Yasmine Ghata s’est fait un nom dans le monde des lettres avec son roman J’ai longtemps eu peur de la nuit, paru en 2016. Elle n’en était pas à son coup d’essai, après plusieurs ouvrages publiés depuis 2004. Pour appréhender son dernier roman, Le calame noir, quelques éléments de biographie peuvent être utiles, comme le fait que Yasmine Ghata travaille dans le domaine du « marché de l’art », ce qui éclaire également certains des sujets évoqués dans ses livres.
Libres pensées...
Le calame noir revient sur l’histoire de Siyah Qalam, un peintre du XVe siècle qui a laissé des œuvres originales centrées sur les nomades des steppes d’Asie centrale.
Une femme, Suzanne, découvre ses œuvres dans le cadre d’une exposition, et est immédiatement transportée quelques siècles plus tôt, qui ressent soudain une proximité et un lien singulier avec la fille du peintre, Aygül, qui lui raconte à travers ses yeux les voyages de son père, les fascinants rouleaux qu’il dérobe au regard de sa fille, sa disgrâce à la cour qui le conduira à l’extrême indigence.
Comme pour J’ai longtemps eu peur de la nuit, Yasmine Ghata se plaît dans un récit à deux voix, qui superposent leur histoire et leurs sentiments, se trouvant des similitudes inattendues – ici, le deuil du père, porté à la fois par Suzanne et par Aygül. C’est une approche que l’on pourrait interroger, car le personnage de Suzanne semble avoir pour effet de créer un pont entre aujourd’hui et l’époque du calame noir, nous accompagnant à faire cette traversée ; cependant, Suzanne n’est pas un personnage qui apporte par ailleurs beaucoup au récit. Comme le lecteur, elle est spectatrice, et les émotions d’Aygül dialoguent avec les siennes.
Il est fascinant de se plonger dans le quotidien de cet homme et de sa fille, traversant les plaines d’Asie centrale, rejoignant la cour, confrontant la vie sauvage et la vie de la « société organisée » de l’époque. Une poésie particulière se dégage de ces scènes simples et authentiques, une atmosphère unique envoûtante.
Je me suis bien sûr interrogée sur les méthodes de documentation auxquelles l’auteur a eu recours, songeant que les sources disponibles devaient être minces et peu faciles d’accès. Le résultat est réussi à mon sens, car j’ai véritablement eu l’impression d’être plongée dans cette période reculée et ce cadre géographique lointain.
Le calame noir propose ainsi un voyage sensoriel et pictural, sur les traces d’une figure mal connue de l’art du XVe siècle, que l’on prend grand plaisir à découvrir.
Pour vous si...
Morceaux choisis
"La fille de Siyah Qalam, le calame noir des steppes d'Asie centrale, s'était aimantée à son être, attirée par cette même odeur du vide, celui des filles sans père. L'errance chevillée au corps, elles cherchent toute leur vie l'impossible présence, cet habitant impalpable à l'écart des terres, sans domicile ni adresse."
"Point d'exploit, ni de noble quête. Les héros qu'il avait coutume de représenter dans les miniatures d'autrefois étaient remplacés par des personnages ingrats et sans gloire. Il devina mon étonnement et eut cette phrase : "Leur misère est héroïque." "
"En ouvrant les yeux, elle est revenue à la réalité, elle a compris que grandir sans père, c'est vivre d'une manière étrange, incomplète et amputée. Un père vous ouvre le monde, construit votre être loin des peurs archaïques et vous donne de l'amour pour toute une vie. Une partie de son être est sans origine, sans ancrage. Elle a toujours eu ce fantôme en elle, cette ombre sans motif, cette grisaille sans contour.
Seul un père donne une valeur. Toutes ses tentatives sont demeurées infructueuses, tous ses efforts vains : on n'est pas une femme sans la reconnaissance d'un père. Il faut sans cesse réparer les manques, raccommoder cette lourde lacune de la vie. Aimer éperdument donne l'illusion d'une guérison, mais les filles sans père aiment mal car elles aiment trop et imposent à l'être aimé une exigence sans cesse renouvelée d'amour parfait, d'amour idéal, d'amour inconditionnel." (et ben on n'est pas dans la merde...)
