- Le billet sur "Dévoreur" (disponible en poche chez J'ai Lu, précédé du "Roi cornu").
- Le billet sur le tome 1 du "Sentier des Astres" (disponible en poche chez J'ai Lu).
- Le billet sur le tome 2 du "Sentier des Astres" (disponible en poche chez J'ai Lu).
Ce printemps a vu sortir la suite du cycle de Stéphane Platteau "le Sentier des Astres", dont le premier tome, "Manesh", a reçu un prix Imaginales il y a 3 ans, déjà. Et c'est toujours un plaisir de retourner au Vyanthryr et de retrouver l'écriture de l'auteur belge, tellement belle et visuelle, qu'on sent chevillée et lustrée comme un meuble précieux. D'autant qu'on se dit que le répit accordé aux personnages de l'expédition lancée sur le fleuve Framar à la recherche du Roi-Diseur, a sans doute assez duré et que les difficultés vont reprendre. "Meijo", troisième et antépénultième volet de ce cycle, paru aux Moutons Electriques, promet de nouvelles aventures, de nouvelles révélations, de nouvelles méfiances, aussi, au sein d'un groupe sur des charbons ardents... On retrouve la construction gigogne qui préside au cycle et la partie qui retrace la vie d'un des personnage pose la question de l'exil et de la difficulté de s'installer dans une société différente de la sienne. Il reste encore bien des mystères à éclaircir, bien des histoires à raconter, bien des territoires à visiter, avant que n'arrive la fin de la quête, qui n'était sans doute pas celle que ces femmes et ces hommes attendaient en embarquant...
Les membres de l'expédition fluviale partie à la recherche du Roi-Diseur, plus Manesh, rencontré en cours de route, pensaient avoir trouvé chez les Teules le refuge parfait pour reprendre leur souffle, se reposer et réfléchir à la suite de leur voyage. Profondément émus de ce qu'ils ont découvert chez ce peuple des forêts, peut-être envisageaient-ils de prolonger un peu leur séjour.
Mais, ça aurait été oublier quelque chose de fondamental : ils ne sont plus de simples voyageurs remontant le Framar, traversant la forêt boréale du Vyanthryr, non, ce sont des fugitifs, qui ont du s'écarter de leur parcours initial pour fuir un terrible danger. Ils ne se sont pas enfoncés dans la forêt par simple plaisir ou par curiosité, mais pour échapper à des poursuivants.
Des poursuivants qui, justement, se rappellent brusquement à eux. De la pire des manières, car ce sont leurs hôtes teules qui, désormais, se retrouvent en grand danger par leur faute. Et, même si les autochtones ont l'air de prendre les choses avec optimisme et même enthousiasme, une chose est sûr, il va falloir immédiatement reprendre la route, reprendre la fuite.
Mais dans quelle direction ? Le risque est de s'éloigner encore un peu plus du fleuve, de se perdre complètement et de ne plus retrouver son chemin. Alors, encore une fois, ce sont les Teules qui prennent les choses en main. Qui mieux qu'eux pourrait avoir une connaissance approfondie de cette région, et même un peu plus ?
En effet, dans le sillage de ces hommes des forêts, les membres de l'expédition vont être amenés à découvrir des choses qu'ils n'imaginaient même pas... Oh, l'Outre-Monde n'est pas un concept inconnu pour eux, mais flirter ainsi avec lui comme ils vont le faire, prendre le risque de s'y aventurer sous peine d'en subir les désastreuses conséquences, ça, c'est assez nouveau.
Mais, ont-ils le choix ? Résignés à jouer tout sur cet élément de surprise, ils se lancent à corps perdus dans cette nouvelle fuite, redoutant à chaque instant ce qu'ils pourraient devoir affronter. Les Teules sont de parfaits guides, et pas du genre à trahir ou négliger leurs amis, mais la tension est forte et le voyage éprouvant...
Lors des pauses, lorsqu'on s'octroie le droit de souffler un peu, lorsque le calme semble revenu au moins pour quelques instants, lorsque les corps nécessitent qu'on s'arrête, le groupe retrouve certaines habitudes. Jusqu'à ce qu'un événement inattendu et dramatique ne vienne instiller à nouveau une forte méfiance au sein de l'expédition.
