INTERVIEW – Libon: « Quitte à raconter des bêtises, autant y aller à fond »

Ne vous fiez pas aux apparences. Derrière ses graphismes colorés et ses personnages animaliers, « Les cavaliers de l’apocadispe » n’est pas qu’une simple BD pour enfants. Au contraire, on peut dire que c’est l’une des séries les plus déjantées du Journal Spirou, à l’humour aussi absurde que délicieux. Dans « Les cavaliers de l’apocadispe », l’auteur français Libon met en scène les aventures rocambolesques de trois gamins qui ont deux caractéristiques principales. La première, c’est de déborder d’imagination. La deuxième, c’est de commettre des bêtises aux conséquences apocalyptiques. Visite au musée, balade en forêt, simple cours en classe: tout devient très vite hors de contrôle avec ces trois lascars… C’est donc un réel plaisir de retrouver enfin en album ces courts récits à l’humour inclassable. Il était temps!

Enfin un album pour « Les cavaliers de l’apocadispe », dix ans après leur première apparition dans les pages du Journal Spirou. Pourquoi est-ce que ça a duré aussi longtemps?

Il a d’abord fallu un peu de temps pour que la série s’installe dans le journal. C’est vrai que cela fait déjà quelques années qu’on a accumulé suffisamment de matière pour faire un album. Mais si ça a traîné un peu, c’est parce qu’on ne savait pas exactement quelle forme lui donner. C’est ce qui explique pourquoi on a fait pas mal d’essais de maquettes avant d’aboutir à cette version finale.

Est-ce que vous avez dû redessiner certaines séquences? Je pense notamment à la première séquence de l’album, dans laquelle on apprend comment est né le trio des « cavaliers de l’apocadispe ».

Non, je n’ai rien redessiné. Cet épisode-là était déjà paru dans Spirou il y a quelques années. Chronologiquement, ce n’était d’ailleurs pas le premier puisqu’il est paru au milieu des autres. En réalité, je n’ai pas eu à retravailler les séquences parce qu’il n’y a pas énormément de différences graphiques entre les histoires.

Et l’ordre des histoires, vous y avez beaucoup réfléchi?

Il fallait faire une sélection. J’ai donc mis toutes les histoires devant moi et j’ai fait comme si je lisais le livre. La première s’est imposée d’elle-même parce que c’était une introduction aux personnages. Mais pour les autres, j’ai fait plein d’essais, en ajoutant et en enlevant des histoires. Au final, j’ai décidé de la succession des séquences en me basant sur une année scolaire. L’album démarre par la rentrée et se termine par les grandes vacances.

INTERVIEW – Libon: « Quitte à raconter des bêtises, autant y aller à fond »

Vos séquences sont souvent assez surréalistes. D’où vous vient votre inspiration?

En réalité, ce sont des histoires qui se basent sur ce que je vivais avec mes copains quand j’avais 8 ou 9 ans et que j’habitais à la campagne. C’était une époque où on était assez libres, parce que nos parents nous laissaient vadrouiller dans la nature. Du coup, on faisait forcément des conneries. Je me souviens qu’on grimpait beaucoup trop haut aux arbres, par exemple. Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que c’était assez débile mais quand on est gamin, on trouve forcément que c’est une super idée. Cela dit, on était loin de faire des choses aussi graves que mes personnages!

« Les cavaliers de l’apocadispe », c’est donc un peu votre enfance?

Oui, on peut dire ça. J’ai imaginé cette série à la naissance de ma fille. J’ai eu envie de raconter ces histoires d’enfants quand je me suis rendu compte du décalage qui existait entre le peu de liberté que j’avais l’intention de donner à ma fille en tant que parent flippé et la grande liberté dont j’avais bénéficié moi-même quand j’étais petit.

D’où vient le ton très particulier de votre série?

Quitte à raconter des bêtises, autant y aller à fond! Les idées de mes personnages sont souvent très simples, mais c’est leur vision du monde qui est naïve et irresponsable. Ce qui m’amuse surtout, c’est de trouver des moyens de transformer leurs idées, qui sont souvent un peu idiotes au départ, en véritables catastrophes. Souvent, je pars d’un thème général, comme un voyage en car ou une visite de musée, et puis j’imagine tout ce qui peut se passer. Je pense à mes histoires assez longtemps à l’avance, mais sans les scénariser ou les mettre sur papier. Quand je commence à dessiner, j’ai des bouts de dialogues et des idées assez générales en tête – quelqu’un qui se prend un arbre sur la tronche, par exemple – mais je me laisse entraîner et je n’écris les dialogues que tout à la fin du processus. Quand j’ai des idées de répliques, je les note au crayon très léger sur mes planches. Celles-ci sont d’ailleurs remplies de plein de petites annotations. Je sais grosso modo ce que je veux faire dire à mes personnages, mais les mots exacts arrivent en tout dernier lieu.

