Mort du dessinateur français René Pétillon

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

René Pétillon (c) Rita Scaglia/Dargaud.


Ce sont les éditions Dargaud qui annoncent la triste nouvelle, survenue ce 30 septembre 2018.
"C'est avec une immense peine que les éditions Dargaud doivent annoncer la disparition de René Pétillon, emporté par une longue maladie. La tristesse et la douleur de voir disparaître un ami cher ne nous fait pas oublier le talent hors du commun de ce dessinateur à l'humour irrésistible et à l’élégance rare. 
Nos pensées vont à Marie-Noëlle, Jean-Marc, Claire et son petit-fils Corentin, ainsi que sa famille et ses proches."
Né le 12 décembre 1945 à Lesneven, dans le Finistère, René Pétillon a été un autodidacte, passionné de dessin, amateur des Marx Brothers et du magazine américain "Mad". D'une gentillesse pour les lecteurs qu'il a croisés égale à la férocité de son trait. Ses premiers dessins paraissent en 1968, dans "Plexus", "L'Enragé" et "Planète". Quatre ans plus tard, ce sera "Pilote" avec un premier récit de six pages intitulé "Voir Naples et mourir".

Jack Palmer.
(c) Dargaud.

Jack Palmer, son personnage fétiche, né en 1974, se baladera de "Pilote" à "L'Echo des Savanes", en passant par "Télérama" et "VSD". C'est le détective au gros nez qui lui vaudra la reconnaissance du très grand public en 2000, avec "L'Enquête corse". Prix du Meilleur album à Angoulême, "L'Enquête corse" est aussi adaptée au cinéma en 2004 et lui vaut d'être citoyen d'honneur de la ville de Bastia. Il sera le héros de quinze albums (Dargaud).
René Pétillon est aussi le scénariste du "Baron Noir", dessiné par Yves Got (Glénat), de Rochette pour les albums "Panique à Londres", "Scandale à New York" et "Triomphe à Hollywood" (Albin Michel), de Florence Cestac pour "Super Catho" (Dargaud) et beaucoup d'histoires courtes, une forme où il excelle, en bon humoriste.
En 1989, Pétillon est Grand prix du festival d’Angoulême.

Dans le "Canard enchaîné".

En 1993, il entre au "Canard Enchaîné", où il devient rapidement très présent et important. Son humour acéré, impitoyable, légèrement décalé et néanmoins pas dénué de tendresse fait mouche à tous coups. Il est sans conteste un des tous grands portraitistes de la société française. Plus de 11.000 dessins plus tard, en 2017, il met fin à sa collaboration avec l'hebdomadaire. Plusieurs recueils de ses dessins d'actualité sont publiés, dont "J'y suis!", "Sarkorama", "Un certain climat" et "Rencontres" (Dargaud).
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J'ai eu la chance de croiser René Pétillon deux fois, à Bastia chaque fois, aux Rencontres BD créées et pilotées alors par Dominique Mattei, dont la particularité était de mêler illustration jeunesse et bande dessinée.
La première fois, c'était en 2001, juste après la sortie de "L'enquête corse" et l'auteur se demandait avec un brin d'inquiétude quel sort allait lui être réservé sur place.
Voici ce que j'avais écrit le 23 avril 2001

Conviviales et passionnantes, les Huitièmes Rencontres BD viennent de se dérouler à Bastia, en Corse.

Un festival intelligent qui respire la bonne humeur.


Prenez une île, pas très grande, la Corse. Là, une petite ville, Bastia. Et là encore, une toute petite bonne femme, Dominique Mattei. Epaulée par un quatuor féminin, et soutenue par une solide équipe de bénévoles, elle organise - entre autres activités culturelles - les Rencontres BD de Bastia.

Les huitièmes du nom se sont déroulées début avril et ont vu se déplacer sur l'île de Beauté une belle brochette d'illustrateurs. Des ténors de la "vieille" génération BD, les Fred, Pétillon, Willem, Wolinski, etc., ceux de la "nouvelle", Blain, Boucq, Douzou, Gerner, Guibert, Rochette, Schuiten, Sfar, Stassen... sans oublier la jeune Marjane Satrapi. Rien que du beau monde qui encadrait Claude Ponti, un des meilleurs créateurs de livres pour enfants ("Adèle", "L'arbre sans fin", "Blaise" et autres poussins...).

Une telle affiche pouvait augurer d'un salon mondain, parlant haut, parlant bien. Eh bien, pas du tout. Si les conversations ont été sonores, c'est qu'elles étaient passionnées. Le vin corse n'explique pas seul la qualité des échanges. "Les Rencontres sont nées d'un travail de fond que nous avons fait sur le livre de jeunesse", explique Dominique Mattei. "Georges Lemoine s'est rendu à Bastia, Michel Gay, May Angeli, Michelle Daufresne... On a dû recevoir une bonne quinzaine d'auteurs ou illustrateurs jeunesse sur quatre-cinq ans, dans le cadre d'ateliers suivis d'expositions. Une année, on a invité des auteurs jeunesse et des dessinateurs de bande dessinée. C'était passionnant. On a aussi senti qu'il se passait des choses au niveau du public. On a poursuivi dans cette voie."

