Le malheur du bas Inès BAYARD Albin Michel

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Marie ne se dit pas que c’est fini. Elle sait que ce n’est que le début. L’entrée de son immeuble est située un peu plus haut dans la rue, à l’angle du boulevard Voltaire. Il est à peine 21 heures. Laurent est sûrement en train de dîner. Il devait être sur le chemin du restaurant à plaisanter avec ses collègues et son nouveau client pendant que sa femme se faisait violer par son patron, pénétrer par tous les trous sur le siège d’une voiture.

Le malheur du bas raconte l’histoire de Marie qui subit un viol à la sortie de son travail . Marie qui veut à tout prix reprendre sa vie parfaite. Ne rien dire donc. Ni à Laurent, son mari. Ni la police. Ni à sa famille. Ni à ses amis. Pourquoi dénoncer le violeur au risque de ne pas être crue ou d’être désignée comme la coupable? Pourquoi dénoncer le violeur s’il faut tout perdre ? Son travail. Son mari. Sa vie. Alors oui, elle se taira. Sous le choc de son agression, Marie ignore, qu’en choisissant le silence, elle signe un pacte avec le diable.

Dès le lendemain, le sexe avec Laurent est une horreur, son corps est encore meurtri. Elle est sous la torture, c’est pour elle presqu’un second viol. Et pourtant, elle continue à se taire et à faire comme si. Elle sourit à son mari, l’enlace même. Ce soir là pourtant , quelque chose bascule définitivement en elle .

Plus tard, la nouvelle tombe : elle est enceinte.  Elle en est certaine, l’enfant est celui du violeur : cette brute épaisse qui a laissé en elle la mauvaise graine du malheur. L’enfant est déjà condamné par sa mère.

Elle tente de le faire passer. N’y arrive pas. Veut avorter. Ne le fait pas.

Puis Thomas naît. Elle aurait peut-être réussi à aimer une fille. Mais un garçon, non, elle n’y arrivera pas.

Elle hait Thomas.

Elle le martyrise, le néglige, le laisse dans ses couches sales, retarde le moment de le nourrir. Elle tente de le tuer. Plusieurs fois. A chaque fois, Laurent le sauve sans le savoir.

Marie aime déposer son fils à la crèche. Elle a l’agréable impression de se débarrasser de lui. Les puéricultrices prennent immédiatement Thomas en charge, échangent quelques mots avec elle et la laissent partir au travail les mains vides, déchargée du lourd fardeau que représente cet enfant pour elle.

Le secret de Marie l’enserre, l’étouffe, se mue en violence qui fait sauter les barrières une à une, qui fait sauter les boulons un à un. Marie dégringole de plus en plus. Depuis le viol, une autre Marie est apparue.  Cette noirceur, cette part dégueulasse qui a émergé, c’est peut-être la vraie Marie, se dit-elle. Elle a peut-être toujours été cette femme, bien cachée derrière le beau sourire. Ou bien, peut-être qu’à force de côtoyer le bonheur depuis toujours et  de trop près, elle n’a pas eu les armes nécessaires pour se battre contre l’horreur qui lui est arrivée.

Au fil du récit, apparaissent en filigrane, les failles de la famille de Marie. Derrière l’enfance heureuse, peut-être cette pression de toujours préserver les apparences. Est-ce à ce moment là qu’elle a cultivé ce goût du secret et du mensonge par omission ? Pour ne pas décevoir ?

Après une période plutôt difficile dans le roman, la mère de Marie se rend compte que quelque chose cloche mais pour autant, ne pose aucune question. Ingrid, sa sœur, apprend par hasard son secret mais évite de l’interroger sur le viol lui-même et menace de tout raconter à Laurent. Pourtant, elle ne va pas au bout de son intention et choisit le silence. Elle aussi.

Toutes les deux auraient pu aider Marie mais ne l’ont pas fait.

Laurent, lui, ne devine rien. Dans les changements de comportement de sa femme qu’il adore, il voit de la fatigue, du surmenage. Rien d’autre. Néanmoins, il est attentif à l’enfant et s’inquiète quand même. Ils forment de l’extérieur une famille parfaite et personne ne devine que l’enfant est en danger. Ce roman, c’est aussi cela, un kaléidoscope de la famille ordinaire  :  la grossesse, l’accouchement, les aller-retours à la crèche, les repas de familles, les week-ends à la mer, les promenades en poussette. Le tout est étrangement distordu par ce qui se passe dans la tête de Marie et par ce qu’on sait du dénouement.

En effet, dans cette histoire, aucun espoir, aucune ligne d’horizon sur laquelle poser son regard. Aucune fuite possible si ce n’est celle de refermer le livre. Tout est écrit d’avance : l’horreur nous est servi sur un plateau dès le premier chapitre.

Le malheur du bas est un roman coup de poing. On assiste impuissant et mal à l’aise à la descente aux enfers d’une belle jeune femme qui rencontre un loup au détour de sa route bien tracée. Une jeune femme qui, a force d’avoir enjolivé sa vie, pense qu’après avoir subi une violente morsure, elle pourra d’un coup de baguette magique, reprendre sa vie d’avant. Mais ici, on est loin du conte et les fées restent sourdes et muettes. Il n’y a que la réalité brute : celle d’un  secret lourd de conséquences.

Si je ne souhaite pas parler de coup de coeur c’est parce qu’il est difficile de dire, concernant ce roman, qu’on a aimé. On peut à la rigueur dire qu’on a été bouleversé, secoué ou choqué. J’ai mis beaucoup de temps à me remettre de mes émotions et à pouvoir parler de ce roman. Mais au bout de compte, je peux affirmer que c’est un des livres les plus marquants que j’ai lus de cette rentrée littéraire. J’estime qu’il faut beaucoup de courage à une jeune auteure pour livrer un premier roman aussi cru et dérangeant. Surtout sur des sujets aussi fort que le viol et la famille. Et je le conseille donc. Attention aux âmes trop sensibles tout de même, aucun détail n’est épargné.

4EME de couv

« Au cœur de la nuit, face au mur qu’elle regardait autrefois, bousculée par le plaisir, le malheur du bas lui apparaît telle la revanche du destin sur les vies jugées trop simples. » Dans ce premier roman suffoquant, Inès Bayard dissèque la vie conjugale d’une jeune femme à travers le prisme du viol. Un récit remarquablement dérangeant. Le malheur du bas Inès BAYARD Albin Michel https://www.youtube.com/watch?v=ElWxM1iLfHE