mériance, une force naturelle mais sans commune mesure avec ce que lui donne la présence à ses côtés de Wer. Il n'est pas impossible de l'imaginer en personnage central d'une histoire très différente, dans un contexte plus pacifique. Ou défendant non pas un royaume tout entier (dont la destinée ne la fascinait pas plus que ça il y a encore peu de temps), mais sa propre existence.
Et elle n'est pas la seule. Car du renfort approche, avec là aussi deux personnages féminins qui valent le coup d'oeil et qui prennent vraiment une place importante dans cette histoire. Je veux parler des inséparables Chunsène et Nehyr. Brièvement aperçues dans "la Messagère du ciel", on ne les retrouve pas dès le début du "Verrou du fleuve", mais elles vont s'y octroyer une part prépondérante.
Ce sont les femmes qui font bouger les choses, bousculent tout, devancent les événements, anticipent et frappent, quand les hommes apparaissent bien sclérosés, empesés, lourdauds et dépassés par les événements. Ils ont des certitudes et n'en démordent pas, la première étant qu'une trappeuse déguenillée ne leur arrive pas à la cheville et ne peut être la sauveuse du royaume...
Le Verrou du fleuve, s'il est un enjeu majeur, n'est pas une fin en soi. Le fait que ce tome central ait fini par devenir deux tomes centraux montre bien qu'il reste encore du chemin à faire pour Mériane avant, peut-être, de mettre en échec Ganner et ses troupes et permettre au royaume de Rhovelle de retrouver la paix, d'envisager un avenir moins tumultueux.
Ce deuxième tome s'achève d'ailleurs sur une situation un peu inattendue : non contente d'avoir mis au pas les militaires en leur imposant sa volonté, voilà que Mériane se penche sur les affaires politiques du royaume. N'oubliez pas qu'elle n'est pas seulement la voix de Wer, elle a aussi la confiance d'un personnage qui ne demande qu'à s'affirmer : Erwel, le dauphin du royaume...
Mais chut, n'en disons pas plus, patientons maintenant jusqu'au début de l'année prochaine, quand paraîtra le troisième tome de cette trilogie en quatre volumes. En suivant la vie de Jeanne d'Arc, on a une petite idée de ce qui devrait l'attendre, mais il sera intéressant de voir comment Lionel Davoust va mettre ça en scène, et comment il y inclura les autres protagonistes de cette campagne sauvage, où des dieux jouent à la guerre en déplaçant des pièces humaines...