Un si beau diplôme !

Un si beau diplôme !

Un si beau diplôme ! – Scholastique Mukasonga

Gallimard (2018)
J’ai passé la moitié de ma vie à courir après un diplôme. Ce n’était pourtant pas une thèse de doctorat, de celles qui restent en chantier toute une vie et couronnent une brillante carrière universitaire : non, ce n’était qu’un modeste diplôme d’assistante sociale.
Ce diplôme d’assistante sociale, c’est le point central de ce récit de Scholastique Mukasonga, où elle relate ses efforts pour obtenir ce sésame qui selon son père, la sauvera de la mort promise aux Tutsis et sera pour elle comme un talisman, un passeport pour la vie.
Avec ce livre, elle rend aussi hommage à son père, qui selon elle lui a donné deux fois la vie, en la concevant d’abord, puis en l’obligeant à aller à l’école, alors que petite fille elle voulait rester collée aux basques de sa mère. En l’incitant à s’instruire, à obtenir un diplôme, son père a été un élément moteur dans sa détermination à poursuivre son but, à être autonome, à servir les autres, et c’est ainsi qu’il l’a sauvée de la mort puisque son obstination l’a menée loin du Rwanda.
Et pourtant, le parcours de Scholastique Mukasonga a été semé d’embûches : elle a dû s’exiler au Burundi, loin de ses parents, pour continuer ses études d’assistante sociale, car en tant que Tutsi, elle ne pouvait plus étudier au Rwanda. Mais une fois le précieux diplôme obtenu, elle a vite déchanté : pas de place pour elle dans l’administration Burundaise, malgré son obstination et ses démarches.
Elle réussit à obtenir un poste sur une mission de l’UNICEF, ce qui lui permet, pendant cinq années, de contribuer à améliorer les conditions de vie des mères et des enfants des collines de Gitega. C’est là aussi qu’elle rencontre son mari, un coopérant français. À ses côtés, elle vit ensuite à Djibouti, où elle doit de nouveau constater l’insignifiance de son diplôme et affronter le racisme anti-africain ambiant. Enfin, en 1992, c’est le retour définitif de la famille en France, en Normandie, où elle espère enfin pouvoir exercer son métier. Hélas, bien qu’elle soit naturalisée française, son diplôme du Burundi n’est pas reconnu puisqu’il faut un diplôme d’état pour être assistante sociale en France.
Grâce à son obstination, elle réussit à intégrer l’école d’assistante sociale et obtient enfin le précieux diplôme qui lui donne accès à la profession dont elle a toujours rêvé et qu’elle exerce toujours.
En 1994, trente-sept personnes de sa famille sont exterminées dans le massacre des Tutsis, la population entière de Gitega est décimée.
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Je traversais ces jours de ce que personne n’osait encore appeler un génocide comme une somnambule. C’était comme si la routine du quotidien se poursuivait en mon absence : comme à l’accoutumée, je faisais le ménage, préparais les repas, m’occupais de mes enfants, semblais m’intéresser aux informations que collectait mon mari. J’assistais aux cours, je répondais mécaniquement aux questions curieuses ou inquiètes que me posaient mes camarades : « Il se passe de drôles de choses chez toi - Oui, comme tu dis, de drôles de choses. » Mais tout cela se faisait sans moi, se déroulait loin de moi, dans un autre monde auquel je n’avais plus part, qui ne me concernait en rien, qui s’éloignait irrémédiablement de moi, qui ne pourrait jamais comprendre ma douleur, contenir mon désespoir.
Les portes de la folie s’ouvraient comme un refuge. À quoi bon ce diplôme !
Vingt ans plus tard, lorsqu’elle assiste à Kigali aux cérémonies de commémoration du génocide, elle laisse enfin ses larmes couler, la laver « de tout ce remord d’être encore là, vivante, m’appuyant sur tous ceux qui étaient là, à mes côtés, qui me soutenaient dans la même douleur pour ne pas s’effondrer… »
Pour autant, n’allez pas croire que ce récit soit triste et pathétique. Non, au contraire, à part ces quelques passages où Scholastique Mukasonga évoque le drame, le reste du récit est enjoué, vivant, il restitue les us et coutumes des lieux qu’elle a traversés, les aberrations des systèmes administratifs, son acharnement à parvenir à ses fins, les souvenirs joyeux de l’enfance et des années d’études malgré les difficultés rencontrées.
Bref, une lecture indispensable et la certitude que Scholastique Mukasonga est une belle personne, au-delà de ses qualités littéraires, puisqu’elle continue à s’intéresser au sort des autres, si j’en crois cet article paru dans Libération en 2017.
À propos de ce livre, les articles de Télérama et de Libération.
À découvrir également, le site de l'auteur et en particulier ce billet où elle explique l'origine de son nom.