Un été à quatre mains - Gaëlle Josse *****

Un été à quatre mains est un coup de cœur, un moment de grâce littéraire à ne pas manquer.
Le temps d'un été, Schubert, compositeur hors pair mais sans le sou, est invité par une famille noble. En échange du logis et de la nourriture, le musicien compose des morceaux et donne des leçons de piano aux deux jeunes filles du domaine. Si l'aînée s'avère une soprano talentueuse mais pressée, la cadette, Caroline dite Carodine, fait preuve d'une maturité musicale et d'une sensibilité très proche de celle de son instructeur. Qui n'en attendait pas tant pour être inspiré.

Un été à quatre mains par Josse

image captée sur le site de Babélio


Gaëlle Josse dessine la solitude d'un homme dont le génie certes reconnu ne se consolide pas par une vie matérielle décente et à l'abri du besoin. Avec délicatesse, l'auteure dresse le quotidien d'un artiste en proie à ses fulgurances musicales, bien présent et conscient du monde qui l'entoure - fait de castes qui empêchent des amours socialement malséantes et pourtant éprouvées-. L'été à quatre mains présente un homme digne et respectueux des codes, une jeune femme en devenir et à l'avenir tout tracé par le joug parental, des instants de musique où une main posée par inadvertance blesse, le quotidien d'une aristocratie dont la préparation de déjeuners gargantuesques perturbe la torpeur routinière. Par petites touches, l'auteure indique les anecdotes de vie qui ont construit le mythe du musicien, contraint à une existence pauvre, mûri par la simplicité.
Le texte met en scène un monde passé, où le mécénat présenté comme ouvert et jovial peut s'avérer froid et violent. La prose de Gaëlle Josse est sublime, le phrasé à la fois simple et disponible illustre la musicalité du propos. Documenté et riche, Un été à quatre mains est un roman court et prenant, un instantané de vie de Monsieur Schubert.  
page 56 : "Il s'est assis à l'écart, suant et soufflant sous sa redingote. Ses chaussures le font souffrir, son pantalon le serre, il ne sait pas comment s'asseoir. Il craint de faire craquer le tissu, on va rire de lui. Il n'a plus faim, le verre de vin blanc qu'il a accepté tout à l'heure, mêlé à la chaleur, lui fait tourner la tête. Il aurait dû refuser de venir. Ne pas se mêler à cette jeunesse insouciante, comblée, qui se réjouit du spectacle champêtre qu'elle se donne. Sa place n'est pas ici. Le repas a pris fin, il a fini par accepter une part de brioche qu'une des jeunes invitées lui a proposé. Une torpeur s'est emparée du petit groupe, déjà moins bavard, moins rieur que tout à l'heure. On s'assoupit. Franz se réjouit de cette trêve, il est enfin devenu invisible."
Editions ateliers Henry Daugier Broché paru en mars 2017 - 73 pages
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