A son image
Jérôme Ferrari
Actes sud
Août 2018
219 pages
«Sur les photographies, les vivants mêmes sont transformés en cadavres parce qu’à chaque fois que se déclenche l’obturateur, la mort est déjà passée.»
Antonia, après avoir fixé pour l’éternité un mariage, retrouve un légionnaire qu’elle a rencontré pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Ils passent une partie de la nuit à parler. Elle décide de rentrer juste après, épuisée. Sa voiture fait une embardée sur une petite route corse et bascule au fond d’un précipice. La célébration funèbre de la jeune femme sera propice à une réflexion sur le rôle de la photographie, à l’évocation du nationalisme corse, et à l’échec d’une vie écartelée entre le désir d’être et de faire et la réalité.
Le titre, ambivalent, résume à lui seul le contenu du roman : la photographie et la religion. Le rapport de l’homme avec Dieu, de l’homme avec l’homme, de l’homme avec la société, de l’homme avec la guerre, Jérôme Ferrari confronte la vie et la mort dans un style irréprochable. J’ai aimé cette musique-là, celle des longues phrases qui résonne longtemps dans notre esprit, celle qui touche le cœur et l’âme, parce qu’il y a quelque chose de mystique dans ce texte.
Dans chaque chapitre, des photographies sont décrites comme si on les voyait. Les mots au service des images. Celles d’Antonia, fictives, et puis celles bien réelles de photographes cités à la fin du livre. Quant à Gaston Chéreau et Rista Marjanovic, deux photographes du début du vingtième siècle, ils ont donné lieu aux deux chapitres les plus passionnants du livre (selon moi) et ont permis à l’auteur de développer une réflexion sur la photographie de guerre.
« … il n’a pas seulement pris la photo d’un soldat famélique à l’agonie mais il a capté une fois pour toutes, en une seule image saisissante, le visage du siècle. »
Il y a la photographie pour rendre compte, pour sortir les gens de leur ignorance, pour informer, celle qu’Antonia aimerait faire et puis la photographie de complaisance (que l’on prend au grand angle pour qu’il y ait le plus possible de personnes dessus, personnes qui seront contentes de se retrouver là, fixées dans un journal local), celle qu’elle déteste mais qu’elle fait malgré tout, et qu’elle délaissera juste le temps d’aller en ex-Yougoslavie (pour son compte personnel).
« Le parrain d’Antonia faisait le tour du cercueil, l’encensoir à la main, en pensant que jamais plus il ne voulait porter en terre quelqu’un qu’il avait connu enfant. S’il restait ici, il lui faudrait pourtant le faire à nouveau. Car rien ne changeait, rien ne cessait, rien ne commençait.»
Jérôme Ferrari dont je n’avais encore jamais rien lu, m’a charmée.