Ce mois-ci dans notre chronique qui déterre des comics du passé, nous nous intéressons à une série régulière qui a eu une brève existence à la fin des années 90 : Chase de D. Curtis Johnson, J.H. Williams III et Mick Gray, un titre qui était peut-être trop en avance sur temps.
Chase est une série parue de décembre 1997 à septembre 1998, elle propose uniquement 10 épisodes dont un numéro 1,000,000 paru dans le cadre de l'event DC One Million qui nous montrait l'univers DC au 853 ème siècle. Tous les épisodes sont réalisés une équipe créative assez peu connue composée de D. Curtis Johnson au scénario, J.H. Williams III aux dessins et Mick Gray à l'encrage.
La série met en scène Cameron Chase, une agente de terrain travaillant pour le Department of Extranormal Operations, une agence gouvernementale chargée de surveiller les gens des super-pouvoirs et d'intervenir au cas échéant. En tant que telle, elle doit donc s'occuper de métahumains qui représentent une menace potentielle pour le grand public. Elle doit donc les trouver, les surveiller et agir en conséquence. Bien que débutante, Cameron apparaît vite comme une experte dans son domaine, d'autant plus que son père, Walter Chase qui a été un super-héros à son époque.
Ainsi, à chaque aventure, Cameron chasse a à faire à des métahumains plus ou moins dangereux qu'elle doit neutraliser d'une manière ou d'une autre. Le fait est que la jeune agente du D.E.O. a aussi un talent secret qu'elle ne contrôle pas - et qu'elle aurait tendance à renier : elle peut étouffer le pouvoir des métahumains à proximité d'elle. Bien que ce talent puisse lui venir en aide, il va aussi la mettre en danger face à certaines situations.
En plus de devoir partir régulièrement sur le terrain, elle doit aussi gérer sa vie privée. En effet, son copain Peter n'apprécie pas beaucoup qu'elle s'absente autant et qu'elle risque sa vie sans arrêt.
Au fil des épisodes, les affaires dont devra s'occuper l'Agente Chase seront de plus compliquée. En effet, au premier numéro, elle doit arrêter un garçon aux dons pyrokinésiques qui a brûlé son école suite à un accident. Par la suite, elle devra accompagner la Suicide Squad, surveiller les Teen Titans ou, encore, enquêter auprès de Batman.
Comme dans la plus grande tradition des héros et héroïnes de DC Comics, les origines de Cameron ne sont pas dévoilées dès le premier épisode. D. Curtis Johnson laisse planer un mystère autour laissant supposer qu'il s'agit d'un traumatisme chez son héroïne. Les origines seront racontées au numéro 6 de la série, en tout cas les origines du traumatisme qu'elle a vécu et qui la rend si méfiante à l'encontre de son pouvoir.
Ce numéro nous dévoile alors le passé de super-héros de son père, un dénommé The Acro-Bat, leader d'un groupe de super-héros inexpérimentés, la Justice Experience. Mais Walter Chase se fera tué par un scientifique fou, le Doctor Trap. L'épisode a une tonalité particulière mélangeant à la fois l'esprit des comics pulp, mais aussi des romans noir tout en ajoutant une couche violente moderne. En plus, le dessinateur donne à The Acro-Bat un design très proche de celui originel de Batman - alors appelé The Bat-Man - dessiné par Bob Kane avant que Bill Finger intervienne. Je ne suis pas certain que cela soit volontaire, mais le rapport qu'entretient Chase avec Batman dans l'arc qui suit semble confirmer cette intention.
Le charme de la série opère dès les premières pages ; alors que nous la suivons à l'action, D. Curtis Johnson fait de Cameron la narratrice en écrivant "sa voix intérieure". La technique est maintenant plus que connue ayant fait ses preuves maintes fois. En tout cas, dans le cas de Chase, elle permet réellement d'apprécier le personnage très rapidement. L'alternance entre sa vie privée et son boulot est aussi bien trouvée dans le sens où Johnson crée ainsi des pauses fréquentes dans l'action qui est souvent efficace.
J.H. Williams III, artiste qui s'est fait connaître par la suite pour ses travaux sur Promethea, et que nous avons vu récemment sur Batwoman et Sandman Overture, est crédité dès le numéro 2 comme co-scénariste. En effet, il élabore la trame de l'histoire aux côtés de Johnson mais, celui-ci la met en forme et colle les dialogues - souvent somptueux.
Le dessinateur assure aussi de son côté. Alors qu'au début il semble chercher des marques -mais offrant quelques planches incroyables, il va par la suite se lâcher afin de donner vie à sa BD. Il n'hésite pas à faire des découpages très graphiques sans jamais oublier qu'il doit raconter visuellement une histoire. Il joue donc avec la forme et la disposition des cases, avec les perspectives, avec les placements de personnages afin de créer une lecture fluide alors que la disposition est complexe. Les épisodes 7 et 1,000,000 se démarquent d'ailleurs largement du reste tellement le dessinateur s'amuse avec la mise en page. Nous y retrouvons l'incroyable artiste qui a dessiné Batwoman à ces débuts.