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Vos histoires se basent sur un trio de personnages, qui ont chacun leur personnalité. Est-ce qu’on peut dire qu’ils sont complémentaires?

Le petit koala avec des lunettes est un peu le chef. D’ailleurs, on ne connaît pas vraiment son nom dans la série, parce que personne ne l’appelle, vu que c’est le chef. Ensuite, il y a le petit poulet, qui est un gringalet allergique à tout. C’est un suiveur et il a toujours un peu peur. Du coup, il essaie surtout de retenir les autres de faire des catastrophes. Et puis, il y a le troisième gamin, qui a plein de super idées pour faire des bêtises et qui n’hésite jamais à les mettre en pratique.

Comment les enfants réagissent-ils à vos histoires?

Ca les fait marrer, parce qu’ils aiment bien les gamins qui font des grosses bêtises. J’essaie d’ailleurs de ne pas avoir deux niveaux de lecture dans mes histoires. Mon objectif est que les enfants et les adultes puissent rire des mêmes choses, sans qu’il n’y ait de clin d’oeil destiné aux adultes.

Vous croyez que les enfants apprécient votre humour absurde?

L’humour, c’est forcément compliqué parce que tout le monde ne rit pas des mêmes gags.  Je pense donc qu’il y a des gens qui ne vont pas trouver ça drôle et puis d’autres qui vont trouver ça très drôle. J’essaie en tout cas d’amener mes lecteurs à faire fonctionner leur imagination. C’est pour ça que je mets des grosses ellipses dans mes planches. Je montre les conséquences, mais sans nécessairement montrer la catastrophe en elle-même. Personnellement, cela me fait beaucoup rire de ne pas savoir exactement ce qui s’est passé. Imaginer la scène dans sa tête permet au lecteur d’apporter sa pierre dans ce qu’il trouve marrant.

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Comment voyez-vous la suite de la série? Vous vous voyez animer « Les cavaliers de l’apocadispe » pendant encore longtemps?

Oui, ça se pourrait, parce que les bêtises sont un sujet inépuisable! (rires) Mes histoires peuvent partir de n’importe quelle situation. Même une simple collection de timbres constitue un point de départ potentiel vers toutes sortes d’histoires possibles. La vente d’un timbre super cher sur eBay ou une convention de collectionneurs, par exemple…

Comment faites-vous quand vous avez une idée comme celle-là? Vous la notez dans un carnet?

Il m’arrive effectivement de noter des idées de ce genre. Je note aussi des choses que je voudrais dessiner. Il faut savoir qu’il y a des sujets que j’évite absolument. Je déteste dessiner des vélos, par exemple. Il y a quelques années, j’ai même réussi à faire une bande dessinée sur le Tour de France sans dessiner un seul vélo! Par contre, j’adore dessiner les animaux sauvages, avec des grandes griffes et des grandes dents. Du coup, quand je me dis que j’ai envie de dessiner un ours, par exemple, j’imagine tout simplement une histoire avec un ours.

J’ai l’impression que beaucoup d’autres auteurs de BD ont manifesté un grand enthousiasme par rapport à la sortie de ce premier album des « cavaliers de l’apocadispe ». Est-ce que vous avez l’impression d’être populaire auprès de vos confrères et consoeurs?

C’est dur à dire, parce que forcément il y a plein de copains dans le lot. Mais je l’espère, bien sûr, parce c’est toujours bien d’être aimé par des gens dont on apprécie aussi le boulot. Si c’est le cas, ça me rend super heureux.

Est-ce que vous travaillez également sur d’autres projets?

Pour l’instant, pas vraiment. Il y a forcément des choses que je voudrais faire, mais c’est surtout une question de temps. J’ai des idées qui traînent depuis des années, mais les journées sont trop courtes pour pouvoir les réaliser. Même en bossant le week-end et les soirées, ce ne serait pas possible, surtout quand on a un gamin de 2 ans à la maison. Personnellement, je pense que ce serait mieux d’avoir des semaines de 10 jours! (rires)

Et le deuxième album, il sort quand?

C’est encore un peu trop tôt pour le dire. J’ai ce qu’il faut pour faire un deuxième tome, mais il sortira quand le bon moment sera venu. En tout cas, en faisant le tri pour ce premier album, j’ai déjà une bonne idée de ce que je vais pouvoir mettre dans le prochain livre.

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