La narratrice est un sujet inconnu : volontairement, elle ne donne pas son nom, et garde secrète cette identité sur laquelle on ne pourra que faire des suppositions.
Ce que nous savons, c'est qu'elle a vingt-deux ans, qu'elle a grandi dans l'Est de la France, entre un père absent et une mère maniaque brandissant à tout va son indéfectible aspirateur. Cette jeune fille a promis, à elle et Sam, son ourson en peluche, alors qu'elle était enfant, qu'elle grandirait pour partir.
Son baccalauréat en poche, elle quitte donc le cocon familial pour Paris, où elle s'inscrit à l'université. Elle tangue entre l'histoire, les sciences politiques, les lettres et la philosophie, change de cursus en cours d'année, devient le cauchemar de l'équipe administrative de la fac.
Elle vit seule dans un petit studio du XXe arrondissement, et rien ne semble l'affecter vraiment, elle est comme engourdie.
Jusqu'au jour où elle le rencontre, un jeune homme dont elle tombe instantanément sous le charme, qui devient " toi ", qui la hante, mais qu'elle ne recroisera que plusieurs mois plus tard, par hasard, dans une séance de boxe.
Leur relation devient passionnelle, fusionnelle, dangereuse.
La narratrice est bientôt déchirée entre cet amour maladroit, et la découverte d'un cancer frappant sa mère.
Entre les deux, une fenêtre pour survivre, pour exister : l'écriture.
J'ai eu plaisir à retrouver la prose hachée et vivante de Loulou Robert, qui renoue avec le talent déployé dans Bianca, après la petite déception causée par Hope.
En effet, Hope était une suite assumée à Bianca. Sujet inconnu entame un autre projet, puisqu'il n'y est plus question de Bianca, et cela en dépit du fait que la narratrice lui ressemble par de nombreux traits (en cause, peut-être, le fait que Bianca présentait beaucoup de similitudes avec l'auteur, et que l'on retrouve des thématiques proches dans Sujet inconnu - mais cette hypothèse d'autofiction n'est que mon humble avis).
Loulou Robert se distingue à la fois par un style, et par des thèmes qui, en trois romans, ont déjà pu émerger comme récurrents.
Parlons d'abord du style : des phrases courtes, des mots qui sonnent, l'auteur n'en a pas peur et emploie ceux qu'elle veut. C'est efficace, et très actuel : le lectorat impatient et pressé trouve soudain un langage qui correspond à son rythme. Astrid Manfredi avait trouvé la même approche avec La petite barbare, cette langue qui claque et qui vole.
Vient ensuite la protagoniste, et les thèmes auxquels elle est confrontée : une sorte de vanité, d'absurdité existentielle, et soudain, au milieu du vide, une raison de vivre. L'amour, d'abord, puis l'écriture, plus sûrement.
Les protagonistes de Loulou Robert se décrivent toujours comme angoissés, déglingués, fous, marginaux. Ils revendiquent une différence, ils ne se reconnaissent pas dans leurs pairs et dans leur temps, et à vrai dire, on pourrait même croire qu'ils sont effrayés, à l'idée de ne pas être si différents de ces autres dont ils se pensent à mille lieues. Autour d'eux, des personnages tranchés et tranchants, soit du côté de la bienveillance, mais frappés de maladie ou de vieillesse (sa mère, Lucien, comme Jeff dans Bianca), soit du côté d'une malveillance (le " toi " du roman).
Et cela est cohérent avec l'observation qu'il n'y a toujours qu'une voix chez Loulou Robert, celle de la narratrice, vers laquelle on se sent immédiatement portée, qui dit son mal-être, et qui porte un regard unilatéral sur ceux qui l'entourent.
Ce regard, bien sûr, est multiple : il change, s'altère doucement, s'enrichit, se nuance, à mesure que le temps passe et que les faits viennent trahir les intentions de ces autres auxquels, par défaut, elle ne peut se fier.
Cette narratrice entière est une allégorie de l'adolescence tiraillée, du passage vers l'âge adulte : sauvage, indocile, elle se veut rebelle et exceptionnelle, elle tranche entre le bien et le mal, en elle couve une révolte, elle est avide d'expériences, peint des portraits au vitriol, elle est désabusée, lasse, en quête de sens et d'absolu, de vérités pragmatiques qui ne se trouvent ni dans les cours de philosophie, qu'elle fuit, ni vraiment dans la rue, car c'est la solitude qu'elle préfère. A sa propre recherche, elle est autocentrée, égoïste, ses yeux se portent sur elle avant tout, son introspection l'obsède, l'expression de ses émotions et de ses états d'âme prend le pas sur toute véritable curiosité pour l'altérité, elle est persuadée que sa lutte est celle de la survie. Face à elles, les autres ressemblent à des prétextes, qui, toujours, la ramènent vers elle.
Loulou Robert est extrêmement douée, mais elle peut faire plus encore. La voie et la voix qu'elle a trouvées lui assurent un public, néanmoins l'on retrouve dans Sujet inconnu beaucoup de similitudes avec Bianca. Aussi va-t-elle bientôt se retrouver face à un choix ardu : se contenter de reproduire une recette qui marche, ou prendre de nouveaux risques, se hasarder, créer d'autres voix, explorer d'autres mondes et d'autres personnalités, d'autres points de vue, créer une illusion pour laquelle elle puisera dans sa richesse intérieure, mais qui n'en sera pas seulement le reflet à peine masqué.