La littérature jeunesse et les prix

Dans la petite ville où j’enseigne, la bibliothèque et la municipalité organisent le prix Benjamin, destiné aux élèves de CE 1 et CE 2 de la commune (de 7 à 9 ans). Trois écoles sont concernées (deux publiques et une privée). Cela fait deux ans que je participe à ce prix avec mes élèves et au comité de sélection des huit livres retenus parmi lesquels les enfants choisiront leur préféré. Deux ans que je pleure…

J’ai lu trois livres d’Agnès de Lestrade et trois de Sigrid Baffert (deux déjà retenus mais pas élus par les enfants).

L’année dernière comme cette année mes élèves ont choisi soit l’un soit l’autre et ont toujours été déçus par les choix des autres enfants.

L’année dernière, ils avaient adoré Le ciel d’Homère d’Agnès de Lestrade suivi de très près par Krol le fou de Sigrid Baffert. Cette année, Sans papiers et Krol le fou qui ne savait pas voler étaient encore une fois à touche-touche…

La littérature jeunesse et les prix

Dans la pré-sélection, je viens de lire Les cerfs-volants d’Agnès de Lestrade et La marche du Baoyé de Sigrid Baffert. Deux romans très différents mais très intéressants. Et je me dis que s’ils font partie des huit retenus, une fois encore, les enfants ne les choisiront pas. Et pourtant !!! Quelle qualité ! J’ai lu cet été une grande quantité de romans jeunesse inintéressants, pauvres, écrits sans vocabulaire (on prend vraiment les enfants pour des abrutis !), qui racontaient des histoires mille fois racontées et dans une langue d’une pauvreté absolue…

Agnès de Lestrade écrit des romans engagés, humains, dans lesquels les plus démunis sont les héros. Les cerfs-volants,  c’est une histoire qui se passe en Inde et qui montre aux enfants qu’ils n’ont pas tous les mêmes chances dans la vie. C’est une histoire lumineuse qui fait du bien. Certes, cette histoire, écrite par un enfant, à hauteur des yeux d’un enfant, peut paraître simple voire simpliste mais les images utilisées, l’innocence qui s’en dégage donnent au texte une saveur toute particulière et qui pourrait plaire aussi bien à des enfants de CE 1 que de CE 2.

La littérature jeunesse et les prix

Sur mon blog, j’ai déjà parlé de Sigrid Baffert. J’ai adoré Krol le fou. J’ai adoré l’écriture, les jeux de mots, la vitalité du texte. Avec La marche du Baoyé, elle change de registre. L’écriture est toujours soignée, mais plus poétique, elle trace ses lettres dans le sable rouge pour nous livrer une belle leçon de vie, elle nous dépayse, et en même temps nous expose la réalité de l’exil forcé. Les illustrations et le texte se marient parfaitement. C’est un roman de toute beauté.

La littérature jeunesse et les prix

Parmi les petits romans choisis en septembre par notre comité de lecture, il y a Le cheval qui galopait sous la terre, une histoire de Dedieu, qui s’inscrit dans un contexte historique. Il s’agit ici d’un cheval de trait utilisé pour tirer les wagonnets sous terre, dans les mines. Ce petit ouvrage paru chez Thierry Magnier est dLa littérature jeunesse et les prix’une grande qualité littéraire, et il pourrait plaire aux jeunes enfants puisqu’il évoque l’amitié entre un jeune mineur et un cheval. Mais encore faut-il qu’il soit accompagné par les adultes (enseignants ou/et parents) parce que le vocabulaire n’en est pas toujours aisé.

Un autre roman de qualité, toujours chez Thierry Magnier, toujours dans la collection Petite Poche, Grand ami de Jo Hoestlandt, un titre magnifique qui peut permettre aux enfants de réfléchir à la notion d’amitié et de ce qui est important ou pas dans la vie. Un jeune garçon échoué sur une île est à la recherche d’un trésor. Son ami l’ours, qui est le seul être vivant dans cet endroit, va lui ouvrir les yeux et l’esprit. Qu’est-ce qu’un trésor ? La vie peut-être… tout simplement… Mais qu’est-ce qu’un enfant peut comprendre d’un tel texte, d’une telle profondeur, si l’adulte ne l’aide pas ?

La lecture d’un petit roman pour des jeunes enfants s’accompagne. Les échanges entre les parents et les enfants, les débats entre enfants, le travail mené en littérature par l’enseignant, devraient aider les enfants à aiguiser leur esprit critique, à repérer une écriture de qualité. Je suis donc dubitative sur ces prix littéraires… Parce que malheureusement beaucoup d’enfants choisissent seuls, sans avoir lu tous les livres, parfois comme leur copain, certains enseignants n’ont même pas lu les livres qu’ils leur proposent (si, si, je vous assure, c’est bien vrai !). Certains élèves, à cet âge-là,  ne comprennent pas vraiment ce qu’ils lisent, et si personne ne les accompagne, ils vont choisir celui qui aura été le plus facile à lire, ou celui qui sera le moins éloigné de leur zone de confort (à savoir, un petit policier par exemple) ou un titre au hasard. Je me bats donc pour enlever de la sélection les petits policiers et pour proposer aux enfants des textes de qualité et ouverts sur le monde, sur des émotions nouvelles, poétiques, ou philosophiques, des petits livres qui suscitent des débats… qui interrogent et mènent à une réflexion tout en distrayant. Et je vais souhaiter très fort que les adultes jouent leur rôle…