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Paul Auster
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gérard Meudal
Actes Sud
2018
1 016 pages
Lu sur liseuse
Ne vous êtes-vous jamais demandé ce qu’il serait arrivé si vous n’aviez pas pris telle ou telle décision, si vous n’aviez pas rencontré telle ou telle personne, si vous aviez été reçu à ce concours plutôt qu’à celui-là, si vous aviez succombé au charme de ce beau brun ténébreux… Et bien Paul Auster s’est posé toutes ses questions et d’autres encore dans cette histoire.
Une histoire dont Ferguson est le héros… Si son père prend cette direction, allez à la page x, si son père et sa mère prennent cette voie, allez à la page y… Telle pourrait être la description de cet ample roman.
Je n’avais lu qu’un seul roman de Paul Auster avant celui-ci, je ne me souviens plus du titre, je crois même que je n’avais pas été très emballée, mais je n’en suis même pas sûre. Je ne suis donc pas une Austérienne dans l’âme et j’ai entamé la lecture de ce pavé vierge de toute idée préconçue sur l’auteur et ses écrits.
Je ne savais même pas ce qu’il en retournait, ayant eu bien soin de ne rien lire qui racontait quoi que ce soit de ce roman. D’où mon étonnement, un retour en arrière, une relecture, un feuilletage rapide (pas facile avec la liseuse) à la lecture du second chapitre !
Quand j’ai compris qu’il s’agissait de 4 versions de la vie de Ferguson, j’ai commencé à prendre des notes, ayant peu confiance en ma mémoire, ayant peur de me perdre dans les différentes versions, de mélanger les personnages, leurs relations, puis j’ai arrêté parce que Paul Auster resitue rapidement le contexte au début de chaque chapitre et finalement, on s’y retrouve plutôt bien.
Mais quel intérêt d’intercaler les vies, me direz-vous ? N’aurait-il pas pu les écrire les unes à la suite des autres.
Et bien, c’est ce qui fait en partie le charme du livre.
On retrouve des personnages d’une version à l’autre mais dans des parcours de vie différents et il est intéressant de les entremêler à la même période de leur vie… Les personnages principaux ne jouent pas le même rôle dans la vie de Ferguson. Et on se plait à retrouver certains tout petits rôles secondaires d’une version à l’autre, comme un clin d’œil que nous ferait l’auteur.
La toile de fond politique est très importante, et selon les versions le même regard n’est pas porté sur elle. Ainsi, en intercalant les différentes vies de Ferguson, on suit l’histoire des Etats-Unis dans l’ordre chronologique.
Les constantes mais traitées de différentes manières : le sexe, les événements politiques, le journalisme, l’écriture, le baseball, le basketball, le cinéma, la judaïté, la France… en vrac et dans le désordre.
Je reconnais que chaque histoire n’est en rien originale, c’est l’écriture de Paul Auster qui m’a séduite avant tout. Quelle fluidité ! J’avais l’impression que l’auteur me racontait l’histoire à moi seule, autour d’un verre, avec ses longues phrases, ses réflexions, cette manière d’évoquer un événement futur vers lequel on ira, ses sourires dans la voix. Cette musicalité m’a accompagnée avec bonheur et même si parfois, j’avoue avoir lu quelques passages en diagonale (très peu d’ailleurs), même si j’ai eu l’impression de quelques répétitions et de quelques longueurs, j’ai adoré être embarquée dans l’univers des Ferguson, j’ai acquiescé à de multiples reprises sur des réflexions, j’ai souri aux aventures parfois rocambolesques du personnage, j’ai été émue à d’autres moments, j’ai toujours été captivée. En fait, l’enthousiasme de l’auteur est communicatif.
Les personnages importants sont des figures féminines : la mère et Amy. Mais l’amitié masculine est aussi très développée.
Et une mention spéciale à l’histoire des chaussures que j’ai adorée.
Et la connaissance de l’auteur en littérature, musique, poésie… et ces livres qu’on a envie de lire ou relire…
Et une réflexion approfondie sur la création romanesque…
Et ce questionnement sur nos choix de vie…
Et puis quelle fin ! Bravo ! Je n’en dirai rien, y compris sous la torture, mais j’ai admiré la construction du roman. Il n’était pas facile de boucler une telle fresque, cela a été fait avec brio. D’autant plus que j’ai eu très peur d’être frustrée par la fin d’un chapitre mais je n’en dirai pas plus…
« Elle avait seize ans, bientôt dix-sept. Le tableau blanc n’était plus complètement vide mais elle était assez jeune pour savoir qu’elle pouvait encore effacer les mots qu’elle y avait écrits, les effacer et repartir à zéro si l’envie lui en prenait. »
« Je suppose que je détesterai toujours ce que tu feras, mais continue à écrire, Archie, ne m’écoute pas. Tu n’as pas besoin de conseils, tu n’as besoin que de persévérance. Comme ton cher ami Edgar Allan Poe l’a conseillé un jour à un écrivain en herbe: Soyez audacieux – Lisez beaucoup- Ecrivez beaucoup- Publiez peu – Tenez vous à l’écart des petits esprits – et n’ayez peur de rien. »
Et qui mieux que Paul Auster parle des romans qu’il a lus :
« Crime et châtiment » fut l’éclair tombé du ciel qui le fracassa en mille morceaux et quand il parvint à s’en remettre, il ne subsistait plus chez Ferguson le moindre doute quant à son avenir. Si un livre pouvait être cela, si c’était cela l’effet qu’un roman pouvait provoquer dans le cœur, l’esprit et la vision la plus intime qu’on pouvait avoir du monde, alors écrire des romans était la meilleure chose qu’on puisse faire dans la vie, car Dostoïevski lui avait montré que les histoires imaginaires pouvaient aller bien au-delà du plaisir et du divertissement, vous arracher le sommet du crâne, vous ébouillanter, vous frigorifier, vous déshabiller et vous jeter dehors nu, en proie aux vents violents de l’univers, et à compter de ce jour, après s’être débattu dans tous les sens pendant son enfance, perdu dans les miasmes toujours plus épais de la perplexité, Ferguson, enfin, savait où il allait ou du moins savait où il voulait aller et pas une seule fois au cours des années suivantes il ne revint sur sa décision, pas même pendant les années les plus dures quand il avait l’impression d’être au bord du précipice.
Une seconde participation au challenge de Brize.