Editeur : CastermanNombre de pages : 644
Résumé : De nos jours à New-York : les magiciens vivent terrés dans Manhattan, qu’ils ne peuvent quitter sous peine de mort. Esta, une magicienne à l’affinité hors-norme, a le don de voyager à travers les époques et de figer le temps. Elle seule peut se rendre en 1902. Là où tout a commencé. Là où le Magicien s’est jeté du haut du pont de Brooklyn avec l’Ars Arcana, le Livre ancien contenant tous les secrets, condamnant la magie à des lendemains sans espoir…
Un grand merci aux éditions Casterman pour l’envoi de ce volume et à la plateforme Babelio pour avoir rendu ce partenariat possible.
- Un petit extrait -
« Survivre était une question d’équilibre : la crainte de la mort était ce qui nous poussait à bâtir une vie digne d’être vécue. »
- Mon avis sur le livre -
Je ne sais pas si c’est un superpouvoir partagé par d’autres lecteurs, mais généralement, lorsque j’ai un livre entre les mains, avant même de le commencer, je sens s’il va me plaire ou non. Soit il y a immédiatement un bon fluide entre lui et moi et je me sens d’ores et déjà heureuse d’être en sa compagnie, soit je fronce déjà les sourcils avant ma lecture car un petit quelque chose ineffable me dérange … Dans le cas de cet énorme pavé, la première impression fut tellement bonne que je devais me faire violence pour terminer tranquillement ma lecture en cours et ne pas lui sauter dessus immédiatement : j’avais vraiment envie de découvrir cette grosse brique de plus de six-cent pages. Je sentais au plus profond de mon petit cœur de lectrice que ce livre allait être un coup de cœur mémorable … et j’avais raison. J’ai tellement aimé ce roman que je regrette de l’avoir lu : maintenant, c’est fini, je ne ressentirai plus jamais ce petit frisson de bonheur qu’entraine la découverte d’un excellent roman. Aucune relecture ne me permettra de revivre cette ivresse livresque de la « première fois » … Personne n’a une machine à remonter le temps pour me permettre de retourner quelques jours en arrière afin que je puisse le « re-découvrir » ?
Esta, Mage prodige de dix-sept ans, n’a pas besoin de machine pour voyager à travers les époques … Son affinité lui permet de prendre possession du temps, de le ralentir ou de l’accélérer à sa guise, voire de le figer si besoin. Avec le soutien de la Clé d’Ishtar, pierre mystérieuse sertie dans son bracelet, la jeune voleuse peut se déplacer verticalement dans les strates du temps. Grâce à ce merveilleux pouvoir, elle espère modifier le passé afin d’améliorer le futur, son présent … Sa mission est simple : débarquer en 1902, retrouver le Magicien et lui dérober l’Ars Arcana, livre légendaire qui permettra d’abattre la Barrière empêchant aujourd’hui encore les Mages de quitter Manhattan sous peine de mourir dans d’atroces souffrances, avant qu’il ne le détruise. Mais entre la théorie et la pratique, il y a tout un monde … Seule dans cette ville à la fois étrangère et si familière, Esta parviendra-t-elle à mener à bien la mission qu’on lui a confiée ? Se résoudra-t-elle à trahir tous ceux qui, en 1902, lui ont accordé leur confiance pour ne pas briser la promesse faite au professeur Lachlan, de nos jours ?
Comment vais-je donc pouvoir réussir à vous parler de ce livre sans trop vous en dévoiler ? Cela faisait bien longtemps que je n’avais pu eu entre les mains un livre pareil ! Mystères, traîtrises, complots, manipulations, mensonges, fourberies, chantages, faux semblants … Le lecteur lui-même ne sait plus à qui se fier, alors même qu’il en sait bien plus que les personnages puisqu’il a l’immense privilège de suivre l’histoire à travers trois points de vue. Qui va trahir qui ? Comment Esta va-t-elle parvenir à se sortir de ce nid de vipère pour mener à bien sa mission ? Doit-elle, d’ailleurs, la mener à bien ? Au fur et à mesure que l’histoire progressait, que les chapitres s’enchainaient à un rythme indécent (« Attends, j’ai vraiment lu trois-cent page en une soirée ? Mais comment cela se fait-ce ? »), les doutes s’insinuent subtilement dans notre esprit : qui tire les ficelles de toute cette machination ? Je ne peux pas vous dévoiler le soupçon le plus étrange et discret que j’avais, car il s’est avéré – presque – juste et que cela vous gâcherai donc la grande révélation finale, celle qui vient tout bouleverser et remettre en question, celle qui ouvre la voie à un second tome … Une fois la surprise passée, je ne fus pas peu fière de me souvenir que « tiens, j’y avais vaguement et rapidement songé, à un truc comme cela » (même si je n’avais pas visé vraiment juste) !
