Titre bien mystérieux, que je me garderai de vous expliquer, soyez-en sûrs. Mais je me rends compte en même temps qu'il sera bien difficile de parler de ce livre, dont l'intrigue repose sur un crime et des circonstances... étranges, c'est le mot qu'emploient les personnages, et particulièrement la principale enquêtrice, qui n'a jamais été aussi perplexe que face à cette affaire... Après le succès de son roman "le Cri" (désormais disponible en poche), Nicolas Beuglet met en scène une nouvelle fois l'inflexible inspectrice norvégienne Sarah Gerigën dans "Complot" (en grand format chez XO éditions), un thriller fort mouvementé, construit autour de thématiques très fortes et surtout très actuelles. Et un roman qui joue sur une étonnante mise en abyme du personnage principal, habituellement portée par une confiance inébranlable en elle et ses capacités, et ici plongée dans le doute et l'incertitude...
Quelques mois après la fameuse "affaire 488" (résolue dans "le Cri"), l'inspectrice de police norvégienne Sarah Gerigën et son compagnon français, le journaliste Christopher Clarence, ont décidé de s'installer ensemble, afin de former une famille pour le jeune Simon, dont ils ont obtenu la garde après les événements tragiques qu'il a connus.
Et pour reprendre le fil de leurs existences dans le plus grand calme, ils ont choisi de s'installer sur une île très peu peuplée, mais proche d'Oslo, l'île de Grimsøya. Une maison pour le moment encore pleine de cartons, la nature, les eaux du fjord tout autour, idéal pour repartir du bon pied après un choc aussi lourd.
Mais, l'emménagement ne va pas se passer comme prévu : voilà qu'un hélicoptère des forces spéciales norvégiennes vient se placer au-dessus de la maison. L'objectif annoncé est de venir chercher (réquisitionner serait plus juste, d'ailleurs) l'inspectrice Sarah Gerigën pour une mission ultra-secrète et ultra-urgente. Avec départ séance tenante...
Les objectifs des nouveaux parents sont bouleversés, mais Sarah et Christopher comprennent bien que "non" ne serait pas une réponse acceptable. Et puis Sarah reste une femme flic, avec la curiosité chevillée au corps et l'instinct que si on fait appel à elle, ce n'est pas pour une banale affaire de droit commun, mais pour quelque chose d'autrement plus sérieux.
On la prévient d'emblée : on l'emmène loin de Grimsøya, mais elle ne saura exactement où et pourquoi une fois sur place. Après plusieurs heures de vol, la voilà à l'autre bout du pays, précisément dans la ville de Vardø. Vos connaissances en géographie norvégienne sont un peu limitées ? Pas de souci, comme souvent, une petite carte, ça aide : Vardø, c'est la petite étoile rouge, collée au bord droit du cadre.
On est sur la mer de Barents, très au nord de l'Europe, mais surtout, c'est la dernière ville du pays avant la frontière avec la Russie, et forcément, ce n'est pas anodin. Pourtant, Vardø n'est pas le point final du voyage de Sarah. On lui fait traverser un bras de mer pour poser le pied sur un îlot, Hornøya, connu pour être une réserve naturelle où vivent de nombreuses espèces d'oiseaux (la photo de couverture, prise par l'auteur, montre son phare et la falaise).
Mais, pour la policière, cet endroit a fait tilt de manière très différente : c'est là que la Première Ministre norvégienne, Katrina Hageback, possède une résidence secondaire où elle se rend dès que ses fonctions le lui permettent. Un tel déploiement de forces pour venir la chercher et l'emmener là, ce n'est pas de très bonne augure...
Là voilà sur une scène de crime exceptionnelle : la victime est bien celle qui, quelques heures plus tôt, dirigeait le gouvernement du pays. Mais l'identité de la victime n'est pas la seule chose exceptionnelle dans cette histoire : la mise en scène de ce crime est très particulière. Et surtout, elle ne tient absolument pas debout.
"Etrange", c'est le mot qui revient sans arrêt, dans la bouche des policiers locaux, des militaires, des premiers enquêteurs. Et c'est un mot qui va bientôt s'imposer aussi à Sarah, qui ne parvient pas à lire la scène de crime comme elle le voudrait. Les éléments dont elle dispose ne sont pas cohérents, les indices ne s'assemblent pas et les premières théories échafaudées sont simplement impossibles.
