Dans deux de ses derniers romans, "Madame la Marquise et les Gentlemen cambrioleurs" et "Seules les femmes sont éternelles", Frédéric Lenormand multipliait les clins d'oeil à Maurice Leblanc et au plus célèbre de ses personnages, Arsène Lupin. Il n'est donc pas très surprenant de découvrir en cet automne que celui qui a déjà redonné vie au Juge Ti s'est lancé dans un sacré challenge : écrire un roman mettant en scène le plus attachant des voleurs, l'insaisissable Arsène, as du déguisement aux personnalités multiples. "Le Retour d'Arsène Lupin" est sorti récemment aux éditions du Masque, et met en scène un Lupin dans une position inattendue, puisqu'il est en pleine dépression, en pleine remise en question... Frédéric Lenormand reprend une des plus célèbres séries de la littérature policière et y imprime sa marque. Avec son humour et son sens des situations improbables, mais avec une tonalité plus sombre que celle qui préside, par exemple, à sa série impliquant Voltaire.
En cette année 1908, Arsène Lupin devrait se réjouir. Il vient de réussir un énorme coup au nez et à la barbe de son meilleur ennemi, Ganimard : un vol magistral, avec évasion intégrée dans le scénario... Non seulement il est reparti avec un vrai trésor qu'un riche Indien venait exposer à Paris, mais en plus, il a tellement écoeuré Ganimard que celui-ci a décidé de prendre sa retraite.
Et pourtant, Lupin ne savoure pas ce succès retentissant. Pire, il est en pleine déprime. A tel point qu'il a pris rendez-vous avec un spécialiste, le docteur Klouche, qu'il consulte depuis quelque temps. Un médecin compétent qui n'a pas eu besoin de longtemps pour définir le mal dont souffre le plus célèbre voleur de son époque.
Une névrose fort originale, puisqu'elle se caractérise par un besoin pathologique de voler. C'est la seule activité humaine dans laquelle il s'épanouit, au point, le reste du temps, de s'enfoncer dans ce mal-être qui l'a poussé à contacter le docteur Klouche. De la cleptomanie ordinaire à la cambriole comme un des beaux-arts, Lupin vit pour voler et vole pour vivre...
Comment sortir de ce cercle vicieux, alors ? Comment rompre avec cette solitude dans laquelle s'est enfermé Arsène, condition sine qua non de sa réussite ? Pour le docteur Klouche, il y a un moyen simple de lutter contre tout cela : l'abstinence ! Soigner le mal par le mal, en quelque sorte, puisqu'il s'agit de ne plus voler pendant quelques semaines. Plus rien, pas même un bonbon dans une épicerie !
Très vite, l'occasion de mettre sa volonté à l'épreuve se présente. Elle prend la forme d'une visite à l'agence Barnett et Cie, une des couvertures du gentleman cambrioleur, celle d'un policier, l'inspecteur Béchoux, qui n'imagine pas une seconde que celui avec lequel il traite régulièrement de ses affaires n'est pas juste un détective, mais l'ennemi public n°1.
Cette fois, il lui demande un coup de main, en vue d'un avancement. Béchoux connaît ses limites en temps que policier, mais il ne cracherait pas sur une médaille. Pour cela, il faut retrouver une perle noire, volée à une riche veuve, Mme Bovaroff, dont feu l'époux, Dieu ait son âme, a inventé un produit miracle, sobrement baptisée bovarine, et qui assure la fortune familiale pour plusieurs générations.
Peut-il résister à la compulsion qui le pousserait en temps ordinaire à retrouver la fameuse perle noire pour mieux l'escamoter ? Il ne pourra le savoir qu'en se rendant chez la Bovaroff, dans les quartiers chics de la capitale, là où le ban et l'arrière-ban des détectives parisiens se presse. Pour Barnett/Lupin, l'affaire est vite entendue et la perle rapidement rendue à sa propriétaire.
