Olivia de Lamberterie. (c) Jean-Luc Bertini/Stock.
Olivia de Lamberterie, on l'entend certains dimanches soirs sur France Inter. Crânement, de sa petite voix qui porte et en formules finement tournées, elle s'oppose aux critiques du "Masque et la Plume" et défend, souvent seule contre tous, les livres qu'elle a lus et aimés. Olivia de Lamberterie, on la voit certains matins sur France 2 dans "Télématin". Elle essaie que les téléspectateurs lèvent le nez de leur bol de Ricoré et l'écoutent leur parler d'un livre. Pour cela, elle cherche un fil, un angle d'attaque, une image. Rien de scientifique, de l'intuition, de l'émotion. Olivia de Lamberterie, on la lit chaque semaine dans le "Elle" français dont elle dirige les pages littéraires et l'équipe. Là, plus sûre de l'attention de la lectrice, la journaliste tente davantage de la charmer. Lui ouvre des tas d'horizons littéraires. Partage avec elle son goût immense pour les livres, la manière dont ils la nourrissent.
Olivia de Lamberterie, c'est la passion de la littérature. Des milliers de romans et de récits lus, soupesés, chroniqués. En bien très souvent, en mal parfois. L'expertise à propos de la difficulté d'écrire un bon roman. Une certaine sagesse à ne pas se lancer elle-même dans l'aventure littéraire. Olivia de Lamberterie, c'est aussi une amoureuse de la famille, de sa famille, "très curieuse, très recomposée, une famille qui s'aime", comme elle dit. Hier, une fratrie de quatre enfants avec tous les jeux, les aventures et les confidences que cela permet. Aujourd'hui, ces quatre enfants ont grandi, ont fondé des familles et s'aiment toujours. Il n'y a pas de meilleures vacances pour l'écrivaine que celles qui les rassemblent tous avec leurs tribus respectives. Plage, mer, piscine, pique-niques, repas, veillées, balades...
"Je n'aime pas les livres qui sont fermés sur eux-mêmes", me confie Olivia de Lamberterie, de passage à Bruxelles. "Quand je lis, j'aime qu'une histoire singulière résonne chez les lecteurs, que l'auteur mette des mots sur des émotions que j'ai ressenties. Je voulais écrire sur comment on fait pour vivre en bonne compagnie avec les morts". Son livre est la chronique de l'automne 2015 à Paris, qui a suivi la disparition d'Alex, en alternance avec l'été 2015 à Cadaquès et Montréal, où les systèmes d'alarme s'étaient déjà déclenchés. On suit la journaliste dans son quotidien de travail, lectures et rencontres professionnelles, dans ses souvenirs d'enfant, dans ses questionnements multiples, à propos de son enfance, de celle des ses trois propres fils, de l'éducation, de la génétique familiale (pourquoi les hommes chez eux mettent-ils fin à leur vie?), des notions de famille et de bien-être, aussi importantes chez les Lamberterie que celle de travail.
On plonge avec elle dans le choc de l'annonce, la douleur de la perte, la colère devant l'inéluctable, les mots et les silences, les explications et les souvenirs heureux. Des montagnes russes qui mènent à un apaisement où s'épaulent joie et tristesse. "Les enfants expliquent qu'on est mort parce qu'on a fini de vivre", rappelle l'auteure. "Ils ont une naïveté qui donne un bon éclairage. César, l'aîné de mes deux derniers fils, a écrit à sa cousine Juliette qu'Alex avait une bonne raison de mourir."
En même temps, rien n'est éludé de la violence que représente un suicide. "Moi, je n'ai pas voulu chercher à l'élucider. C'est le choix de mon frère et je le respecte. C'est mieux pour moi et c'est mieux pour lui. Mais le suicide est une douleur morale en plus d'une douleur physique. Quand, par exemple, on a mal aux dents, cela prend toute la place dans la vie, quand Alex est mort, ma douleur morale a été aussi une douleur physique."
Un jour, Olivia de Lamberterie a écrit, expérimentant la formule de Françoise Sagan, "On n'a pas envie d'écrire, on écrit". Elle a écrit Alex, son roi, son roi fêlé. Pour le chérir. Pour qu'il redevienne vivant. Pour prolonger son existence. Pour s'empêcher de sombrer. Pour Juliette, sa fille, pour Florence, sa compagne. Pour tous ceux qui sont en deuil car ses mots touchent à l'universel. "Je me revois devant l'ordinateur de mon bureau", se rappelle-t-elle. "Avec la photo à bonnet qu'il m'avait envoyée et ce titre, "Avec toutes mes sympathies", venu de Montréal. Je revois ma première phrase, "Où es-tu, mon frère?" J'ai d'abord écrit dans l'inconscience, sans filtre, sur le scandale qu'a été sa mort. Puis sont venues les questions sur la forme, le rythme. Quand cette entreprise insensée est devenue du travail, mot prôné dans ma famille, je me suis sentie rassurée. C'était une manière pour moi d'éloigner le chagrin. Je m'inventais des histoires pour me mettre au travail sans en avoir l'impression."
Un premier livre et un récit où la journaliste parle d'elle! "Pour moi, parler de moi, c'est tomber l'armure. Par rapport à d'où je viens, c'est une transgression. La mort d'Alex était tellement énorme que je devais "être à la hauteur", pour reprendre une formule en usage dans la famille, formidable mais compliquée. Je voulais raconter l'inéluctable avec cette mort que je redoutais tant et que même notre amour n'a pas empêchée, inventer une nostalgie heureuse, une manière heureuse d'être triste, garder les absents dans nos vies, apprivoiser la mort comme un animal féroce, la transformer, retrouver notre gaieté."
"Avec toutes mes sympathies" pose des mots justes sur des émotions, questionne l'incompris et permet d'aborder la mort des êtres aimés de manière plus libre. C'est un livre de vie autant qu'un tombeau, un récit dont on sort plus fort.