L’essentiel du récit se déroule donc en 1902, dans un New-York dominé par l’Ordre, organisation fort secrète et fort puissante qui se présente comme seule capable de contrer la menace que font peser les Mages sur l’humanité … J’ai énormément aimé le mystère qui plane sur les origines de cette société occulte, sur ses véritables intentions, tout comme j’ai beaucoup apprécié les allusions aux « travaux secrets » des Lumières, à l’alchimie, aux mythologies anciennes … L’univers dans lequel nous plonge l’auteur, à la fois si réaliste et si insolite, est vraiment époustouflant ! Le mélange entre l’Histoire et la fiction est vraiment bien géré, il faut même faire quelques recherches pour démêler le vrai du faux … L’opulence des quartiers chics laisse rapidement place à l’atmosphère étouffante des bas quartiers, les conflits entre les gangs de rue et la menace sourde des sbires de l’Ordre … tout cela contribue à donner naissance à une ambiance vraiment particulière : on frissonne du début à la fin, même – et surtout – quand tout semble calme. Parce qu’on sent que c’est le calme avant la tempête, on sent que le danger se fait toujours plus grand, que le compte à rebours est entamé et qu’Esta n’a pas le droit à l’erreur … Parce qu’au final, elle ne maitrise rien, et c’est vraiment flippant de la voir ainsi dépassée par les événements, d’autant plus qu’elle a terriblement peur de ce qui l’attend dans son présent : son incursion dans le passé aura-t-elle des conséquences inattendues ?
Et comme un bon livre n’est rien sans de bons personnages, il me semble indispensable d’en évoquer quelques-uns ici, même s’il va être atrocement difficile de me limiter pour ne pas risquer de vous spoiler … Esta, en premier lieu. C’est notre héroïne, et elle décoiffe. Impulsive, déterminée, assurée, elle est bien décidée à prouver à son bienfaiteur, le professeur Lachlan, qu’il a eu raison de la recueillir alors qu’elle n’était qu’une petite orpheline sans avenir. Elle est intelligente, elle est douée, mais elle est indisciplinée, imprévisible, et il lui arrive d’agir sans réfléchir et de s’en mordre les doigts par la suite … et cela d’autant plus qu’elle dissimule une certaine fragilité, une certaine naïveté, derrière son masque. Elle joue un rôle, elle le joue à la perfection, mais on sent qu’elle n’est pas cette jeune fille froide et impassible que l’on voit au premier abord … Pareil pour Harte, d’ailleurs. Il est insupportable, hautain, sarcastique à souhait, mais qu’est-ce qu’on l’aime, ce Magicien ! Il n’a rien du prince charmant, il est égoïste et pragmatique, mais on se rend progressivement compte que lui aussi est bien plus humain, bien plus sensible, qu’il ne veut qu’on le croit … Et quand vous mettez les deux ensemble, ça fait des étincelles, et c’est merveilleux ! On est loin de la romance à l’eau de rose que l’on trouve généralement dans les récits young-adult, ici on est dans du « je t’aime moi non plus » et du « suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis ». Un pas en avant, deux pas en arrière, et cela d’autant plus qu’aucun des deux n’est réellement prêt à faire confiance à l’autre … et en eux-mêmes.
D’une manière générale, tous les personnages sont incroyablement nuancés, ni tout noir ni tout blanc, ni gentil ni méchant. Et surtout, aucun ne montre son vrai visage, jusqu’au dernier moment. Par fierté, par peur, par ambition, chacun se dissimule et ne montre de lui que ce qu’il veut bien que les autres voient. Moi qui aime les personnages complexes, je suis servie ! La preuve en est que ces personnages, je les aime, vraiment, et c’est un vrai déchirement que de devoir les quitter. Dolph, ce héros qui s’ignore, cet homme brisé par la vie qui continue malgré tout à courir après ses rêves, qui affirme haut et fort qu’il n’est pas un saint mais un homme avec son égoïsme et son ambition. Viola, ce grand cœur bien enfoui sous une armure de violence et de détachement, à cause de qui j’ai pleuré comme une gamine à un moment parce que c’est tellement beau ce qui se cache derrière cette carapace. Sans oublier Jilyanu le mystérieux, que j’espère pouvoir apprendre à mieux connaitre dans le second tome, Nibs le discret qui nous réserve bien des surprises, et Tilly la douce et bienveillante qui est un rayon de soleil dans ce sombre univers … Ils sont la grande force de ce récit, car ils le portent avec brio, car ils n’entrent dans aucun des stéréotypes du genre, car ils sont incroyablement humains alors qu’ils ne sont que de papier … Un grand bravo à l’auteur d’avoir su leur donner ainsi vie dans le cœur des lecteurs !
En bref, car il est grand temps de conclure, je vais me contenter d’énoncer l’évidence : ce premier tome fut un vrai coup de cœur, et j’ai atrocement hâte de découvrir la suite, cela ne fait qu’un jour que je l’ai terminé et je souffre déjà de ne pas avoir le tome suivant sous la main … Une intrigue incroyable, riche en rebondissements et en surprises, en mystères et en révélations. Une histoire captivante, haletante, au rythme effréné, où la tension dramatique ne fait qu’augmenter toujours plus, un compte à rebours effrayant … Vraiment, l’auteure est douée. S’il n’avait pas fallu que je mange et dorme, j’aurai pu rester plongée dans ce roman sans jamais m’interrompre ! C’est un véritable page-turner qui se dévore à une vitesse folle malgré ses six-cent pages. Une grosse dose d’action, une bonne pincée de magie et un soupçon d’humour, sans oublier bien sûr un zeste d’émotion pour assaisonner le tout, et voici la recette pour un roman palpitant qui sort des sentiers battus ! A lire et à faire lire absolument !