Mais plus que tout, c'est le comportement de la victime qui intrigue Sarah : car l'hypothèse la plus plausible, ce serait que la Première Ministre elle-même aurait saboté la scène de crime avant de pousser son dernier soupir, comme si elle voulait brouiller les pistes, comme si elle voulait protéger son ou ses assassins...
Commence alors une enquête extrêmement complexe et délicate, à la poursuite d'un assassin qui va, Sarah en est certaine, frapper à nouveau, mais aussi du mobile de ces meurtres. Avec pour seule certitude que l'encombrant voisin russe n'est pour rien dans tout cela, et tant pis si c'est ce que certains voudraient croire... ou essayer de faire croire...
Alors, première chose, rien sur la mise en scène du meurtre, sur les détails macabres et les premières découvertes de Sarah sur l'île de Hornøya. A vous de lire "Complot" pour avoir ces informations. Mais, il faut reconnaître que c'est extrêmement troublant, étrange, même pour reprendre ce mot qui est quasiment un leitmotiv des premiers chapitres.
La deuxième chose, dont on va comprendre par la suite qu'elle n'est pas anodine, c'est l'accueil pour le moins glacial (et la météo n'y est pour rien) que reçoit Sarah en arrivant devant la maison de la Première Ministre. On ne semble pas ravi, chez les policiers présents, de cette intervention imposée par la force des choses. Et encore moins de voir une femme prendre les affaires en main...
Car oui, le paradoxe de cette histoire, c'est le climat misogyne que l'on ressent et qui semble imprégner la société norvégienne entière, malgré le choix d'une Première Ministre et malgré l'image assez progressiste que l'on peut avoir de ce pays habituellement. C'est palpable, et la si fine Sarah Gerigën ne peut que le ressentir.
On ne peut pas dire que Sarah soit un personnage particulièrement chaleureux elle-même, elle a ce côté intuitif qui fait qu'elle réfléchit intérieurement sans forcément partager ce qu'elle a en tête, qu'elle apparaît toujours un peu en marge du reste des personnes présentes, presque absente, parfois, et qu'elle peut sembler à cause de cela assez hautaine.
Mais là, c'est bien plus rude que cela : elle est femme, et malgré sa réputation et la récente résolution de l'affaire 488, on ne lui montre pas une confiance phénoménale, y compris parmi ceux qui assurent désormais l'intérim à la tête du pays... Petit à petit, entre cette scène de crime étrange et cette hostilité à peine déguisée, une vilaine mécanique s'enclenche.
Et voilà que Sarah Gerigën, l'inflexible, l'inoxydable, se retrouve en proie au doute, un sentiment qui va l'accompagner tout au long de cette enquête si délicate... Et ce n'est pas rien, vous le verrez, car sans sa sérénité et son détachement habituels, Sarah ressent une pression qu'elle n'a sans doute jamais connue jusqu'alors et qui peut être source d'imprécisions, d'erreurs...
Avant d'aller plus loin, j'aurais déjà pu le dire, d'ailleurs, sachez qu'on peut parfaitement lire "Complot" sans avoir lu "le Cri" (ce qui est mon cas, mais je vais combler cette lacune, promis !). Les deux enquêtes sont parfaitement indépendantes l'une de l'autre. Toutefois, le contexte familial de Sarah découle directement de ce précédent roman, il n'est donc pas inutile de lire dans l'ordre de sortie.
En effet, la question de la famille, en opposition à la carrière, se pose de façon importante, on pourrait même dire qu'elle va aller crescendo au fil de l'histoire, lorsque l'enquête va s'emballer et obliger Sarah à se concentrer uniquement sur sa quête, dans une course contre la montre macabre. D'autant que Christopher va lui aussi se retrouver impliqué dans l'affaire, plus qu'il ne l'aurait sûrement souhaité...
Famille, vie personnelle, vie professionnelle, j'ai l'air d'insister sur cette aspect en évoquant Sarah, ne voyez pas en moi (ni en Nicolas Beuglet) un vilain rétrograde, c'est au contraire un des symptômes importants de ce roman qui nous amène aux thématiques centrales de cette histoire, et en particulier la position de la femme dans les sociétés actuelles, à dominante masculine.
Je ne vais pas en dire trop, car il faut vous laisser la primeur de découvrir les révélations concoctées par Nicolas Beuglet, mais j'ai vu dans une interview qu'il a donnée, que l'idée de ce thriller avait germé avant que n'éclate l'affaire Weinstein et qu'elle engendre des mouvements comme #MeToo ou #BalanceTonPorc.
