Le déjeuner des barricades – Pauline Dreyfus
Éditions Grasset & Fasquelle (2017)Mercredi 22 mai 1968, Paris. Alors que la France est paralysée par les manifestations et les grèves, le déjeuner que doit donner Florence Gould à l’hôtel Meurice pour la remise du prix Roger-Nimier parait bien compromis. En effet, la veille, le personnel de l’hôtel a, par motion, voté l’autogestion, reléguant le directeur dans son bureau, désœuvré et incertain du futur cours des évènements. Mais autogestion ne veut pas dire grève et la vie de l’hôtel continue, chacun exerçant ses fonctions comme il lui sied, conscient malgré tout de l’importance de ses responsabilités. La tenue du déjeuner est donc votée par l’assemblée du personnel, comme une preuve de la capacité de l’équipe à s’autogérer et à maintenir le niveau du palace dans ces temps troublés. Mais d’autres difficultés doivent être résolues, comme celle de l’approvisionnement des victuailles pour composer un menu digne de ce nom ou comme le casse-tête de réunir auprès de la milliardaire et autour du lauréat du prix un nombre suffisant de convives, la plupart des invités habituels ayant renoncé à faire le déplacement ou étant dans l’impossibilité de le faire en raison des perturbations dans les transports. Heureusement, il reste quelques personnalités de marque dans l’hôtel, comme Salvador Dalí ou le milliardaire américain J. Paul Getty et s’il le faut, l’on conviera aussi les autres occupants de l’établissement, comptant sur leur bonne éducation et leur capacité à s’intégrer au groupe d’intellectuels réunis pour l’occasion.
Je ne connaissais pas Pauline Dreyfus et je la découvre avec ce roman plein de fantaisie, bourré d’humour et néanmoins très instructif puisqu’elle évoque, au delà des évènements de 68, la façon dont, en 1944, l’amiral Choltitz, logé au Meurice, désobéit à Hitler et épargna Paris en refusant d’ordonner son bombardement. Autre sujet de satisfaction avec ce livre, c’est que le lauréat du prix Roger-Nimier en 1968 était Patrick Modiano pour son roman La place de l’étoile, et qu’il est vraiment intéressant de retrouver le tout jeune auteur à l’élocution déjà hésitante comme l’un des personnages de cette histoire. Il n’est d’ailleurs pas le seul, puisque l’on côtoie aussi Paul Morand, Jacques de Lacretelle, Marcel Jouhandeau parmi les convives. Et puis, il y a aussi l’envers du décor, les employés du palace que l’on suit au cours de cette journée peu ordinaire, ceux que l’on ne voit jamais d’habitude, qui se doivent d’être transparents pour les occupants tout en assurant leurs fonctions, et qui réagissent, chacun à leur manière, à la nouvelle organisation du travail dans l’hôtel.
Bref, une réussite que ce roman que je recommande vivement !
Extrait page 33-34 :
La conciergerie de l’hôtel fait office de tour de contrôle. C’est donc là qu’il faut se rendre pour reconstituer les itinéraires des uns et des autres. Au moment où le directeur s’approche du concierge, il surprend son regard horrifié : une femme de ménage est en train de passer la serpillière sur le marbre du hall d’entrée, sous les yeux des clients. C’est contraire à tous les usages, qui veulent que dans un hôtel de luxe ce genre de tâche s’effectue plutôt la nuit. À dire les choses franchement, cela relève d’un hôtel de deuxième ordre. Mais l’autogestion est passée par là ; C’est maintenant ou pas du tout, a déclaré l’employée que n’émeuvaient pas les regards courroucés du concierge. Le directeur est sur le point de marquer sa désapprobation quand il se souvient qu’il n’est plus directeur. Il faut taire le blâme et se résigner à l’offense.