Fintan, le barde, reprend alors les choses en main et, dans ce climat sous tension, il demande à Shakti, la courtisane, de poursuivre le récit de son existence, qu'elle avait entamé chez les Teules. Car elle n'a pas eu le temps d'expliquer entièrement comment elle s'était retrouvée courtisane, ni comment elle avait fini par intégrer cette expédition...
Voilà le décor planté, en essayant d'en révéler le moins possible. Mais, bien sûr, on va évoquer le récit de Shakti et le personnage qui donne son nom à ce troisième tome. Sans entrer dans le détail, mais en abordant des thématiques importantes qui traversent ce récit gigogne. Nul doute, nous sommes à la charnière du "Sentier des Astres", les masques vont commencer à tomber...
Dans "Shakti", la courtisane avait raconté les faits qui lui avaient valu disgrâce et exil dans son pays natal. Dans "Meijo", elle reprend son récit au moment où elle quitte l'île où elle a grandi en direction du Royaume de l'Héritage. Là, il va lui falloir découvrir une nouvelle existence, aux antipodes de celle qui fut la sienne.
Loin de l'opulence qu'elle a laissée derrière elle, c'est une vie misérable, en marge de la société à laquelle elle va devoir faire face. Une vie dans un taudis, le diable qu'on tire par la queue plus que de raison pour se nourrir, se vêtir, la nécessité de trouver de quoi gagner sa vie, le regard des autres, de ceux qui la considère comme une étrangère.
Heureusement pour elle, Shakti n'a pas voyagé seule vers ce monde nouveau. Meijo, son amour, son amant, l'accompagne. Mais, curieusement, il semble s'acclimater plus facilement à cette nouvelle vie que Shakti, qui prend sur elle-même, mais ressent un fort sentiment d'humiliation. Jusqu'à ce qu'elle comprenne que Meijo ne s'est pas seulement acclimaté, il a changé...
Comment survivre dans un monde qu'on ne comprend pas, dont on ne connaît pas les codes, qui surtout offre un mode de vie en société très différent de celui auquel on a été habitué ? Voilà l'équation que Shakti doit résoudre, sans se rendre compte, dans sa grande naïveté, qu'elle n'est qu'une variable entourée d'inconnues.
Au passage, ce récit nous offre un regard sur le royaume de l'Héritage, dont on ne savait que très peu de choses jusque-là. Quelques bribes, à travers les récits des membres de l'expédition, mais plutôt sur la situation politique, les troubles et les conflits, une vision qui ne concerne pas la vie quotidienne, qui ne montre pas la société dans son ensemble.
Et, en particulier, elle nous montre une société qui n'a rien d'un petit paradis. Elle est pleine d'inégalités, d'exclusion, c'est une société où l'homme tient le pouvoir et où la femme n'est pas son égale, contrairement à ce que connaissait Shakti jusque-là. C'est finalement une société qui ressemble beaucoup à la nôtre.
Dans cette partie, Stefan Platteau utilise la fantasy et son univers imaginaire pour nous parler de notre monde, celui dans lequel nous évoluons au quotidien. On évoque la misère, les parias, ceux qui doivent se débrouiller pour simplement survivre, mais aussi les étrangers, accueillis plus que froidement, avec défiance et sans entrain.
Son décor pourrait fort bien être une Jungle, pour reprendre un terme dont on a beaucoup parlé ces dernières années en France. Ou n'importe quel endroit où viennent s'entasser ceux qui ont quitter leur terre natale, dans l'espoir d'un monde meilleur. Ou moins pire. Qui découvre un eldorado en toc où ils ne sont pas les bienvenus...
De même, c'est une société où la femme doit se montrer servile et docile, accepter les tâches les plus pénibles sans protester, accepter tout ce qu'on lui propose, en fait, même quand cela semble inacceptable. Pour Shakti, ce sont bien des illusions qui s'envolent et la certitude d'avoir franchi un point de non-retour.
L'histoire de Shakti, c'est l'histoire d'une déchéance. Pas seulement la nostalgie due à l'exil et au mal du pays, mais une espèce de descente aux enfers dont les effets, paradoxalement, vont être d'améliorer les conditions de vie du couple. Mais à quel prix ! Loin du péché originel, elle découvre une vraie duplicité qu'elle ne soupçonnait sans doute pas.
On ressent, dans ce récit, la douleur de la jeune femme, profonde, vivace. Une douleur qui tient autant à ce qu'elle a enduré physiquement qu'à ses stigmates psychologiques. Et ne parlons pas de l'orgueil, irrémédiablement blessé, que rien ne pourra sans doute guérir. Il est dur, le récit de la courtisane, et pourtant, ses interlocuteurs ne montrent guère de pitié ou de compassion.
