C’est peu dire que l’équipe de Bulle d’Encre affectionne SON Anthony Roux, dit Anton, qui a cofondé la structure, et à ses autres heures perdues rédige quelques scénarios bien sentis.
Le natif de l’Ardèche rajoute une nouvelle corde à son arc : le voici éditeur, avec une structure ad hoc dénommée Ant Editions qui en est à son lancement.
Chez Bulle d’Encre, on n’est pas peu fier de l’intéressé et du risque pris pour proposer de nouvelles choses dans le monde du 9e Art.
Le tout sur un vrai fond social, dans un contexte de crise pour les auteurs qui pointe chaque jour un peu plus son nez
Anton nous a accordé une nouvelle lichette de son agenda pour expliquer et faire le pojnt sur cette aventure éditoriale qu’il veut pouvoir se distinguer dans la mer éditoriale existant.
Histoire de parler des facettes de la vie d’éditeur, de « RIP – Une Histoire Mortelle », et de son autre projet qui secoue un peu Ulule « Vivre en Macronie T1 ».
Bulle d’Encre : Comment est né ton projet de créer une maison d’édition BD ?
Anton : Bonjour et merci de ton intérêt pour ce projet.
Je suis assez actif dans le domaine de la BD : d’abord lecteur, rédacteur web mais également auteur… Et j’ai pris conscience, petit à petit, que le monde de la BD n’allait pas bien pour ses autrices et ses auteurs. J’ai eu envie de proposer quelque chose pour essayer d’améliorer la situation, à ma petite échelle. J’ai ainsi monté cette structure éditoriale, en parfaite adéquation avec les valeurs que je défends.
BDE : Qui t’a aidé et t’aide dans cette aventure ?
A : C’est la question piège car j’ai peur d’oublier quelqu’un. Pour la peine, je ne citerai aucun nom, ça évitera les boulettes ! J’ai la chance de partager ma vie avec une personne compréhensive, qui me soutient dans la démarche. J’ai eu également quelques coups de main, conseils,… de personnes du milieu de la BD.
BDE : J’imagine qu’il y a eu des échanges avec des auteurs ?
A : Oui, forcément. au départ, avant le lancement du projet, j’en ai discuté avec des auteurs et l’un d’eux m’a mis en contact avec un expert-comptable, bien connu dans le monde de la BD, qui a travaillé sur mes statuts juridiques. En parallèle, j’ai préparé un contrat type et j’ai eu l’aide du SNAC BD pour en vérifier sa conformité et pour me donner un avis objectif dessus, notamment s’il allait bien dans les intérêts des auteurs et ne comportait pas de vices cachés.
BDE : Du coup comment se met en route l’aventure ?
A : Et bien une fois le projet lancé, j’ai eu le soutien de lectrices et de lecteurs, d’autrices et d’auteurs. Certains participent en relayant de l’info sur les réseaux sociaux, d’autres me passent des contacts presse, d’autres contribuent financièrement en pré-commandant le futur album. C’est chouette tout ça et chacun peut donner un coup de main en fonction de son temps, ses moyens, son engagement. Même si, en toute franchise, je trouve le milieu de la BD encore assez passif sur le sujet… Mine de rien, ça râle beaucoup sur les réseaux sociaux mais quand il y a des choses qui bougent, on a l’impression qu’il faille remuer ciel et terre pour avoir un tantinet de visibilité !
BDE : Pour pitcher ta maison d’édition, 1) en quoi elle sera aussi bien que les autres 2) en quoi elle sera suffisamment différente des autres éditeurs pour intéresser auteurs et public ?
A : Je ne vais pas la comparer aux autres maisons d’édition, elle sera tout simplement différente, notamment en termes de relation avec les auteurs et les lecteurs.
Il arrive que les autrices et les auteurs passent près d’une année sur un livre qui ne va pas peut-être pas sortir ou qui ne va pas avoir le soutien nécessaire pour trouver son public et il finira au pilon. J’ai souhaité faire autre chose.
Il y a un échange entre les auteurs et l’éditeur, sur le projet, les délais, les tarifs,… Je n’ai pas envie d’imposer quelque chose sans concertation. J’ai fait également le choix de ne pas verser d’avances sur droits mais de rémunérer les auteurs (scénariste, dessinateur et coloriste) à chaque planche réalisée. Ils peuvent ainsi maîtriser totalement leur planning (par exemple une commande à honorer) et savoir dès le début combien ils toucheront – au minimum – sur cet album, qu’il se vende ou non !
BDE : Si j’ai bien compris, ton modèle vise aussi à davantage intéresser progressivement les auteurs ?
