New York, 3 novembre 1954. Dans quelques jours, le centre d’immigration d’Ellis Island va fermer. John Mitchell, son directeur, resté seul dans ce lieu déserté, remonte le cours de sa vie en écrivant dans un journal les souvenirs qui le hantent : Liz, l’épouse aimée, et Nella, l’immigrante sarde…
Petit rappel (si nécessaire ?) Ellis Island est une île située à l'embouchure de l'Hudson à New York, à quelques centaines de mètres du bout de terre où se dresse la statue de la Liberté. Elle a été, dans la première partie du XXème siècle, l'entrée principale des immigrants qui arrivaient aux Etats-Unis. Les services d'immigration y ont fonctionné du 1er janvier 1892 jusqu'au 12 novembre 1954.
Durant ces neuf derniers jours nous suivons John Mitchell, dans son présent riche en remords et regrets précisés par des flashbacks revenant sur ses plus de quarante ans de carrière. D’employé consciencieux à directeur du centre, le narrateur connait particulièrement bien les lieux et les personnes croisées sur cet îlot. Gardien ou prisonnier volontaire, la limite entre les deux états est mince mais Mitchell s’en satisfait parfaitement. Ici il a connu l’amour avec sa chère Liz, partie trot tôt, infirmière contaminée par le typhus importé par un navire de migrants. Sa tombe lui rappelle perpétuellement ces doux moments.
Mais son esprit et son cœur, sont aussi encombrés d’un souvenir plus douloureux. En 1923, d’un navire italien ont débarqué la jeune Nella et son frère débile mental. Si Nella remplissait les conditions d’admission à l’immigration, il n’en était pas de même pour son frère. Mitchell, pris de passion folle autant qu’instantanée pour la jeune femme tentera de contourner le règlement pour faire admettre le frère ; en vain car le drame va frapper et anéantir le projet. En quelques heures à peine, l’espoir de Mitchell, redémarrer une nouvelle vie avec cette quasi inconnue, va s’effondrer. Le marquant à jamais.
Roman d’amour au cœur de la question migratoire, un thème qui a hélas encore de beaux jours devant lui. Gaëlle Josse l’aborde à petites touches et avec beaucoup de pudeur, d’une écriture tout en délicatesse qui doit certainement sa tonalité à la poésie, autre versant de ses activités littéraires. Un gentil roman – un peu trop à mon goût – qui devrait satisfaire de nombreux lecteurs.
« Le temps s’est figé ici, tous sont allés vers leur vie, je suis resté à la mienne, ici à quai, spectateur de ces destinées multiples, témoin de ces heures ou de ces jours de passage qui ont définitivement changé le visage de leur existence. Welcome to America ! L’attente anxieuse de la bénédiction, de l’acte de baptême, du laissez-passer, du certificat d’aptitude à devenir américain, à la vie, à la mort. Et s’ouvre la Porte d’Or… Pour beaucoup, elle n’aura été qu’un portail grinçant et ils n’auront cessé de l’embellir pour les générations à venir. Car aucun miracle ne les attendait ici, sauf celui dont ils seraient les seuls artisans. Un travail dur et mal payé dans le meilleur des cas, un logement insalubre et bruyant, mais la liberté, et la possibilité d’un nouveau départ. »