Oui, la femme est au coeur de ce roman, et sa situation non seulement en 2018, mais tout au long de l'histoire de l'humanité. Sarah et Christopher vont devoir quitter la Norvège pour remonter la piste de l'assassin de la Première Ministre, mais également celle de ses probables futures victimes. Et chaque jalon mis au jour fait référence à des moments clés de l'histoire de l'humanité, et des femmes en particulier.
En fait, c'est comme si le travail d'enquêteur se rapprochait de celui d'archéologue : on plonge dans le passé, dans des périodes oubliées, à la rencontre de personnalités méconnues ou laissées dans l'ombre, dans des lieux où se sont déroulés des événements majeurs, à condition de les appréhender différemment de l'habitude. Un changement de grille de lecture.
Derrière le côté thriller, avec vitesse, action, violence, rebondissements et tout l'arsenal du genre, Nicolas Beuglet glisse des éléments de lecture passionnants et en apprend énormément à ses lecteurs. Certains aspects vous parleront peut-être, tous, j'en doute. Et c'est "normal" (les guillemets ne sont pas neutres), puisque ce sont les vainqueurs qui écrivent l'Histoire et que les vainqueurs, ce sont les hommes.
Le romancier mêle la fiction pure et des éléments bien réels, en particulier des personnages historiques aux parcours absolument sidérants. Cela ajoute une touche importante à cette histoire qui serait captivante sans cela, je pense, une sorte de supplément d'âme. La réalité vient étayer la fiction pour bien dire au lecteur : attention, ceci n'est pas qu'un divertissement.
Chose amusante, j'avais découvert un des éléments très importants de "Complot" dans un autre roman il y a quelques mois, dans un contexte narratif et littéraire complètement différent, presque aux antipodes, même. Le livre s'appelait "l'Opium du ciel", et je joins le lien vers le billet concernant sur ce roman de Jean-Noël Orengo, en précisant qu'il faut le lire après avoir lu "Complot", sinon...
Parenthèse promotionnelle refermée, je vais finir en évoquant Sarah Gerigën. J'ignore ce que lui réserve à l'avenir Nicolas Beuglet, mais ce "Complot" est un tournant pour elle, et pas dans le bon sens. Ces dernières années, face aux héros sans peur, sans reproche et sans faille qu'on a longtemps connus, se sont imposés des personnages plus contrastés, faillibles, parfois fragiles.
Avec Sarah Gerigën, ce n'était pas le cas. On a un personnage qui semble imperméable aux pressions extérieures, sûre de ses forces et de ses compétences. Oh, évidemment, on peut dire qu'il s'agit d'une carapace, une forme de protection justement pour ne pas donner prise au mal, à la peur. Quitte à renvoyer au lecteur l'image d'une certaine froideur, d'un manque d'empathie.
Mais, dès les premières pages de "Complot", cette image va être remise en cause. Dans un premier temps, Sarah n'hésite pas à monter dans l'hélicoptère, à laisser derrière elle sa nouvelle famille. On n'est pas loin de trouver la policière égoïste, au détriment de Simon, si fragile, encore traumatisé et qui aurait bien besoin d'elle pour appréhender sa nouvelle existence.
Puis, dans un second, une fois sur la scène de crime à l'autre bout du pays, entre la misogynie qu'elle ressent, le doute qui s'instille et les questions auxquelles elle peine comme jamais à trouver des réponses, des lézardes apparaissent à la surface de l'armure. Et elles vont aller en s'élargissant jusqu'à un final tout à fait inattendu, qui laisse Sarah dans une position très délicate et un état d'esprit profondément abîmé.
Il y a un paradoxe fort dans cette évolution du personnage principale du livre et ce qu'elle va mettre en évidence, puisqu'on la découvre femme forte dans un monde dominé par les hommes, une forme d'exception qui remet en cause l'ordre établi, celui où l'autorité émane naturellement du masculin. Or, alors que toutes ses découvertes pourraient remettre en cause cet état de fait, elle entame un violent déclin...
Je ne vais pas plus loin sur ce thème, vous vous ferez votre propre idée, mais j'ai trouvé cette construction avec cette mise en abyme très intéressante. Je voudrais encore vous parler de ce tueur, très bien cerné par Nicolas Beuglet, correspondant à un portrait-robot très actuel, là aussi, horriblement actuel...
