Je garde un excellent souvenir de Surtout rester éveillé de Dan Chaon. Un recueil de nouvelles dont la lecture m’a profondément émue. Avec la parution de Une douce lueur de malveillance et la venue de l’auteur au Festival America, l’occasion était belle de plonger dans son dernier roman. J’ai dévoré cette Douce lueur de malveillance dans le temps d’le dire. Au final, je ne sais pas trop quoi en penser... Il faut dire qu’il n’est pas facile de s’y retrouver dans ce roman labyrinthique.
Lorsque le roman débute, Dustin reçoit un appel de sa cousine Kate, qui lui apprend que Rusty, son frère adoptif, est sur le point d’être libéré de prison, sur de nouvelles preuves ADN, après avoir purgé une peine de trente ans. Ce coup de fil replonge Dustin trente ans plus tôt, en juin 1983, alors qu’il avait treize ans. Dustin s’est réveillé un matin, découvrant les corps ensanglantés de son père, de sa mère, de sa tante et de son oncle. Cette nuit de massacre aura marqué sa vie à jamais. Mais jusqu’à quel point, avec le passage du temps, les souvenirs se déforment-ils? Quelle est la fiabilité de la mémoire?
La plupart des gens semblaient se croire experts de leur propre vie. Ils avaient toute une série de souvenirs qu’ils enfilaient comme des perles, et ce collier racontait une histoire sensée. Mais elle pressentait que, dans leur ensemble, ces histoires ne tenaient pas debout si on y regardait de plus près - qu’en fait, nous nous contentions de jeter un coup d’oeil à notre vie par un trou de serrure, et qu’une bonne partie de la vérité, que la réalité de notre vécu, nous était cachée. Les souvenirs n’étaient pas plus fiables que les rêves.· · · · · · · · ·
Différentes intrigues s’entremêlent tout au long du roman. Dan Chaon écrit au passé et au présent, tantôt à la première, à la deuxième ou à la troisième personne.
Les voix alternent au gré des chapitres. Des pensées inabouties, en suspens, représentées par des espaces blancs dans la page, des textos et des scènes simultanées disposées en colonnes parallèles parsèment le roman. J’ai trouvé la forme audacieuse, originale, même si je me suis, par moment, égarée en chemin. L’intrigue développée autour de la tragédie familiale m’a captivée, celle autour des meurtres des jeunes hommes un peu moins. Quant à celle autour d’Aaron, l’ado toxicomane de Dustin, je suis mitigée.Une douce lueur de malveillance ratisse large: les cultes sataniques, la toxicomanie, le cancer, les traumatismes de l’enfance et ses répercussions à l’âge adulte… Le dernier quart du roman est redoutable: toutes les pièces s’imbriquent, offrant un tableau d’ensemble d’une noirceur crépusculaire. Dan Chaon maîtrise avec une grande justesse l’art de développer des personnages complexes et aboutis, il saisit à merveille les déraillements de la vie et ses pas de côté.Dan Chaon explore de nouvelles zones, se met à l’épreuve et ça, c’est admirable. Hélène Fournier, la traductrice, a toute mon admiration devant le défi titanesque qu’a dû représenter la traduction de ce roman. Quelques cheveux blancs ont dû lui pousser! Pour s’aventurer dans Une douce lueur de malveillance, il faut être prêt à avancer en tâtonnant, accepter de ne mesurer la force et la puissance de ce roman qu’au sortir de ses 500 pages. L’aventure, périlleuse, en vaut la chandelle.Un roman audacieux, tentaculaire, qui prend à la gorge. J
’en suis sortie étourdie.Une douce lueur de malveillance, Dan Chaon, trad. Hélène Fournier, Albin Michel, 544 pages, 2018.★★★★★