Note finale3/5(cool)
Libres pensées...
Le calame noir revient sur l’histoire de Siyah Qalam, un peintre du XVe siècle qui a laissé des œuvres originales centrées sur les nomades des steppes d’Asie centrale.
Une femme, Suzanne, découvre ses œuvres dans le cadre d’une exposition, et est immédiatement transportée quelques siècles plus tôt, qui ressent soudain une proximité et un lien singulier avec la fille du peintre, Aygül, qui lui raconte à travers ses yeux les voyages de son père, les fascinants rouleaux qu’il dérobe au regard de sa fille, sa disgrâce à la cour qui le conduira à l’extrême indigence.
Comme pour J’ai longtemps eu peur de la nuit, Yasmine Ghata se plaît dans un récit à deux voix, qui superposent leur histoire et leurs sentiments, se trouvant des similitudes inattendues – ici, le deuil du père, porté à la fois par Suzanne et par Aygül. C’est une approche que l’on pourrait interroger, car le personnage de Suzanne semble avoir pour effet de créer un pont entre aujourd’hui et l’époque du calame noir, nous accompagnant à faire cette traversée ; cependant, Suzanne n’est pas un personnage qui apporte par ailleurs beaucoup au récit. Comme le lecteur, elle est spectatrice, et les émotions d’Aygül dialoguent avec les siennes.
Il est fascinant de se plonger dans le quotidien de cet homme et de sa fille, traversant les plaines d’Asie centrale, rejoignant la cour, confrontant la vie sauvage et la vie de la « société organisée » de l’époque. Une poésie particulière se dégage de ces scènes simples et authentiques, une atmosphère unique envoûtante.
Je me suis bien sûr interrogée sur les méthodes de documentation auxquelles l’auteur a eu recours, songeant que les sources disponibles devaient être minces et peu faciles d’accès. Le résultat est réussi à mon sens, car j’ai véritablement eu l’impression d’être plongée dans cette période reculée et ce cadre géographique lointain.
Le calame noir propose ainsi un voyage sensoriel et pictural, sur les traces d’une figure mal connue de l’art du XVe siècle, que l’on prend grand plaisir à découvrir.
Pour vous si...
- Vous avez quelques lacunes portant sur la production artistique sous la dynastie des Timourides
- Vous êtes intimement convaincu que l’on n’appréhende jamais aussi bien un artiste qu’à travers le regard de sa fille
Morceaux choisis
"La fille de Siyah Qalam, le calame noir des steppes d'Asie centrale, s'était aimantée à son être, attirée par cette même odeur du vide, celui des filles sans père. L'errance chevillée au corps, elles cherchent toute leur vie l'impossible présence, cet habitant impalpable à l'écart des terres, sans domicile ni adresse."
"Point d'exploit, ni de noble quête. Les héros qu'il avait coutume de représenter dans les miniatures d'autrefois étaient remplacés par des personnages ingrats et sans gloire. Il devina mon étonnement et eut cette phrase : "Leur misère est héroïque." "
"En ouvrant les yeux, elle est revenue à la réalité, elle a compris que grandir sans père, c'est vivre d'une manière étrange, incomplète et amputée. Un père vous ouvre le monde, construit votre être loin des peurs archaïques et vous donne de l'amour pour toute une vie. Une partie de son être est sans origine, sans ancrage. Elle a toujours eu ce fantôme en elle, cette ombre sans motif, cette grisaille sans contour.
Seul un père donne une valeur. Toutes ses tentatives sont demeurées infructueuses, tous ses efforts vains : on n'est pas une femme sans la reconnaissance d'un père. Il faut sans cesse réparer les manques, raccommoder cette lourde lacune de la vie. Aimer éperdument donne l'illusion d'une guérison, mais les filles sans père aiment mal car elles aiment trop et imposent à l'être aimé une exigence sans cesse renouvelée d'amour parfait, d'amour idéal, d'amour inconditionnel." (et ben on n'est pas dans la merde...)
Note finale3/5(cool)