Il y a beaucoup d'enseignements à retirer de cette lecture, car le thriller, je le réécris, ce n'est pas toujours un genre ne véhiculant aucun fond. Je le dis d'autant plus en tant que lecteur, donc en tant qu'homme, car c'est finalement principalement à nous, Messieurs, que s'adresse le message de Nicolas Beuglet. Evoluons ! Faisons évoluer les choses !
Quelques mois après la fameuse "affaire 488" (résolue dans "le Cri"), l'inspectrice de police norvégienne Sarah Gerigën et son compagnon français, le journaliste Christopher Clarence, ont décidé de s'installer ensemble, afin de former une famille pour le jeune Simon, dont ils ont obtenu la garde après les événements tragiques qu'il a connus.
Et pour reprendre le fil de leurs existences dans le plus grand calme, ils ont choisi de s'installer sur une île très peu peuplée, mais proche d'Oslo, l'île de Grimsøya. Une maison pour le moment encore pleine de cartons, la nature, les eaux du fjord tout autour, idéal pour repartir du bon pied après un choc aussi lourd.
Mais, l'emménagement ne va pas se passer comme prévu : voilà qu'un hélicoptère des forces spéciales norvégiennes vient se placer au-dessus de la maison. L'objectif annoncé est de venir chercher (réquisitionner serait plus juste, d'ailleurs) l'inspectrice Sarah Gerigën pour une mission ultra-secrète et ultra-urgente. Avec départ séance tenante...
Les objectifs des nouveaux parents sont bouleversés, mais Sarah et Christopher comprennent bien que "non" ne serait pas une réponse acceptable. Et puis Sarah reste une femme flic, avec la curiosité chevillée au corps et l'instinct que si on fait appel à elle, ce n'est pas pour une banale affaire de droit commun, mais pour quelque chose d'autrement plus sérieux.
On la prévient d'emblée : on l'emmène loin de Grimsøya, mais elle ne saura exactement où et pourquoi une fois sur place. Après plusieurs heures de vol, la voilà à l'autre bout du pays, précisément dans la ville de Vardø. Vos connaissances en géographie norvégienne sont un peu limitées ? Pas de souci, comme souvent, une petite carte, ça aide : Vardø, c'est la petite étoile rouge, collée au bord droit du cadre.
On est sur la mer de Barents, très au nord de l'Europe, mais surtout, c'est la dernière ville du pays avant la frontière avec la Russie, et forcément, ce n'est pas anodin. Pourtant, Vardø n'est pas le point final du voyage de Sarah. On lui fait traverser un bras de mer pour poser le pied sur un îlot, Hornøya, connu pour être une réserve naturelle où vivent de nombreuses espèces d'oiseaux (la photo de couverture, prise par l'auteur, montre son phare et la falaise).
Mais, pour la policière, cet endroit a fait tilt de manière très différente : c'est là que la Première Ministre norvégienne, Katrina Hageback, possède une résidence secondaire où elle se rend dès que ses fonctions le lui permettent. Un tel déploiement de forces pour venir la chercher et l'emmener là, ce n'est pas de très bonne augure...
Là voilà sur une scène de crime exceptionnelle : la victime est bien celle qui, quelques heures plus tôt, dirigeait le gouvernement du pays. Mais l'identité de la victime n'est pas la seule chose exceptionnelle dans cette histoire : la mise en scène de ce crime est très particulière. Et surtout, elle ne tient absolument pas debout.
"Etrange", c'est le mot qui revient sans arrêt, dans la bouche des policiers locaux, des militaires, des premiers enquêteurs. Et c'est un mot qui va bientôt s'imposer aussi à Sarah, qui ne parvient pas à lire la scène de crime comme elle le voudrait. Les éléments dont elle dispose ne sont pas cohérents, les indices ne s'assemblent pas et les premières théories échafaudées sont simplement impossibles.
Mais plus que tout, c'est le comportement de la victime qui intrigue Sarah : car l'hypothèse la plus plausible, ce serait que la Première Ministre elle-même aurait saboté la scène de crime avant de pousser son dernier soupir, comme si elle voulait brouiller les pistes, comme si elle voulait protéger son ou ses assassins...
