Joy Sorman, naturaliste sans certitude

Joy Sorman, naturaliste sans certitude

Les plus grandes qualités de ce roman sont d’être superficiel, répétitif et ennuyeux : comme la vie.

Le roman suit la naissance d’une maladie, son acmé et sa guérison. Ninon Moise, héroïne au nom prophétique, est atteinte d’une maladie de peau, rare et sans symptôme, à part une immense douleur du contact : presque une douloureuse hallucination. Les médecins s’enchaînent, les médecines aussi, mais rien ne semble devoir endiguer la douleur. Ni les méthodes douces, ni les opérations, ni les psychothérapies (mais il est vrai que Ninon Moise abandonne un peu vite cette piste), ni même les remèdes chamaniques ne la soulagent. Aucun dialogue, aucun caractère dans ce roman, mais une succession de cabinets médicaux dont la décoration intérieure est décrite avec une précision chirurgicale.

Le propos est donc, on l’aura compris, le même que celui d’un roman récent de Paule Constant, à savoir que la médecine n’est pas parvenue (et ne parviendra sans doute jamais) à s’extraire de ses déterminismes historiques, et à connaître parfaitement le corps qui garde ses mystères. Mais Joy Sorman est aussi froide et dissécatrice que Paule Constant est humaine et empathique ; pour Paule Constant, les écrivains possèdent ce savoir dont manquent les plus savants docteurs, tandis que Joy Sorman se montre aussi démunie et dubitative que ses personnages médecins. Je ne puis m’empêcher d’y lire un effet de génération : à des anciennes autrices qui faisaient profession de savoir, succèdent des autrices plus jeunes qui ont développé collectivement une esthétique de la perplexité (dont Nathalie Quintane serait la caricature). Comme tous les écrivains naturalistes, Joy Sorman est scientiste : mais c’est une scientiste qui ne nourrit aucun espoir de savoir ; tous ses renseignements sont condamnés d’avance par le présupposé agaçant que tout apprentissage est vain.
C’est lorsque l’héroïne abandonne l’idée même de guérir, qu’elle se trouve guérie un beau matin. Le roman change alors tout à fait de voie, et raconte la nouvelle vie de punk que mène Ninon : on pense aux dernières cinquante pages de Désorientale, de Négar Djavadi, où tout (pays, style, intrigue) est abandonné sans projet précis pour le récit d’une vie de squatteuse.

Joy Sorman, naturaliste sans certitudeJoy Sorman, 2013

Sciences de la vie avait été l’une de mes impasses de la rentrée littéraire 2017, mais voilà qu’il ressort en poche et qu’on le trouve désormais facilement d’occasion.

Ailleurs : voir les avis de Télérama, Le Monde, UnBouquinDansLaPoche qui découvre Joy Sorman avec ce roman, et Les Élucubrations de Fleur qui trouve ce roman superficiel ; voir aussi une interview de Joy Sorman par CultureBox.

Joy Sorman, Sciences de la vie, Seuil, 2017, 272 p., 18€.