Ingrid Thobois
Buchet-Chastel
23 août 2018
213 pages
Il est photographe de guerre. Il porte en lui des cicatrices mal refermées. Durant ce voyage qui le ramène à Rouen dans cet appartement qu’il ne voulait plus jamais revoir, des bribes de sa vie, des tableaux comme des instantanés nous sont dévoilés.
Avec une écriture d’une justesse incroyable, des phrases que l’on déguste lentement pour s’en imprégner, ou que l’on relit pour les mémoriser (mais la mémoire est rebelle alors on y revient plus d’une fois), Ingrid Thobois démêle les nœuds du deuil.
« Tout le monde parle de « travail de deuil ». Il n’y a pas de « travail de deuil ». Il y a une infinité de portes ouvrant sur une infinité d’autres portes. Il y a le franchissement d’une succession de sas qui n’isolent de rien et ne favorisent aucun passage. »
Ce parcours du combattant n’est pas moins périlleux que celui de l’homme saisissant les horreurs de la guerre. Il faut aussi faire preuve de courage pour affronter ses démons intérieurs. De même qu’à Sarajevo, il faut éviter la ligne droite quand on marche dans la ville, le retour de Joaquim à Rouen prend les chemins de traverse, d’une pensée à une autre, le lecteur zigzague au gré des souvenirs du personnage et de sa compréhension des événements passés. A l’image de la photo (argentique) qui était à elle seule un éloge de la lenteur, de la patience, de l’observation, de la réflexion, l’auteure prend le temps de poser le décor, de dénouer les fils pour suivre celui qui le mènera (un peu tard à mon gré) dans cette ville à la merci des snipers, Sarajevo, ville dans laquelle Joachim est allé après un événement dramatique.
Ingrid Thobois a un talent certain pour mettre des mots sur nos ressentis, pour dire l’indicible. Son écriture est sensible, précise.
Cependant, au terme de ce voyage en train, j’avoue que l’auteure m’a laissée sur le quai avec une impression d’inachevé que je ne saurais définir. Peut-être l’envie de continuer un bout de chemin avec Joaquim, peut-être un récit qui se termine trop abruptement à Sarajevo, peut-être une incompréhension devant ce que Joachim trouve à Rouen, peut-être le regret que le thème de la photographie n’ait pas été plus développé, notamment dans les liens qu’elle entretient avec la mort, peut-être cette impression de n’avoir évolué qu’à la surface des choses. En fait, quand j’ai refermé le livre, je me suis juste dit : « tout ça pour ça… ». Il est clair que je n’ai pas le talent d’Ingrid Thobois pour poser sur mon ressenti final des mots justes.
Comme dans Le plancher de Jeannot que j’avais beaucoup aimé, Ingrid Thobois s’inspire d’un fait réel. Miss Saravejo a bien été élue en 1993, comme un pied de nez à la guerre, à la violence, à la bêtise humaine. Il en est resté une chanson.
Merci à Babelio et aux éditions Buchet-Chastel pour cet envoi.
Antigone a beaucoup aimé, Alex est mitigée (nos avis se rejoignent me semble-t-il), Kathel est mitigée mais pas pour les mêmes raisons. Jérôme et Noukette ont évoqué la délicatesse de l’écriture (et ils ont bien raison !).