Une semaine livresque fructueuse vient de s’achever. Après la claque, les douces anecdotes. C’est parti!
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★★★★★
Elle bougea la tête jusqu’à ce qu’elle trouve une position confortable et demanda: «Et si tu pouvais avoir tout ce que tu voulais sur terre, qu’est-ce que tu choisirais, mon chou?» Il ne répondit pas immédiatement, et elle ne tarda pas à rêver. «Une famille, dit-il finalement. Une famille.» Mais elle dormait déjà et ne l’entendit pas.
David Joy parvient à extraire l’humanité enfouie tout au fond de ses personnages. Le regard qu’il porte sur ce qui l’entoure est empreint d’une bienveillance qui attise l’empathie. Porté par des personnages forts, incarnés, terriblement humains, Le poids du monde m’a bouleversée.David Joy décrit, sans tomber dans le misérabilisme, des rapports humains complexes, tendus. L’implacable et désespérante réalité des Appalaches est servie par une écriture sobre, sans éclat superflu. L’atmosphère rurale en devient tangible: les montagnes, les chemins de terre sinueux, la poussière et la rouille. Un roman âpre et abrasif. Une histoire de paumés magnifiques comme je les aime. Beau et douloureux.Le poids du monde, David Joy, trad. Fabrice Pointeau, Sonatine, 320 pages, 2018.★★★★★· · · · · · · · ·
CRÉATURES DU HASARD – LULA CARBALLO
Le premier roman de Lula Carballo m’a pris par surprise. Je ne savais pas à quoi m’attendre et c’est tant mieux. J’ai plongé dans Créatures de hasard à pieds joints.Ça se passe dans une petite ville d’Amérique du Sud. Peut-être en Uruguay. Ça pourrait aussi se passer dans n’importe quel quartier populaire. Une gamine parle. Du haut de ses neuf ans, on peut dire qu’elle n’a pas froid aux yeux. Cette «petite bête aux cheveux emmêlés, aux ongles sales, aux dents cariées et au ventre vide» noie les fourmis, croque les cafards et écrase les escargots. Elle monte aux arbres et évite les lignes de trottoirs. Mais surtout, elle porte un regard vif et tranchant sur les «femmes de sa vie»: sa grand-mère flamboyante, sa tante sauvage qui couve la corde à linge, l’autre qui fouille les poubelles et entasse tout dans sa petite demeure, l’autre encore qui est guérisseuse. Et la mère, une infatigable madame Blancheville. Une belle brochette de femmes aux reins solides.La gamine désosse son quotidien, révélant au passage l’anguille sous la roche, celle qui gangrène leur vie: le jeu. Gratteux, roulettes ou machines à sous aimantent les femmes du clan. La chance leur sourit rarement, expliquant le frigidaire souvent vide et les ventres creux.Si, d’entrée de jeu, la forme de Créatures du hasard m’a désarçonnée, j’ai rapidement pris plaisir à tourner les pages. Autofiction? Récit par fragments? Qu’importe. Les étiquettes me semblent superflues, ici. Plutôt qu’une intrigue classique, linéaire, les anecdotes s’enfilent comme les perles d’un collier. Les lieux, les odeurs, les couleurs prennent vie. Une lumière éclatante et singulière transcende ce quotidien qui tire le diable par la queue. Des photos, égrenées ici et là, viennent donner du poids aux souvenirs émiettés. Lula Carballo brode le destin d’une gamine dégourdie entourée de trois générations de femmes. Entremêlant leurs histoires avec un doigté de maître, elle dresse un portrait vibrant de son bout de terre et de ceux qui l’habitent. J’ai lu Créatures du hasard d’une traite, comme si je regardais un album de photos: l’oeil alerte, curieuse et charmée. Un récit intime attachant, porté par une écriture vigoureuse.Créatures du hasard, Lula Carballo, Cheval d’août, 146 pages, 2018.★★★★★