Commence alors une enquête extrêmement complexe et délicate, à la poursuite d'un assassin qui va, Sarah en est certaine, frapper à nouveau, mais aussi du mobile de ces meurtres. Avec pour seule certitude que l'encombrant voisin russe n'est pour rien dans tout cela, et tant pis si c'est ce que certains voudraient croire... ou essayer de faire croire...
Alors, première chose, rien sur la mise en scène du meurtre, sur les détails macabres et les premières découvertes de Sarah sur l'île de Hornøya. A vous de lire "Complot" pour avoir ces informations. Mais, il faut reconnaître que c'est extrêmement troublant, étrange, même pour reprendre ce mot qui est quasiment un leitmotiv des premiers chapitres.
La deuxième chose, dont on va comprendre par la suite qu'elle n'est pas anodine, c'est l'accueil pour le moins glacial (et la météo n'y est pour rien) que reçoit Sarah en arrivant devant la maison de la Première Ministre. On ne semble pas ravi, chez les policiers présents, de cette intervention imposée par la force des choses. Et encore moins de voir une femme prendre les affaires en main...
Car oui, le paradoxe de cette histoire, c'est le climat misogyne que l'on ressent et qui semble imprégner la société norvégienne entière, malgré le choix d'une Première Ministre et malgré l'image assez progressiste que l'on peut avoir de ce pays habituellement. C'est palpable, et la si fine Sarah Gerigën ne peut que le ressentir.
On ne peut pas dire que Sarah soit un personnage particulièrement chaleureux elle-même, elle a ce côté intuitif qui fait qu'elle réfléchit intérieurement sans forcément partager ce qu'elle a en tête, qu'elle apparaît toujours un peu en marge du reste des personnes présentes, presque absente, parfois, et qu'elle peut sembler à cause de cela assez hautaine.
Mais là, c'est bien plus rude que cela : elle est femme, et malgré sa réputation et la récente résolution de l'affaire 488, on ne lui montre pas une confiance phénoménale, y compris parmi ceux qui assurent désormais l'intérim à la tête du pays... Petit à petit, entre cette scène de crime étrange et cette hostilité à peine déguisée, une vilaine mécanique s'enclenche.
Et voilà que Sarah Gerigën, l'inflexible, l'inoxydable, se retrouve en proie au doute, un sentiment qui va l'accompagner tout au long de cette enquête si délicate... Et ce n'est pas rien, vous le verrez, car sans sa sérénité et son détachement habituels, Sarah ressent une pression qu'elle n'a sans doute jamais connue jusqu'alors et qui peut être source d'imprécisions, d'erreurs...
Avant d'aller plus loin, j'aurais déjà pu le dire, d'ailleurs, sachez qu'on peut parfaitement lire "Complot" sans avoir lu "le Cri" (ce qui est mon cas, mais je vais combler cette lacune, promis !). Les deux enquêtes sont parfaitement indépendantes l'une de l'autre. Toutefois, le contexte familial de Sarah découle directement de ce précédent roman, il n'est donc pas inutile de lire dans l'ordre de sortie.
En effet, la question de la famille, en opposition à la carrière, se pose de façon importante, on pourrait même dire qu'elle va aller crescendo au fil de l'histoire, lorsque l'enquête va s'emballer et obliger Sarah à se concentrer uniquement sur sa quête, dans une course contre la montre macabre. D'autant que Christopher va lui aussi se retrouver impliqué dans l'affaire, plus qu'il ne l'aurait sûrement souhaité...
Famille, vie personnelle, vie professionnelle, j'ai l'air d'insister sur cette aspect en évoquant Sarah, ne voyez pas en moi (ni en Nicolas Beuglet) un vilain rétrograde, c'est au contraire un des symptômes importants de ce roman qui nous amène aux thématiques centrales de cette histoire, et en particulier la position de la femme dans les sociétés actuelles, à dominante masculine.
Je ne vais pas en dire trop, car il faut vous laisser la primeur de découvrir les révélations concoctées par Nicolas Beuglet, mais j'ai vu dans une interview qu'il a donnée, que l'idée de ce thriller avait germé avant que n'éclate l'affaire Weinstein et qu'elle engendre des mouvements comme #MeToo ou #BalanceTonPorc.
Oui, la femme est au coeur de ce roman, et sa situation non seulement en 2018, mais tout au long de l'histoire de l'humanité. Sarah et Christopher vont devoir quitter la Norvège pour remonter la piste de l'assassin de la Première Ministre, mais également celle de ses probables futures victimes. Et chaque jalon mis au jour fait référence à des moments clés de l'histoire de l'humanité, et des femmes en particulier.
