Pascal Manoukian
Le Seuil
Août 2018
295 pages
De cet auteur, j’avais adoré Les échoués, beaucoup aimé Ce que tient ta main droite t’appartient, et j’attendais ce nouvel opus sur un thème différent avec une certaine impatience.
Pascal Manoukian situe ce roman dans l’Oise. Un couple de jeunes quarantenaires voit sa vie basculer le jour où les usines, dans lesquelles ils travaillent, décident pour l’une de délocaliser et pour l’autre de vendre aux Chinois. Le chômage et les conséquences qu’il entraîne, à savoir l’isolement, le déclassement social, l’humiliation, le désespoir, sont décrites avec réalisme et, comme tout ce qu’écrit cet auteur, avec humanité. Il dénonce avec conviction les conditions de vie des ouvriers à l’heure de la mondialisation, il met le doigt là où ça fait mal, il éclaire les zones d’ombre, il redonne vie à ceux que la société broie. Ce genre de roman est indispensable, il permet aux lecteurs de sortir la tête du sol pour prendre conscience de la violence des inégalités sociales.
Le style est toujours aussi fluide et certaines réflexions sont percutantes, les mots choisis avec soin. C’est un régal de lecture.
Après deux romans sur l’immigration, Pascal Manoukian poursuit sa dénonciation de notre société d’égoïstes, dans laquelle les plus riches s’enrichissent, et les plus pauvres s’appauvrissent. D’ailleurs quand les nantis perdent leur emploi, il leur reste toujours quelque chose (des placements, des maisons secondaires…), quand les moins fortunés le perdent, ils perdent leur vie, puisqu’ils n’ont aucun lapin à sortir de leur chapeau.
L’originalité de ce roman réside dans la nature des personnages. Les parents pour protéger leurs enfants, inventent mille et un stratagèmes, les laissent rêver, ils souhaitent à tout prix les préserver. Ils se lancent aussi dans une action digne de Robin des bois. Cela donne au roman un côté burlesque qui ne m’a pas déplu, j’ai souri à plusieurs reprises alors que la situation générale est plutôt dramatique, et il y a même un petit côté poétique lorsqu’ils emmènent leur fils en voyage…
Loin de la littérature française autofictionnelle, Pascal Manoukian est une voix importante, parce qu’il allie la qualité d’écriture au récit nécessaire.
J’ai pensé à l’excellent Les vivants et les morts de Gérard Mordillat, pour le côté roman social. Le paradoxe d’Anderson apporte cependant un ton différent. Et le titre me direz-vous ? Et bien il suffit de lire le livre, si on n’est pas économiste, pour le comprendre. D’ailleurs, l’auteur égrène des théories économiques tout au long de son roman, qui font écho à la situation, par l’entremise des révisions pour le BAC ES de la fille du couple.
J’ai avalé ce livre en une journée, avide d’en connaître la fin. Je n’ai pas été déçue, je la souhaitais ainsi, je ne peux en dire davantage. Le choix final d’alterner deux événements est remarquable, c’est une conclusion en apothéose.