Il faut dire que ce récit, entrecoupé par des déplacements, de nouveaux rebondissements et une pression venue de l'extérieur qui enfle, intervient dans un climat loin d'être idéal pour exprimer ce genre de sentiment. A la place, dominent la colère, la soif de vengeance, la méfiance absolue, un doute qui grignote les esprits et instille la paranoïa chez les membres de l'expédition...
Chacun semble guetter l'indice dans le récit de la courtisane qui la condamnera. Il y a plus que de la rancune, chez ces hommes, il y a de la haine et, s'il n'y avait Fintan pour essayer de calmer les esprits, il est probable qu'elle n'aurait pas eu le temps d'arriver au bout de son récit avant d'être occise pour de bon par les marins enragés.
Comme dans les premiers tomes, on retrouve donc ce double récit, celui de Fintan, le barde, qui est le fil conducteur du cycle, et celui d'un de ses compagnons de voyage parmi ceux dont la présence intrigue au sein du groupe. Deux récits imbriqués l'un dans l'autre, deux récits qui se nourrissent l'un l'autre, aussi, puisque les éléments glanés dans chacun d'eux apportent de nouvelles pièces au puzzle.
A ce point du billet, mais aussi à ce point du cycle, en sachant comment se termine ce troisième tome, mon esprit fourmille d'interrogations, de doute, d'hypothèses plus ou moins bien étayées. Il faudra patienter pour en savoir plus, pour lever certains doutes ou confirmer certaines théories, pour que l'ensemble des masques tombe, pour reprendre cette expression.
Car, oui, il reste bien des mystères encore à éclaircir au sein de ce groupe. Et des récits à achever. Ce qui est intéressant dans cette partie du roman, dans cette trame-là, c'est la relation entre les personnages qu'on pourrait prendre de prime abord sous un angle simplement manichéen, mais qui s'avère nettement plus complexe.
Une tension psychologique forte, qui tient en particulier à la personnalité des deux narrateurs impliqués. On s'observe, on se scrute... Comme souvent lorsqu'on a une narration à la première personne, difficile de ne pas se demander si celui, si celle qui parle ne prends pas quelques petits arrangements avec la vérité...
Quant aux événements que vivent les membres de l'expédition, ils ne les ménagent pas, encore une fois. Le calme du village teule n'est qu'un souvenir qui ne cesse de s'éloigner, les dangers se multiplient et la peur croît. On a la sensation d'être dans un labyrinthe, mais plutôt façon "Shining", avec à chaque coin de bois, de nouvelles mauvaises surprises à l'affût.
L'écriture de Stefan Platteau, qui est l'un des points forts ce cycle, si belle, si visuelle, pleine de poésie mais aussi de violence, permettant de s'immerger dans les deux univers qui se côtoient, est toujours là, aussi puissante. A ceux qui reprochent le rythme de ce cycle, qui ne jurent que par la vitesse et l'excitation, mais laissez-vous porter !
On retrouve ces décors merveilleux, ces descriptions pleines de vie et de sève, des récits qu'on aurait envie d'écouter, à la veillée, assis autour du feu (mais sans se sentir sous la menace de quelque créature ignoble tapie bien trop près ; plutôt avec un verre à portée de main). Car la force de cette plume, c'est ça : de parfaitement retranscrire à l'écrit l'oralité des récits proposés.
Ah, j'allais oublier un élément fondamental ! En fait, non, je le gardais soigneusement pour la fin, pour les courageux qui sont arrivés jusque-là. Sans doute, comme moi, vous demandez-vous depuis la lecture de "Manesh" ce qu'est le fameux Sentier des Astres qui donne son nom à ce cycle. Eh bien voilà, on y est, enfin on a les premières explications, les premiers éléments...
Tout n'est pas encore dévoilé, on ne dispose pas encore de la totalité des éléments, mais on a une idée bien plus précise de ce dont il s'agit. Et l'on commence à imaginer comment Stefan Platteau va pouvoir utiliser cela dans la suite et le dénouement de cette histoire... Mais non, n'imaginons pas. Attendons sagement, patiemment la suite et les surprises que l'auteur va encore nous réserver.
Et souvenez-vous du mot d'ordre : laissez-vous porter !