Oui, mais... Lors de cette visite, quelque chose a frappé le cambrioleur amateur d'art : au mur, un tableau de Delacroix. Ou plus exactement une copie d'un tableau de Delacroix, là où devrait trôner un original... A peine remise de la disparition de sa chère perle, voilà la Bovaroff bien déconfite. Et Barnett/Lupin mandaté pour une nouvelle enquête, à la recherche de "l'Autoportrait au gilet vert".
Avant d'aller plus loin, un mot sur l'oeuvre qui est au coeur de ce roman, puisqu'il ne s'agit pas d'une oeuvre imaginaire. Non, au contraire, c'est même une oeuvre que l'on connaît bien, enfin si l'on n'est pas un millenial, puisque "l'Autoportrait au gilet vert" de Delacroix a orné pendant des années les billets de 100 francs. Facétie de l'auteur...
Tout est dans la couleur du gilet, qui varie selon les copies qui semblent se multiplier dans Paris. Il n'y a pas que l'auteur qui est facétieux dans cette histoire, le copiste aussi, puisqu'il exerce son art avec talent, mais malice, n'oubliant pas de laisser sa marque discrète dans ces copies quasi parfaites. Pour Lupin, toutefois, ces signes sont un début de piste et vont le mener d'abord à Montmartre...
Mais le Delacroix et ses avatars n'ont pas fini de le faire courir dans tous les coins de la capitale. D'artistes en marchands d'art, de collectionneurs en proches de la famille Bovaroff, les suspects sont nombreux et les périls aussi. Car l'oeuvre volée semble porter malheur à ceux qui l'ont en main ou cherchent à l'accaparer. Un malheur du genre dont on ne se relève pas.
Ainsi se dessine une affaire délicate, dangereuse, mais captivante pour un Lupin qui en oublie quasiment ses problèmes. Le défi qui lui est ainsi lancé est à la hauteur de sa réputation et peu importe si, au final, il lui faudra rendre le chef d'oeuvre à sa légitime propriétaire. Il va tout faire pour mettre la main au gilet (vert) de Delacroix.
Comme dit en préambule, on retrouve tout ce qui fait le charme de la série originale, le voleur insaisissable, méconnaissable puisque jouant de ses nombreuses identités pour brouiller les pistes, une affaire pleine de piment où le voleur n'est pas celui que tout le monde croit, des rencontres avec des personnages qui n'inspirent guère confiance (et réciproquement), des crimes...
Mais, Frédéric Lenormand ne cherche pas à faire du Maurice Leblanc pour autant. Il imprime sa propre marque, son propre style, son humour également, même s'il l'use ici avec parcimonie, proposant un univers tout de même plus sombre que la série des Voltaire, par exemple. Lupin est un personnage carré, l'humour vient souvent du ridicule dans lequel il plonge ses adversaires et en plus, là, il est déprimé...
C'est un des aspects, je pense, où l'on attend au tournant Frédéric Lenormand : quel Lupin va-t-il nous offrir ? Sera-t-il plus proche de son Juge Ti, sobre, carré, réfléchi, ou de Voltaire, l'histrion philosophe qui, du moins jusqu'à sa plus récente enquête, ne donne pas toujours l'impression de maîtriser son sujet lorsqu'il traque un criminel ?
Ce nouveau Lupin est fidèle au modèle, en tout cas à l'image que je m'en faisais lorsque, adolescent, je dévorais les livres de Maurice Leblanc dans la collection "Club du Livre", des ouvrages eux-mêmes offerts à mon père lorsqu'il avait le même âge... Un personnage fascinant, puisqu'il incarne l'immoralité tout en étant, à chaque fois, du côté du bien, face à des criminels bien plus méchants que lui.
On retrouve dans "Le Retour d'Arsène Lupin" ce paradoxe, encore plus marqué ici, puisque sa thérapie lui impose de ne surtout pas voler, chose qu'il sait faire mieux que tout autre. Jamais son alter ego, Jim Barnett, le détective privé, n'a été aussi... vivant. Il n'enquête pas dans le but de tirer son épingle du jeu (et quelque objet précieux avec), mais pour la justice, eh oui, tout arrive, ma brave dame...
