"Liberté, égalité, féminité", le Manifeste du Parlement des écrivaines francophones

La première session du Parlement des écrivaines francophones.

Soixante-six écrivaines issues de vingt-sept pays différents se sont réunies durant trois jours à Orléans (du mercredi 26 septembre au vendredi 28 septembre) à l'initiative de l'écrivaine tunisienne Fawzia Zouari et ont clôturé la première session du Parlement des écrivaines francophones en publiant un Manifeste qui équivaut à un acte de naissance.
Le Parlement des écrivaines francophones est né d'une proposition de Fawzia Zouari, écrivaine et journaliste tunisienne, et est appuyé par Leïla Slimani et Sedef Ecer. Il vise à offrir aux
femmes un espace de rencontre, de prise de parole et de débat sur l'écriture, la langue française et les sujets qui agitent nos sociétés.

Fawzia Zouari.


Voici le Manifeste, tel qu'il a été publié sur le site du journal "Le Monde".
"Nous, écrivaines francophones, réunies ce 28 septembre à Orléans pour notre première session parlementaire, avons décidé de parler ensemble, d'une seule voix et dans la même langue. Parce que nous sommes souvent questionnées et que nous n'arrivons pas à répondre, parce que d'autres parlent à notre place, parce que nous avons envie d'être écoutées, sur nous-mêmes, sur notre propre sort, sur le monde où nous vivons et qui n'est pas si tendre avec nous. Nous voulons sortir du silence, et puisque nous disposons du pouvoir des mots, nous nous arrogeons cette parole collective et ce droit de regard sur une histoire qui continue de se faire sans nous.
Ecrire est notre passion, notre métier, mais cela ne peut être le lieu de nos solitudes, de notre enfermement. Ecrire est une demeure dont nous ouvrons les fenêtres sur la planète entière. Nous voulons sortir de la nuit de Shéhérazade pour nous affirmer à la lumière du jour.
Notre littérature n'est pas, comme on l'insinue souvent, une littérature qui se complaît dans le subjectivisme et les larmes, même si elle répugne à être une politique ou une idéologie. Notre littérature est notre voix du monde. Notre choix du monde. Combative et sereine. Décidée et généreuse. Qui se joue des imaginaires. Une littérature de toutes les enfances et de toutes les filiations, une littérature qui se réclame rarement de la norme spécifique. L'Humain et sa mesure.
Oui, il y a bien une littérature réinventée au féminin, qui entend être au rendez-vous de l'Histoire et engagée dans les batailles, toutes les batailles. Celle qui consiste d'abord à affirmer la solidarité des écrivaines entre elles et ne craint pas de parler de "sororité".
Nous voulons créer un réseau d'écrivaines, encourager et marrainer les plus jeunes d'entre nous. Tout tenter pour pousser à lire et à écrire.
Nous voulons aussi faire en sorte que toute femme ou homme de plume puisse ne pas subir la répression, les intimidations, les fatwas en tout genre. L'impossibilité de traverser les frontières.
Nous voulons nous opposer aux guerres. Toutes les guerres. A commencer par celles visibles ou insidieuses, voilées ou à découvert, dirigées contre les femmes: le patriarcat sous toutes ses formes, le viol, le harcèlement, les mutilations génitales, les féminicides, les violences conjugales (sept femmes en meurent chaque jour au Mexique, deux en Argentine et une tous les trois jours en France). Preuve que le corps des femmes reste, au Nord comme au Sud, un enjeu de pouvoir et un théâtre de conflit. Preuve que le contrôle de la sexualité féminine reste le mot d'ordre de toutes les religions. Quand il ne s'agit pas de l'assigner à la marchandisation et aux usages publicitaires dégradants.
Guerre contre la guerre. Celle dont les civils sont les premières cibles. Motivée par des luttes de pouvoir et des idéologies assassines. Nous combattrons le terrorisme, le djihadisme, les populismes, les discours de haine, les extrémismes religieux et le rejet de l'autre. Et tout ce qui s'en suit: ces populations errantes, perdues, accrochées aux fils de barbelé, entassées sur des bateaux de fortune parce que leurs pays leur ont refusé la perspective d'un avenir, parce que l'Europe ne leur a laissé pour perspective que d'échouer sur ses côtes comme des poissons morts.
N'oublions pas cette phrase d'Aristophane: "Quand la guerre sera l'affaire des femmes, elle s'appellera la paix!" Pourquoi? Parce que chaque femme consciente et libre est un danger pour les dictatures. Parce que chaque femme qui traverse une frontière réhabilite la parole sur l'altérité.
Ces temps de violences et de replis ont lieu sur fond d'une planète qui s'affole et d'une nature à l'épreuve de la globalisation, de l'industrialisation à outrance, du consumérisme et de la pollution. Nous disons, nous les femmes, que le combat de l'environnement est notre combat. Que la Terre est notre seul véritable pays. Celui que nous voulons transmettre à nos enfants.
Nous disons tout cela, ensemble, dans une seule langue: le français. Nous n'en avons pas honte. Nous n'avons pas de complexe à nous exprimer dans ce qui n'est plus seulement la langue de Molière. Au contraire: nous voulons renouveler voire refonder le discours sur le français. Rompre avec la terminologie de guerre - "butins" et "langue du colonisateur" - et nous débarrasser des litiges du passé. Nous faisons de cette langue notre enfant légitime.
Nous lui apprendrons à dire nos origines, nos parcours, les causes qui nous tiennent à cœur. Nous lui apprendrons à moduler le chant de ses phrases sur les berceuses de nos mères, et cette langue dont nous userons en ce qu'elle a de plus noble et de plus juste et de plus universel nous dira. Elle en profitera pour rester en mouvement, pour élargir son territoire d'hospitalité, pour rajeunir à la source de nos métissages.
Mais nous ne serons pas là que pour pointer les déséquilibres et détecter les tragédies. Nous voulons redonner au monde sa belle voix, ancrée dans l'espoir et soucieuse des générations futures. Retisser ses liens sociaux et réhabiliter ses traditions de convivialité. Impulser une modernité qui aurait cet attribut féminin de savoir réguler les différences et les différends.
Nous rêvons? Eh bien tant mieux! Parce que le jour où les femmes ne rêveront plus, ce sera le plus grand cauchemar pour les Hommes. Rêvons! Et faisons en sorte que nos rêves s'achèvent dans une raison du monde. Par notre voix s'édifie la seule civilisation qui vaille à nos yeux: la civilisation universelle."

