"Les chasseurs dans la neige".
Qui était en réalité le peintre Pieter Bruegel dit Bruegel l'Ancien dont une gigantesque rétrospective présente, 450 ans après sa mort, nonante œuvres (trente tableaux sur les quarante ou quarante-cinq qui existent de par le monde ainsi que soixante dessins et gravures) en ce moment au Kunsthistorisches Museum (Musée des Beaux-Arts) de Vienne jusqu'au 19 janvier 2019 (plus d'infos ici)?
En réalité, on sait peu de choses de lui. Il est né vers 1525 près de Breda, aux Pays-Bas. En 1551, il est reçu comme maître à la Guilde de Saint-Luc, à Anvers, après s'être formé auprès du peintre Pieter Coecke Van Aelst dont il épousera la fille, Mayeken, en 1563, à Bruxelles. En 1552-1553, il fait son voyage en Italie en compagnie du peintre Marteen de Vos. De 1555 à 1563, il travaille à Anvers pour l'éditeur Jérôme Cock, réalisant des dessins et des gravures. Il se consacre ensuite à la peinture. Son épouse lui donne deux fils, Pieter Bruegel le Jeune en 1564, Jan Bruegel en 1568. Il meurt à Bruxelles le 5 septembre 1569.
Pour le reste, c'est le blanc. Comme les neiges que Pieter Bruegel a si bien représentées. Le visage du peintre? Son mode de vie? Ses goûts? Sa technique? On n'en sait rien, ce qui permet de tout imaginer, mais pas n'importe comment. En étudiant son œuvre, en se basant sur elle. Ce que fait fort joliment Jean-Yves Laurichesse qui s'est glissé dans un des tableaux les plus célèbres de Bruegel l'Ancien, daté de 1565, "Les chasseurs dans la neige", dont il fait le titre de son nouveau roman (Ateliers Henry Dougier, 92 pages). Une plongée énergisante dans l'art, le processus créatif et le mode de vie de la Flandre du XVIe siècle.
Avec brio, l'écrivain français installé à Toulouse nous fait entrer dans un village de Flandres en 1565, sous l'emprise de l'hiver. Une jeune fille, Maeke, brode près de la fenêtre. Elle repense à cet homme, un bourgeois venu de Brussel comme on dit alors, qui avait participé à la fête du village quelques semaines auparavant. Il avait arrêté de dessiner pour l'inviter à danser. Il lui avait dit qu'il était peintre. Rien de louche mais une étincelle jaillit alors entre eux. Maeke brode à côté de sa mère... Dehors, des chasseurs rentrent chez eux avec leurs chiens. Ils sont tous fatigués, fourbus même.
Jean-Yves Laurichesse nous conte d'une belle plume, simple et attentive, imaginative mais dans la vraisemblance, ce qui se passe dans ce village de Flandre où le peintre fait étape, le temps de prendre des croquis des scènes d'hiver qui se proposent à lui. Il dessine, parle avec l'un et avec l'autre, tente de comprendre ces vies qui ne sont pas les siennes mais qu'il a envie de reproduire avec honnêteté. En face de lui, les villageois et les villageoises sont ce qu'ils sont. Accueillants mais pas trop, méfiants devant ce bourgeois de quarante ans. Que veut-il, cet artiste? Que cherche-t-il?
Lui nous est présenté en contre-point, peintre sensible, avide de montrer le vrai dans ses tableaux, de peindre ces paysans de village, leurs drames comme l'incendie qui ravage une ferme, leurs joies comme la séance de patinage sur glace. Il s'est passé quelque chose entre lui et la jeune Maeke, quelque chose de beau, d'ordre artistique. Ne lui demande-t-elle pas de pouvoir voir le tableau qu'il réalisera après son séjour? Il est aussi sur la même longueur d'ondes que Hendrika, la mère, brodeuse elle aussi. Une veuve qui est prête à laisser partir sa fille unique à la ville de Brussel parce qu'elle a confiance en lui. Il partage avec cette femme fière et courageuse l'idée qu'"ils font un peu le même métier d'embellir le monde avec des moyens matériels".
"Les chasseurs dans la neige" nous fait vivre la création du tableau de l'intérieur, chacune de ses scènes peintes intervenant dans le schéma romanesque du livre. Avec la liberté que permet l'imagination, avec la science que donne le savoir. En parallèle, on suit le parcours de Pieter Bruegel jusqu'à sa mort, de Maeke qui renoncera finalement à la ville pour retrouver son village, forte de nouvelles connaissances, de Hendrika et sa confiance en ceux qui en sont dignes, de ce village qui prend consistance sous nos yeux, tout comme la rue Haute de Brussel où vivait le peintre ainsi que son épouse, la délicieuse Mayeken, pure et généreuse.
Vraiment, c'est un beau roman, imaginatif et documentaire, sur la vie au XVIe siècle et l'acte de créer. Une démarche originale qui vaut le détour.
"Les chasseurs dans la neige" d'après Bruegel l'Ancien. (c) Percival Barrier.
Hasard de la grande toile, j'ai croisé hier la version des "Chasseurs dans la neige" pixellisée par l'illustrateur Perceval Barrier! Elle fait partie d'une série de tableaux célèbres que l'artiste lyonnais a reproduits en pixels sur son site en 2011 et 2012 (ici).
Pour le plaisir, en voici deux autres.
"Le Printemps" d'après Botticelli. (c) Perceval Barrier.
"Les époux Arnolfini" d'après Jan Van Eyck. (c) Perceval Barrier.