Le gouverneur Packer, candidat à la présidentielle américaine, est agressé en public par une femme d'âge mûr, Faye Andresen-Anderson, vite surnommée par les médias Calamity Packer. C’est la mère de Samuel Anderson, un professeur d’anglais à l’Université de Chicago, qu’elle a abandonné quand il n’était qu’un enfant, fuyant son foyer sans explication. Samuel est bientôt contacté par son éditeur - lequel lui avait versé une avance rondelette pour un roman qu’il n’a jamais écrit – qui menace de le poursuivre en justice. Acculé, le jeune homme lui propose un nouveau projet, un livre révélation sur sa mère, sensé la détruire. A ce stade, Samuel ne sait presque rien d’elle, si ce n’est qu’elle est d’origine Norvégienne (le vieux pays) et se lance dans la reconstitution minutieuse de sa vie. Une entreprise qui s’avèrera pleine de surprises…
On peut avoir des préjugés à condition de reconnaître qu’on a tort quand c’est le cas. Je déteste les gros livres, toujours trop longs à mon goût et je l’ai rabâché cent fois déjà ici, or je l’admets, ce roman de presque mille pages est excellent. Une exception qui confirme ma règle ?
Le bouquin se partage entre le présent (2011) et le passé (1968). De l’agression de Packer à la mystérieuse et secrète période de la vie de Faye au cours de l’été de tous les dangers à Chicago en 1968. Une année chaude pour Windy City, entrée dans l’histoire pour ses émeutes. Petit rappel des faits : Les émeutes de 1968 à Chicago commencèrent après l'assassinat de Martin Luther King le 4 avril 1968, tandis qu’en août de la même année, la ville fut le théâtre de nouvelles émeutes lors de la convention démocrate qui écarta le candidat anti-guerre Eugene McCarthy au profit d'Hubert Humphrey. L’enquête menée par Samuel va lui apprendre, à sa plus grande surprise, que sa mère était au cœur de ces évènements durant cet été et qu’ils la poursuivent jusqu’à ce jour.
Il faut saluer la prouesse de Nathan Hill qui va marier faits historiques et roman dans une intrigue carrément acrobatique mais qui a le mérite d’être crédible. Avec mille pages on a la place pour en raconter et l’écrivain ne s’en prive pas pour peindre une grande fresque sur l’Amérique vue par le petit bout de la lorgnette (bal de promo, abri antiatomique…) et donc très proche de l’Américain moyen. Tout ce qui fait notre époque est dans ce livre : les centres commerciaux et le capitalisme (« Il n’y a rien que le capitalisme ne puisse engloutir. Le non-sens, c’est sa langue d’origine. »), les réseaux sociaux, les régimes pour maigrir, les jeux de rôles, les mouvements féministes et contestataires des 60’… Il y est aussi question de la sexualité de l’époque, les rapports entre filles et garçons mais aussi de la guerre du Vietnam puis de celle en Irak. Vous croiserez Allen Ginsberg, Socrate et Platon qui s’invitent au banquet ( !). Voilà un échantillon de la toile de fond.
Quant à l’intrigue proprement dite elle est menée de main de maître, avec finalement peu de personnages, cinq ou six à peu près. Je n’en dis pas plus sur eux car entre 1968 et 2011, les destins des uns et des autres évolueront, se sépareront avant de tous se retrouver et ce, sans manquer d’étonner le lecteur qui n’en revient pas devant tant de virtuosité.
Le roman file à un rythme soutenu, la lecture n’en étant que plus aisée et les passages souriants sont nombreux. J’ai adoré les longues pages avec Laura Pottsdam, une étudiante de Samuel et personnage secondaire, avec sa logique crétine, à hurler de rire (perso, j’ai cru y voir Nabilla « Allô, non mais quoi ? »).
Pour le fond, le livre traite de nos personnalités multiples, celles que l’on montre volontiers aux autres et celles que l’on cache ; ainsi que des choix que l’on doit faire dans la vie, tout l’art résidant dans le moment où les faire.
Un roman que je vous recommande fortement.