La Méduse, « la queen des queers » (p. 32), est l’emblème que se choisit Hélène Cixous, en 1975, dans son ouvrage féministe le plus lu et le plus traduit, Le rire de la Méduse. Elle est d’abord un modèle de difformité monstrueuse et comique ; or l’essai appelle les femmes à s’exprimer et à rire tout à la fois : « à nous d’éc-rire » (p. 25). Les femmes se contrôlent elles-mêmes sans arrêts, surveillent leurs envies, et leur personnalité particulière n’apparait pas en public : « qui ne s’est pas, surprise et horrifiée par le remue-ménage fantastique de ses pulsions (car on lui a fait croire qu’une femme bien réglée, normale, est d’un calme… divin), accusée d’être monstrueuse ? » (p. 39).
Cette injonction est d’autant plus déplorable, dit H. Cixous, que l’expression de la femme a souvent plus à apporter que celle de l’homme, « idole aux couilles d’argile » (p. 53). « Ecoute parler une femme dans une assemblée » : « elle se lâche« , elle s’engage charnellement dans son discours, contrairement à « l’homme commun » qui « n’engage que la plus petite partie du corps plus le masque » (p. 47). Chez les femmes artistes, la monstration est perçue comme une monstruosité, ce qui conduisit H. Cixous à cet appel fondateur et impudique, dans un style charlie et soixante-huitard : « Qu’ils tremblent, les prêtres, on va leur montrer nos sextes ! » (p. 54). Car, que les femmes le sachent, « toutes les pulsions sont nos bonnes forces » (p. 64).
Lorsque j’étais allé entendre Hélène Cixous à la bibliothèque nationale, elle avait beaucoup parlé de sa mère, modèle d’espièglerie, femme forte et polyglotte. Le rire de la Méduse est certainement écrit dans une langue maternelle et presque en souvenir de ce modèle, à une époque où « il y avait du Père de tous les côtés », comme elle s’en souvient dans la préface à l’édition de 2010. Qu’est-ce que ce manifeste féministe garde d’imitable, en 2018 ? L’exhibition du corps féminin est une forme d’activisme encore en pratique chez les Femen et même dans le féminisme 2.0. Mais l’opposition nettement tranchée, assénée par H. Cixous à grands renforts de psychanalyse et de littérature, entre des hommes rationnels et calculateurs et des femmes passionnelles et monstrueuses, semble aujourd’hui essentialiser des tendances qui n’ont rien d’indépassable. Pour une longue procession d’hommes de lettres dans l’Histoire, il est vrai, les femmes furent tenues pour des Chimères : ce n’est pas une raison pour exiger encore qu’elles se montrent telles.
Voir ailleurs : le compte-rendu en anglais de Cara Benedetto et celui de Female Dwellings.
Hélène Cixous, Le Rire de la Méduse et autres ironies, Galilée, 2010 [1975], 197 p., 29 €.