Les signataires (par ordre alphabétique)
  • Marie-Rose Abomo-Maurin
  • Maram Al-Massri
  • Marie-José Alie-Monthieux
  • Ysiaka Anam
  • Dalila Azzi Messabih
  • Safiatou Ba
  • Linda Maria Baros
  • Emna Bel Haj Yahia
  • Nassira Belloula
  • Maïssa Bey
  • Lila Benzaza,
  • Lamia Berrada-Berca
  • Sophie Bessis
  • Tanella Boni
  • Hemley Boum
  • Dora Carpenter-Latiri
  • Nadia Chafik
  • Chahla Chafiq
  • Sonia Chamkhi
  • Miniya Chatterji
  • Aya Cissoko
  • Catherine Cusset
  • Geneviève Damas
  • Zakiya Daoud
  • Bettina de Cosnac
  • Nafissatou Dia Diouf
  • Eva Doumbia
  • Suzanne Dracius
  • Alicia Dujovne Ortiz
  • Sedef Ecer
  • Charline Effah
  • Lise Gauvin
  • Laurence Gavron
  • Khadi Hane
  • Flore Hazoumé
  • Monique Ilboudo
  • Françoise James Ousénié
  • Fabienne Kanor
  • Fatoumata Keïta
  • Liliana Lazar
  • Sylvie Le Clech
  • Catherine Le Pelletier
  • Tchisseka Lobelt
  • Kettly Mars
  • Marie-Sœurette Mathieu
  • Madeleine Monette
  • Hala Moughanie
  • Cécile Oumhani
  • Emeline Pierre
  • Gisèle Pineau
  • Emmelie Prophète
  • Michèle Rakotoson
  • Edith Serotte
  • Leïla Slimani
  • Aminata Sow Fall
  • Elizabeth Tchoungui
  • Audrée Wilhelmy
  • Hyam Yared
  • Olfa Youssef
  • Fawzia Zouari