Comment se choisissent les invités? "Nous avons soit des hypothèses de travail, par exemple vérifier si des choses se mettent en place au niveau européen, soit des intuitions: les "Géographies imaginaires" nous trottaient en tête depuis deux ou trois ans. Ou bien nous avons envie de travailler sur la production de tel ou tel auteur parce que nous estimons que le public le rencontrera avec plaisir et avec bonheur."

Chaleur, simplicité, justesse, tel est le credo des souriantes rencontres bastiaises. L'attention et l'enthousiasme pour les créateurs de BD et d'images sont omniprésents. Entre rencontres informelles, débats percutants, séances de dédicaces bon enfant, on découvre les dix expositions montées pour l'occasion dans le curieux centre culturel Una Volta: posé sur la roche, il empile les étages et en réserve les surprises aux visiteurs.

En bas, les expos de Claude Ponti (150 magnifiques originaux retraçant sa bibliographie) et Jean-Marc Rochette, plus haut les planches donnant le "parti d'en rire" qu'ont pris Brétécher, Pétillon, Wuillemin, Willem, Wolinski et Batti, ou célébrant les 20 ans de Luc Leroi, héros de Jean-Claude Denis. Un petit détour par les exercices sur "Boîtes d'allumettes" qu'ont tentés huit artistes sous la houlette d'Olivier Douzou. Encore plus haut, d'autres grands de la BD livrent leurs carnets de voyage tandis que Yoann présente ses "petits animaux d'Australie". En majesté et en beauté, tout au sommet du bâtiment, une épatante scénographie de l'atelier Lucie Lom explore les "Géographies imaginaires": un géant au visage scarifié est couché sur une mer mouvante illustrée de symboles. Bercé par ce gisant muet, le regard se pose alors sur des planches d'ancêtres comme "Little Nemo" ou de leurs descendants, Pratt, Schuiten...

Cette abondance de victuailles culturelles est avidement gobée par des visiteurs enthousiastes et ravis (plus de 9.000 personnes en 2001). Ils circulent entre les cimaises, profitent des explications données par les hôtesses, guettent les illustrateurs et leurs généreuses dédicaces et regardent sans plus s'arrêter.

Cette échelle si humaine pour des rencontres culturelles de haute envergure laisse rêveur.

De bulles en bulles...


  • Les projets de Posy (Simmonds) . Bonne surprise de retrouver Posy Simmonds, empêchée de venir à la Foire du livre de Bruxelles. Dessinatrice de presse pour le "Guardian", auteur pour enfants ("Mariage en chocolat" notamment) et pour adultes (le superbe "Gemma"), la Britannique a plusieurs projets: pour les petits, "Lavande", le lapin le plus courageux du monde et, pour les grands, une histoire de rouge à lèvres!
  • 24 heures d'angoisse. Inquiétude pour les organisateurs: Schuiten avait envoyé ses originaux, ils n'arrivaient pas. Et pour cause! Si Bastia apparaissait sur l'enveloppe, nulle trace du mot Corsica. C'est donc à Bastia Italia que les précieuses planches ont été acheminées avant de revenir en France.
  • Le retour de Yoann. Yoann, Yoann, les enfants hèlent le créateur de "Toto l'ornithorynque", traduit dans huit pays (Allemagne, Italie, Portugal, Chine, Corée, Turquie... mais pas l'Australie). Serait-il si connu en Corse? Sans doute. Surtout, il y est venu en décembre pour des animations scolaires. Les enfants retrouvaient "leur" dessinateur. Cet ancien éleveur d'oiseaux, de hérissons, de serpents a été séduit par l'extraordinaire faune australienne. A tel point qu'un nouvel animal et une nouvelle légende apparaissent à chaque album de Toto. Mais on n'y a pas encore vu de kangourou.
  • Pétillon. Les 450 exemplaires de "L'enquête corse" de Pétillon se sont vendus comme des petits pains. Et ont été dédicacés par l'auteur, comme bien d'autres titres à lui... Dire que certains avaient craint que Pétillon ne soit snobé par les habitants, capables de dédaigner ceux qui se mêlent de leurs affaires!
  • Pétillon (bis). Il n'avait pas envie de quitter la Corse, l'ami Pétillon. Son retour avait donc été retardé. Mais, acte manqué?, il a failli louper le dernier vol pour le continent. Et c'est par une échelle posée sur la carlingue qu'il est entré, à la dernière minute, dans le dernier avion!

La seconde fois, c'est donc aussi à Bastia en 2006, comme je l'avais relaté ici.

Un dessin de Kroll pour les Rencontres BD de 2006.