Lèvres de pierre
Nancy Huston
Actes sud
Août 2018
229 pages
« Les sourires du roi Jayavarman à Bayon épousent les sillons des balustres de pierre, sa tête est partout intégrée aux épaisses colonnes sombres, sur chacun de leurs côtés. Il nous regarde d’en haut en souriant, face et profil, Big Brother du XIIème siècle… Lèvres de pierre, lèvres de pierre, sourire radieux mais absent, bienveillant mais vide : omniprésent, de même, sur les statues du Boudha et toutes les photos de Pol Pot… »
Il fallait oser faire un parallèle entre la jeunesse de Pol Pot et celle de l’auteure. Elle l’a fait. Elle s’en explique d’ailleurs dans un prologue que j’ai relu à la fin du livre pour essayer de comprendre. J’ai échoué. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas apprécié ce livre mais je n’en ai pas saisi la démarche. D’autant plus que la partie autobiographique, celle consacrée à Dorrit, la jeune fille qu’elle était, et écrite à la troisième personne du singulier (ça, c’est plutôt une bonne idée, ça permet la distance), m’a paru bien fade à côté de celle de Saloth Sâr.
Le Cambodge, un pays que Nancy Huston a visité une seule fois en 2008, mais sur lequel elle a dû se documenter pour pouvoir écrire une telle biographie. Et plus complexe encore, se mettre dans la tête de Saloth Sâr, et là encore, il fallait oser. Cette première partie, écrite à la deuxième personne du singulier (c’était risqué mais plutôt réussi), est focalisée sur l’enfance, l’adolescence, puis le début de l’âge adulte de Saloth Sâr, un garçon au sourire de façade, la déception de sa famille, un cancre, qui découvrira le communisme à Paris. Un seul épisode de sa vie est fictif (elle s’en explique aussi dans le prologue), tout le reste s’appuie sur des faits réels.
On ne nait pas dictateur, on le devient, et par quel cheminement, qu’est-ce qui a amené le futur Pol Pot à devenir cet être d’une violence inouïe ? C’est en évoquant son parcours que Nancy Huston a tenté de répondre à cette question.
Je n’ai pas voulu voir les correspondances entre les deux chemins, elles m’ont semblé tirées par les cheveux, et même après avoir entendu Nancy Huston sur France Inter, je n’ai pas changé d’avis.
J’ai apprécié l’écriture de Nancy Huston, une auteure dont j’ai lu et aimé la plupart des romans. Mais j’ai tellement préféré la première partie à la deuxième que j’en ressors avec un goût amer. Il est vrai que l’autofiction me hérisse de plus en plus le poil, ça n’a pas arrangé les choses. Mais je suis surtout très perplexe quant à la légitimité de cette mise en parallèle.
Ce livre aura eu le mérite, néanmoins, d’avoir enrichi mes connaissances sur l’Histoire du Cambodge parce que, même si la première partie du texte s’arrête avant la prise du pouvoir par Pol Pot, Nancy Huston parsème son second texte de fragments journalistiques, de citations, sur les événements horribles qui ont lieu au Cambodge.
Annie a eu un coup de cœur.