En fait, c'est comme si le travail d'enquêteur se rapprochait de celui d'archéologue : on plonge dans le passé, dans des périodes oubliées, à la rencontre de personnalités méconnues ou laissées dans l'ombre, dans des lieux où se sont déroulés des événements majeurs, à condition de les appréhender différemment de l'habitude. Un changement de grille de lecture.
Derrière le côté thriller, avec vitesse, action, violence, rebondissements et tout l'arsenal du genre, Nicolas Beuglet glisse des éléments de lecture passionnants et en apprend énormément à ses lecteurs. Certains aspects vous parleront peut-être, tous, j'en doute. Et c'est "normal" (les guillemets ne sont pas neutres), puisque ce sont les vainqueurs qui écrivent l'Histoire et que les vainqueurs, ce sont les hommes.
Le romancier mêle la fiction pure et des éléments bien réels, en particulier des personnages historiques aux parcours absolument sidérants. Cela ajoute une touche importante à cette histoire qui serait captivante sans cela, je pense, une sorte de supplément d'âme. La réalité vient étayer la fiction pour bien dire au lecteur : attention, ceci n'est pas qu'un divertissement.
Chose amusante, j'avais découvert un des éléments très importants de "Complot" dans un autre roman il y a quelques mois, dans un contexte narratif et littéraire complètement différent, presque aux antipodes, même. Le livre s'appelait "l'Opium du ciel", et je joins le lien vers le billet concernant sur ce roman de Jean-Noël Orengo, en précisant qu'il faut le lire après avoir lu "Complot", sinon...
Parenthèse promotionnelle refermée, je vais finir en évoquant Sarah Gerigën. J'ignore ce que lui réserve à l'avenir Nicolas Beuglet, mais ce "Complot" est un tournant pour elle, et pas dans le bon sens. Ces dernières années, face aux héros sans peur, sans reproche et sans faille qu'on a longtemps connus, se sont imposés des personnages plus contrastés, faillibles, parfois fragiles.
Avec Sarah Gerigën, ce n'était pas le cas. On a un personnage qui semble imperméable aux pressions extérieures, sûre de ses forces et de ses compétences. Oh, évidemment, on peut dire qu'il s'agit d'une carapace, une forme de protection justement pour ne pas donner prise au mal, à la peur. Quitte à renvoyer au lecteur l'image d'une certaine froideur, d'un manque d'empathie.
Mais, dès les premières pages de "Complot", cette image va être remise en cause. Dans un premier temps, Sarah n'hésite pas à monter dans l'hélicoptère, à laisser derrière elle sa nouvelle famille. On n'est pas loin de trouver la policière égoïste, au détriment de Simon, si fragile, encore traumatisé et qui aurait bien besoin d'elle pour appréhender sa nouvelle existence.
Puis, dans un second, une fois sur la scène de crime à l'autre bout du pays, entre la misogynie qu'elle ressent, le doute qui s'instille et les questions auxquelles elle peine comme jamais à trouver des réponses, des lézardes apparaissent à la surface de l'armure. Et elles vont aller en s'élargissant jusqu'à un final tout à fait inattendu, qui laisse Sarah dans une position très délicate et un état d'esprit profondément abîmé.
Il y a un paradoxe fort dans cette évolution du personnage principale du livre et ce qu'elle va mettre en évidence, puisqu'on la découvre femme forte dans un monde dominé par les hommes, une forme d'exception qui remet en cause l'ordre établi, celui où l'autorité émane naturellement du masculin. Or, alors que toutes ses découvertes pourraient remettre en cause cet état de fait, elle entame un violent déclin...
Je ne vais pas plus loin sur ce thème, vous vous ferez votre propre idée, mais j'ai trouvé cette construction avec cette mise en abyme très intéressante. Je voudrais encore vous parler de ce tueur, très bien cerné par Nicolas Beuglet, correspondant à un portrait-robot très actuel, là aussi, horriblement actuel...
Il y a beaucoup d'enseignements à retirer de cette lecture, car le thriller, je le réécris, ce n'est pas toujours un genre ne véhiculant aucun fond. Je le dis d'autant plus en tant que lecteur, donc en tant qu'homme, car c'est finalement principalement à nous, Messieurs, que s'adresse le message de Nicolas Beuglet. Evoluons ! Faisons évoluer les choses !