Une longueur de 3,59 mètres. (c) Esperluète.
Entre mille activités, dessiner pour elle, donner cours d'illustration à ses étudiants, animer des ateliers pour enfants (lire ici), voyager, lire, jardiner, cuisiner, Geneviève Casterman en a une très régulière et fort matinale, aller à la piscine. Là, elle enfile les longueurs, s'immerge dans l'eau, flotte sur le dos. Normal. Ce qu'elle fait aussi, c'est observer les autres nageurs, les écouter, fixer leurs traits et leurs attitudes dans son esprit, les bébés qui rient, les enfants qui jouent ou qui pleurent, les adultes qui posent sur le bord ou dans les couloirs, ceux qui déposent leurs soucis au vestiaire pour savourer un instant de liberté, les maîtres-nageurs qui encouragent ou terrifient, les nageurs qui papotent, discutent, se cognent, se posent, s'opposent.
Tout ce petit monde de la vie à la piscine municipale, Geneviève Casterman l'a couché de ses pinceaux et ses crayons dans le leporello tout juste sorti de la douche, le formidable "Se jeter à l'eau" (32 volets à déplier, Esperluète, collection "Accordéons"). Un format livre de poche, qui, déplié, avoue ses 3,59 m au mètre-ruban. Une immense fresque longiligne qui présente une seule piscine, de la petite à la grande profondeur, ses différents usagers et leurs accessoires. Quoique, parfois, l'eau de la piscine prenne le dessus sur le bord carrelé du bassin et nous emmène dans une immensité aquatique à tendance marine.
Déplié.
(c) Esperluète
On croise les divers usagers de la piscine aimablement croqués dans leurs apprentissages, jeux, défis, entraînements, exercices d'aquagym, retrouvailles, exploits.
On appréhende des micro-événements natatoires dans de mini-textes joliment tournés ("Les petits se cramponnent, les moyens s'abandonnent, les grands papillonnent" ou "Parfois un roi Dagobert a mis son maillot à l'envers").
On découvre aussi des souvenirs personnels de l'auteure-illustratrice nageuse qui éveilleront questions et réflexions ("Le stress et la fatigue n'entrent jamais avec moi. Ils m'attendent au vestiaire ou dans la cafétéria" ou "Si jamais on pleure dans l'eau où vont les sanglots?" ou "L'eau dissout mes colères, filtre mes peurs, épuise mes doutes, je nage").
En ligne de fond des pages qui ondulent, toute une série de verbes ayant un rapport avec la natation ou la piscine et en lien avec la portion de fresque, "patauger, faire trempette, avoir pied, inspirer, expirer, respirer, mettre sa tête sous l'eau..." Jusqu'à la conclusion, "Tout ce qui arrive à la piscine se passe aussi dans la vie..."
Le petit bain où on a pied. (c) Esperluète.
Il y a mille histoires à observer chez les baigneurs mouillés de Geneviève Casterman. Ou les secs, car il se passe aussi plein de choses au bord du grand bain. Chacun a sa manière de nager et cette diversité - plus de cent cinquante nageurs sont dessinés - enchante par sa neutralité, dans le respect et la tolérance. "Quitté le premier bassin où l'on évoluait sans peine de notre mer intérieure à la piscine municipale nager ne s'apprend pas sans mal" sont les mots qui ouvrent l'album.
Que se passe-t-il? L'eau monte. (c) Esperluète.
Quand la piscine devient la mer. (c) Esperluète.
Avec "Se jeter à l'eau", superbement dessiné, pensé et composé, Geneviève Casterman s'adresse aussi bien aux enfants qu'aux adultes. Ce qu'elle nous partage fait sourire et émeut quand ses mots ne résonnent pas profondément en nous. Une justesse qui s'accompagne aussi d'imagination comme lorsque la piscine s'échappe vers les grandes profondeurs de la mer, poissons, dauphins, méduses, crabes, pieuvre, algues, coraux et coffre au trésor y étant au rendez-vous pour faire la ronde avec les explorateurs en maillots et bonnets. Voilà un leporello charmant, tendre et joyeux pour tous les publics.
On arrive à l'autre bout du bassin, avec le plongeoir. (c) Esperluète
Geneviève Casterman apprécie le livre-accordéon. Il suffit de se souvenir des trois précédents qu'elle a publiés chez Esperluète, les superbes "Costa Belgica" (2008), "E 411" (2005) et "rue De Praetere" (1999, épuisé).