Sera-ce suffisant pour guérir ce vilain cafard qui lui trotte dans la tête ? Va-t-il rejoindre définitivement Tony Soprano au rang des dépressifs chroniques que leur activité professionnelle maintient dans la souffrance ou va-t-il trouver un remède à son mal, à son addiction pour le vol ? Pour cela, il va vous falloir lire ce roman, qui offre, allez, un début de réponse...
Il est amusant de voir, dans ce début de psychanalyse, apparaître une question qui traverse la série originale de Maurice Leblanc, sur laquelle on pourrait écrire (et on a peut-être déjà écrit) des thèses et des traités et qui est forcément bien présente dans ce roman : les liens compliqué, et ce depuis toujours, d'Arsène Lupin avec la gent féminine...
Séducteur, il l'est, cela fait presque partie de son personnage, de son attirail de gentleman cambrioleur. Amoureux, il l'est aussi souvent, et sans doute sincèrement. Mais aucune de ces histoires d'amour ne s'est bien terminé, et pas uniquement parce que la vie commune se marie mal avec celle de voleur recherché par toutes les polices du pays...
Eh oui, en faisant entrer un psy dans la vie d'Arsène Lupin, Frédéric Lenormand le place face à cette vérité : qu'il s'agisse de sa mère ou des femmes qu'il l'ont aimé, ces relations n'ont jamais été heureuses, ou alors de manière très éphémères... Voilà aussi peut-être ce qui pousse Lupin à s'isoler, à entretenir cette solitude qui joue forcément un rôle dans son état dépressif...
Et des femmes, évidemment, on en croise, dans "Le Retour d'Arsène Lupin". Mme Bovaroff, évidemment, mais qui n'est pas franchement à ranger dans la même catégorie que celles qu'on vient d'évoquer. En temps normal, il aurait visité son hôtel particulier proche du parc Monceau pour le vider de ses plus belles pièces.
En revanche, Clarisse Saint-Jeanne, la secrétaire de la riche veuve, Mona-Lisa (si, si, c'est bien son prénom) Visantini correspondent mieux à ce profil. Dans deux registres sensiblement différents, je ne vais pas en dire plus, si ce n'est que face à Mona-Lisa, Lupin me fait irrésistiblement penser au Charlot des "Lumières de la ville", face à Virginia Cherrill...
Et puis, il y a l'invitée surprise, dont le nom évoque tant de choses : Mata Hari. Evidemment, Frédéric Lenormand joue ici avec l'image sulfureuse que véhicule ce nom, en dresse un portrait tout à fait romanesque. Mais qui fait de la danseuse orientale, star de l'époque, un personnage parfait dans le contexte des aventures d'Arsène Lupin.
On songe au fil du récit à la Comtesse de Cagliostro, la Némésis d'Arsène Lupin, et l'on se dit effectivement que Mata Hari a l'étoffe de ce genre de personnage. Mieux, elle ressemble terriblement à Arsène Lupin, réunissant les mêmes qualités, les mêmes ambitions, la même roublardise... Je serais curieux de voir si ce roman devient le point de départ d'une série, si on la recroisera...
Vous verrez que Mata Hari n'est pas la seule personnalité historique à faire une apparition dans "le Retour d'Arsène Lupin". Frédéric Lenormand s'amuse avec la période et utilise le décalage qui existe entre ses personnages et ses lecteurs, qui eux, connaissent l'avenir. C'est donc un inconnu appelé à devenir célèbre que l'on croise ici, du côté des ateliers de Montmartre...
Il est à la fois excitant et inquiétant de se retrouver avec en main un roman ressuscitant un personnage aussi emblématique que peut l'être Arsène Lupin. Le pari est osé, même s'il ne faut sans doute pas chercher le jeu des comparaisons et accepter d'abord l'hommage qui est ainsi rendu. Frédéric Lenormand s'empare de ce héros avec tendresse et respect, c'est certain.
Il le cuisine ensuite à sa sauce, jouant d'emblée sur le décalage que va créer cette situation particulière, cette dépression qui ronge Arsène Lupin. Solitaire, individualiste, sans doute désabusé par ses mésaventures passées, cette nouvelle expérience va l'amener à plus d'altruisme, comme on le voit dans le final plein d'émotions de ce roman.