Seulement deux épisodes ne sont pas (complètement) dessinés par Williams III mais il est remplacé par deux valeurs sûres : Bob Hall et Charlie Adlard. Les couleurs sont quant à elles confiées à Lee Loughridge, un coloriste que nous apprécions beaucoup au sein de la Mighty Team.
La série s'inscrit dans la continuité d'autres comme Hitman de Garth Ennis et John McCrea (1996) et Ressurection Man de Andy Lanning, Dan Abnett et Butch Guice (1997) dans le sens où elles se déroulent dans le canon de l'univers DC mais semblent adopter la tonalité plus sérieuse et mature qu'on trouve dans les publications Vertigo qui connaissent alors un grand succès, à la fois critique et commercial. La série écrite par Johnson est pourtant celle du lot qui s'arrêtera le plus rapidement, certainement faute de ventes.
Pourtant, DC Comics a essayé de mettre en avant cette série en introduisant Cameron Chase dans les pages de Batman #550 écrit par Doug Moench et dessiné par Kelley Jones, un épisode anniversaire qui proposait une version collector qui s'est plutôt bien vendue.
Ainsi la fin de la série régulière est guère satisfaisante, bien que D. Curtis Johnson donne une sorte de conclusion à la fin de l'épisode 9 - dessiné en grande partie par Charlie Adlard ( The Walking Dead) - la série fait appel à une suite. Même si nous pouvons nous réjouir du fait que nous ayons 10 épisodes - avec le numéro 1,000,000 - absolument excellents.
Ce qui est assez dommage, c'est que la série s'est arrêtée quelques jours avant le démarrage de Marvel Knights chez la concurrence. Même si le principe de la série reste différent des titres supervisés par Joe Quesada, l'ambiance générale est finalement assez proche. Il y a le traitement super-héroïque mais aussi cette volonté de raconter des histoires matures et, parfois, sombres.
Mais, je comparerais plus volontiers Chase à des titres qui ont été publiés plus tard, en 1999 et en 2001 à vrai dire. Habituellement, je ne suis pas fan de comparaison mais ne voir pas des thématiques communes entre Chase et ses séries serait de la ténacité.
En effet, Chase est un peu le chaînon manquant entre Planetary de Warren Ellis et John Cassaday et Alias de Brian Michael Bendis et Michael Gaydos. Le titre de Johnson et Williams III partage avec le premier la thématique de l'agence gouvernementale qui enquête sur des événements paranormaux. Avec le second, il y a la personnalité de l'héroïne qui rentre en jeu, bien que Cameron Chase soit moins rentre dedans que Jessica Jones, elle ne se laisse pas faire. Mais les deux personnages partagent un passé et un traumatisme lié à une histoire de super-héros et de super-héroïnes.
Mais, là où Chase me semble proche des deux titres c'est dans cette manière que l'action rencontre le monde qui l'entoure. Elle côtoie sans arrêt les super-héros et super-héroïnes mais ne fait pas réellement partie de leur monde. Du coup, la série apporte un regard différent sur l'univers DC tout comme Alias le fait pour Marvel ou Planetary pour le comicdom en général.
Donc en plus son histoire personnelle assez prenante et son caractère attachant, Cameron Chase a le droit à une série très intéressante mais qui n'a malheureusement pas le temps d'aller au bout de son concept. Ce qui est d'ailleurs le seul défaut de la série mais nous ne pouvons pas blâmer les auteurs que leur série n'ait pas trouvé leur public.
Malgré une réédition de ses aventures en 2011, Cameron Chase est une grande oubliée par les équipes éditoriales de DC. Elle apparaîtra brièvement dans l'univers DC New 52 dans les pages de la série Batwoman - co-scénarisée par J.H. Williams III - et elle aura le droit à apparaître dans la série télé Supergirl sous les traits de l'actrice Emma Caulfield ( Buffy Contre Les Vampires). Mais, je suis certain que celles et ceux qui ont lu la série à l'époque aimerait bien qu'elle soit relancée avec la même thématique et un traitement similaire.
Je terminerai comme la série, en parlant du numéro 1,000,000 qui, comme je l'écrivais en début d'article, fait partie d'un event de DC. Il s'avère être l'un des meilleurs de cette série de numéro un million parce que cet épisode réussit à être très beau mais aussi à avoir la même dynamique que la série régulière en abordant l'univers DC sous un angle différent - avec un soupçon de Judge Dredd dans le traitement. Ce numéro termine donc avec grâce une série qui méritait d'exister plus longtemps.
[1] À l'époque, la série Batman était loin de trôner en tête des ventes comme maintenant.