Libres pensées...
Julia, dite Turtle, ou encore Croquette, est une adolescente qui vit seule avec son père, Martin, quelque part en Californie. Sa mère est morte alors qu’elle était enfant, si bien qu’elle a grandi auprès de cet être charismatique et violent, un homme aux idées bien établies, qui exerce sur elle une emprise profondément malsaine.
A l’école, Turtle est renfermée, taiseuse, peu appliquée. L’une de ses enseignantes, Anna, s’inquiète pour elle, mais Turtle la repousse, tout comme ses camarades.
Le seul qui a gain de cause, c’est Jacob, qu’elle rencontre avec son ami Brett dans la forêt une nuit alors qu’elle erre loin de son domicile, un adolescent doux, patient et intelligent, dont la famille est chaleureuse envers Turtle, et qui lui offre une bienveillance qu’elle n’a jamais connue.
Aucun lecteur ne peut être insensible à l’histoire de Turtle. Jeune fille à vif, taillée pour survivre, pour résister face à l’adversité, qui endure en silence et est plus à son aise seule dans les bois qu’au milieu d’autres adolescents. A son côté, son père, cet homme dont on ne tarde pas à saisir l’ampleur de la névrose et le sadisme revendiqué. Entre eux, une relation destructrice, perverse et toxique ; absolue aussi, sans demi-mesure. Turtle appartient à son père, il l’aime, elle l’aime, d’un amour qui n’en est sans doute pas un, mais qui est tout ce qui est, à ses yeux d’adolescente qui n’a rien connu d’autre.
L’écriture de Gabriel Tallent est aussi lumineuse que son sujet est noir. Par son intermédiaire, on touche à la vérité de Turtle et de son quotidien. La précision est de mise, pour décrire l’environnement de la jeune fille, sous toutes ses coutures, depuis la végétation jusqu’à l’arme qu’elle manie, charge et décharge, frénétiquement, toujours prête à se défendre.
Dans la bouche du père, les insultes, les discours apocalyptiques, le fatalisme d’un homme que cela arrange de croire que la fin du monde est proche, que rien n’a de sens, que l’humanité est sèche et folle.
Autour, la cohorte des impuissants, qui pressentent une menace sans parvenir à la dévoiler, depuis Anna jusqu’à la mère de Brett, qui était jadis l’amie de la mère de Turtle.
Pourtant, au contact de ces autres, Turtle s’altère, et peu à peu couve la révolte.
J’ai été moins réceptive à la dernière partie du roman, qui, soucieuse de fournir un dénouement, s’apparente à un règlement de comptes où l’action devient centrale, succédant à une temporalité plus souple, à un texte plus contemplatif, sans l’être totalement non plus.
Je comprends et partage l’enthousiasme généré par My absolut darling, qui aborde un thème très grave dans un style travaillé, littéraire. Indéniablement, il s’agit d’un roman à lire, et il s’agit aussi d’un roman qui laisse une marque. Le traitement des cinquante dernières pages m’a moins convaincue, mais la lecture me laisse néanmoins avec la conviction que Gabriel Tallent n’en est qu’à ses débuts, et que la suite promet d’être éclatante.
Pour vous si...
- Vous êtes un adepte des romans américains versant dans le noir, à l’instar de certains récits de David Vann
- Vous avez toujours pensé que les surnoms « cheesy » cachent quelque chose de louche