On le quitte en se disant toutefois que tout n'est pas encore résolu, et les failles de cet homme qui semble si sûr de lui, inoxydable et omnipotent, apparaissent brusquement pour lui donner une dimension très humaine. Et si nous nous étions trompés à propos d'Arsène Lupin et de son invincibilité ? S'il déguisait mieux ses échecs que les autres, mais en souffrait plus profondément ?
En cette année 1908, Arsène Lupin devrait se réjouir. Il vient de réussir un énorme coup au nez et à la barbe de son meilleur ennemi, Ganimard : un vol magistral, avec évasion intégrée dans le scénario... Non seulement il est reparti avec un vrai trésor qu'un riche Indien venait exposer à Paris, mais en plus, il a tellement écoeuré Ganimard que celui-ci a décidé de prendre sa retraite.
Et pourtant, Lupin ne savoure pas ce succès retentissant. Pire, il est en pleine déprime. A tel point qu'il a pris rendez-vous avec un spécialiste, le docteur Klouche, qu'il consulte depuis quelque temps. Un médecin compétent qui n'a pas eu besoin de longtemps pour définir le mal dont souffre le plus célèbre voleur de son époque.
Une névrose fort originale, puisqu'elle se caractérise par un besoin pathologique de voler. C'est la seule activité humaine dans laquelle il s'épanouit, au point, le reste du temps, de s'enfoncer dans ce mal-être qui l'a poussé à contacter le docteur Klouche. De la cleptomanie ordinaire à la cambriole comme un des beaux-arts, Lupin vit pour voler et vole pour vivre...
Comment sortir de ce cercle vicieux, alors ? Comment rompre avec cette solitude dans laquelle s'est enfermé Arsène, condition sine qua non de sa réussite ? Pour le docteur Klouche, il y a un moyen simple de lutter contre tout cela : l'abstinence ! Soigner le mal par le mal, en quelque sorte, puisqu'il s'agit de ne plus voler pendant quelques semaines. Plus rien, pas même un bonbon dans une épicerie !
Très vite, l'occasion de mettre sa volonté à l'épreuve se présente. Elle prend la forme d'une visite à l'agence Barnett et Cie, une des couvertures du gentleman cambrioleur, celle d'un policier, l'inspecteur Béchoux, qui n'imagine pas une seconde que celui avec lequel il traite régulièrement de ses affaires n'est pas juste un détective, mais l'ennemi public n°1.
Cette fois, il lui demande un coup de main, en vue d'un avancement. Béchoux connaît ses limites en temps que policier, mais il ne cracherait pas sur une médaille. Pour cela, il faut retrouver une perle noire, volée à une riche veuve, Mme Bovaroff, dont feu l'époux, Dieu ait son âme, a inventé un produit miracle, sobrement baptisée bovarine, et qui assure la fortune familiale pour plusieurs générations.
Peut-il résister à la compulsion qui le pousserait en temps ordinaire à retrouver la fameuse perle noire pour mieux l'escamoter ? Il ne pourra le savoir qu'en se rendant chez la Bovaroff, dans les quartiers chics de la capitale, là où le ban et l'arrière-ban des détectives parisiens se presse. Pour Barnett/Lupin, l'affaire est vite entendue et la perle rapidement rendue à sa propriétaire.
Oui, mais... Lors de cette visite, quelque chose a frappé le cambrioleur amateur d'art : au mur, un tableau de Delacroix. Ou plus exactement une copie d'un tableau de Delacroix, là où devrait trôner un original... A peine remise de la disparition de sa chère perle, voilà la Bovaroff bien déconfite. Et Barnett/Lupin mandaté pour une nouvelle enquête, à la recherche de "l'Autoportrait au gilet vert".
Avant d'aller plus loin, un mot sur l'oeuvre qui est au coeur de ce roman, puisqu'il ne s'agit pas d'une oeuvre imaginaire. Non, au contraire, c'est même une oeuvre que l'on connaît bien, enfin si l'on n'est pas un millenial, puisque "l'Autoportrait au gilet vert" de Delacroix a orné pendant des années les billets de 100 francs. Facétie de l'auteur...
Tout est dans la couleur du gilet, qui varie selon les copies qui semblent se multiplier dans Paris. Il n'y a pas que l'auteur qui est facétieux dans cette histoire, le copiste aussi, puisqu'il exerce son art avec talent, mais malice, n'oubliant pas de laisser sa marque discrète dans ces copies quasi parfaites. Pour Lupin, toutefois, ces signes sont un début de piste et vont le mener d'abord à Montmartre...
Mais le Delacroix et ses avatars n'ont pas fini de le faire courir dans tous les coins de la capitale. D'artistes en marchands d'art, de collectionneurs en proches de la famille Bovaroff, les suspects sont nombreux et les périls aussi. Car l'oeuvre volée semble porter malheur à ceux qui l'ont en main ou cherchent à l'accaparer. Un malheur du genre dont on ne se relève pas.
Ainsi se dessine une affaire délicate, dangereuse, mais captivante pour un Lupin qui en oublie quasiment ses problèmes. Le défi qui lui est ainsi lancé est à la hauteur de sa réputation et peu importe si, au final, il lui faudra rendre le chef d'oeuvre à sa légitime propriétaire. Il va tout faire pour mettre la main au gilet (vert) de Delacroix.
Comme dit en préambule, on retrouve tout ce qui fait le charme de la série originale, le voleur insaisissable, méconnaissable puisque jouant de ses nombreuses identités pour brouiller les pistes, une affaire pleine de piment où le voleur n'est pas celui que tout le monde croit, des rencontres avec des personnages qui n'inspirent guère confiance (et réciproquement), des crimes...
Mais, Frédéric Lenormand ne cherche pas à faire du Maurice Leblanc pour autant. Il imprime sa propre marque, son propre style, son humour également, même s'il l'use ici avec parcimonie, proposant un univers tout de même plus sombre que la série des Voltaire, par exemple. Lupin est un personnage carré, l'humour vient souvent du ridicule dans lequel il plonge ses adversaires et en plus, là, il est déprimé...
C'est un des aspects, je pense, où l'on attend au tournant Frédéric Lenormand : quel Lupin va-t-il nous offrir ? Sera-t-il plus proche de son Juge Ti, sobre, carré, réfléchi, ou de Voltaire, l'histrion philosophe qui, du moins jusqu'à sa plus récente enquête, ne donne pas toujours l'impression de maîtriser son sujet lorsqu'il traque un criminel ?
Ce nouveau Lupin est fidèle au modèle, en tout cas à l'image que je m'en faisais lorsque, adolescent, je dévorais les livres de Maurice Leblanc dans la collection "Club du Livre", des ouvrages eux-mêmes offerts à mon père lorsqu'il avait le même âge... Un personnage fascinant, puisqu'il incarne l'immoralité tout en étant, à chaque fois, du côté du bien, face à des criminels bien plus méchants que lui.
On retrouve dans "Le Retour d'Arsène Lupin" ce paradoxe, encore plus marqué ici, puisque sa thérapie lui impose de ne surtout pas voler, chose qu'il sait faire mieux que tout autre. Jamais son alter ego, Jim Barnett, le détective privé, n'a été aussi... vivant. Il n'enquête pas dans le but de tirer son épingle du jeu (et quelque objet précieux avec), mais pour la justice, eh oui, tout arrive, ma brave dame...
Sera-ce suffisant pour guérir ce vilain cafard qui lui trotte dans la tête ? Va-t-il rejoindre définitivement Tony Soprano au rang des dépressifs chroniques que leur activité professionnelle maintient dans la souffrance ou va-t-il trouver un remède à son mal, à son addiction pour le vol ? Pour cela, il va vous falloir lire ce roman, qui offre, allez, un début de réponse...
Il est amusant de voir, dans ce début de psychanalyse, apparaître une question qui traverse la série originale de Maurice Leblanc, sur laquelle on pourrait écrire (et on a peut-être déjà écrit) des thèses et des traités et qui est forcément bien présente dans ce roman : les liens compliqué, et ce depuis toujours, d'Arsène Lupin avec la gent féminine...
Séducteur, il l'est, cela fait presque partie de son personnage, de son attirail de gentleman cambrioleur. Amoureux, il l'est aussi souvent, et sans doute sincèrement. Mais aucune de ces histoires d'amour ne s'est bien terminé, et pas uniquement parce que la vie commune se marie mal avec celle de voleur recherché par toutes les polices du pays...
Eh oui, en faisant entrer un psy dans la vie d'Arsène Lupin, Frédéric Lenormand le place face à cette vérité : qu'il s'agisse de sa mère ou des femmes qu'il l'ont aimé, ces relations n'ont jamais été heureuses, ou alors de manière très éphémères... Voilà aussi peut-être ce qui pousse Lupin à s'isoler, à entretenir cette solitude qui joue forcément un rôle dans son état dépressif...
Et des femmes, évidemment, on en croise, dans "Le Retour d'Arsène Lupin". Mme Bovaroff, évidemment, mais qui n'est pas franchement à ranger dans la même catégorie que celles qu'on vient d'évoquer. En temps normal, il aurait visité son hôtel particulier proche du parc Monceau pour le vider de ses plus belles pièces.
En revanche, Clarisse Saint-Jeanne, la secrétaire de la riche veuve, Mona-Lisa (si, si, c'est bien son prénom) Visantini correspondent mieux à ce profil. Dans deux registres sensiblement différents, je ne vais pas en dire plus, si ce n'est que face à Mona-Lisa, Lupin me fait irrésistiblement penser au Charlot des "Lumières de la ville", face à Virginia Cherrill...
Et puis, il y a l'invitée surprise, dont le nom évoque tant de choses : Mata Hari. Evidemment, Frédéric Lenormand joue ici avec l'image sulfureuse que véhicule ce nom, en dresse un portrait tout à fait romanesque. Mais qui fait de la danseuse orientale, star de l'époque, un personnage parfait dans le contexte des aventures d'Arsène Lupin.
On songe au fil du récit à la Comtesse de Cagliostro, la Némésis d'Arsène Lupin, et l'on se dit effectivement que Mata Hari a l'étoffe de ce genre de personnage. Mieux, elle ressemble terriblement à Arsène Lupin, réunissant les mêmes qualités, les mêmes ambitions, la même roublardise... Je serais curieux de voir si ce roman devient le point de départ d'une série, si on la recroisera...
Vous verrez que Mata Hari n'est pas la seule personnalité historique à faire une apparition dans "le Retour d'Arsène Lupin". Frédéric Lenormand s'amuse avec la période et utilise le décalage qui existe entre ses personnages et ses lecteurs, qui eux, connaissent l'avenir. C'est donc un inconnu appelé à devenir célèbre que l'on croise ici, du côté des ateliers de Montmartre...
Il est à la fois excitant et inquiétant de se retrouver avec en main un roman ressuscitant un personnage aussi emblématique que peut l'être Arsène Lupin. Le pari est osé, même s'il ne faut sans doute pas chercher le jeu des comparaisons et accepter d'abord l'hommage qui est ainsi rendu. Frédéric Lenormand s'empare de ce héros avec tendresse et respect, c'est certain.
Il le cuisine ensuite à sa sauce, jouant d'emblée sur le décalage que va créer cette situation particulière, cette dépression qui ronge Arsène Lupin. Solitaire, individualiste, sans doute désabusé par ses mésaventures passées, cette nouvelle expérience va l'amener à plus d'altruisme, comme on le voit dans le final plein d'émotions de ce roman.
On le quitte en se disant toutefois que tout n'est pas encore résolu, et les failles de cet homme qui semble si sûr de lui, inoxydable et omnipotent, apparaissent brusquement pour lui donner une dimension très humaine. Et si nous nous étions trompés à propos d'Arsène Lupin et de son invincibilité ? S'il déguisait mieux ses échecs que les autres, mais en souffrait plus profondément ?