A : Oui : les auteurs toucheront des droits d’auteurs sur chaque exemplaire vendu. Et j’insiste bien que cela concerne l’ensemble des auteurs, scénariste, dessinateur ou coloriste ! Au départ, on dépasse les 15% du prix de vente, puis, une fois l’album rentabilisé, on dépasse les 30%.
Forcément, comme l’argent ne pousse pas sur les arbres, j’ai mis en place une politique éditoriale préférant le qualitatif au quantitatif : à la fois pour financer l’album mais également pour le défendre dans la durée.
C’est d’ailleurs pour cela que je souhaite entretenir des liens avec le lectorat, en communiquant régulièrement auprès de lui et en l’incitant à participer à cette (je l’espère) belle aventure. Je préfère consacrer mon budget à une juste rémunération des auteurs et le soutien du public est indispensable pour faire vivre cette structure.
BDE : Peux-tu nous parler du premier album que ta maison d’édition compte éditer ? Comment se tissent les liens avec tes premiers auteurs ?
A : Le premier projet signé, qui finalement ne sera pas le premier album à sortir (hasard du calendrier), s’intitule RIP – Une Histoire Mortelle. Il s’agit d’un album recensant les morts insolites à travers l’Histoire. Je m’occupe du scénario sous le pseudo d’Anton, les dessins sont assurés par Nicolas Otéro et les couleurs par 1ver2anes. L’album va permettre de voyager dans le temps et dans différents pays, chaque personnage sera présenté sur une page, avec une narration qui se voudra pédagogique (on apprend plein de trucs !) et des cases de BD où l’on mettra l’accent sur l’humour. Bref, on s’amuse en apprenant.
Pour l’instant, avec les auteurs, nous ne nous sommes pas encore rencontrés physiquement mais on a déjà échangé par téléphone et par mail. La collaboration se passe bien et j’espère ne pas être un éditeur trop pénible.
Ce n’est finalement que récemment qu’un autre projet s’est intercalé avant RIP – Une Histoire Mortelle : Vivre en Macronie, réalisé par Allan Barte. C’est ça la flexibilité ! ^^
BDE : J’ai vu que tu comptais t’appuyer sur du numérique et un peu de gratuit. Explique-nous comment tu comptes faire. Pas de risque de se tirer une balle dans le pied ?
A : Je dois être un doux utopique mais je suis un farouche défenseur de la culture accessible à toutes et à tous. Je compte donc mettre l’album en lecture libre (les auteurs sont bien évidemment au courant et d’accord). Les lecteurs, s’ils aiment et s’ils ont envie de soutenir le projet, pourront acquérir l’album papier, faire un don et/ou s’offrir une dédicace, un dessin,…
Est-ce que ça va avoir un impact sur les ventes ? Je n’en suis même pas sûr. Je pense que la personne qui ne souhaite pas acheter l’album ne le fera pas : soit elle ne le lira pas, soit elle trouvera un autre biais pour le lire.
BDE : Quelques retours presses intéressants de médias en ligne sur ta maison d’édition. Comment se passe le lancement de la structure ? Quid des libraires/distributeurs ?
A : Ce n’est pas toujours évident.
Devoir parfois se heurter à l’administration et batailler pour obtenir un simple renseignement.
Découvrir de nouveaux postes de dépense, ici une taxe déguisée, là des frais bancaires, une hausse de ci, une hausse de ça,…
Avoir l’impression de prêcher dans le désert quand les algorithmes des réseaux sociaux jouent des tours ou quand je lance une grande campagne de presse, aussi bien auprès de la presse locale que les sites spécialisés et que j’ai l’impression de jeter une bouteille à la mer. C’est assez frustrant, d’autant plus que tout le monde s’accorde pour dire que le système actuel ne fonctionne plus pour les auteurs… Mais les habitudes ont la vie dure.
BDE : Du coup, tu as de la réserve, niveau moral ?
A : Je l’espère. Il faudrait que j’en parle à mon psy. Plus sérieusement, il en faudrait plus que ça pour me décourager et, même si je sais que ça va être difficile lors du lancement de l’album, je ne compte pas du tout laisser tomber, bien au contraire !
Je sais que je vais devoir me passer de distributeur au départ, cela impacterait trop le prix de l’album.
J’espère compter sur le soutien des libraires mais aussi des salons pour pouvoir faire connaître l’album à un plus grand nombre de lectrices et de lecteurs.
BDE : Quelles prochaines étapes pour ton projet ?
A : J’ai eu quelques changements d’ordre personnel qui ont un peu bousculé mon agenda (rien de grave, au contraire : une migration définitive en direction du soleil !) et ça m’a obligé à revoir ces prochaines étapes. Je continue la promo des futurs albums avec une campagne de précommandes (indispensables pour ajuster au mieux le premier tirage)… Et à la sortie des albums (prévue pour le début de l’année 2019), une nouvelle campagne de communication qui s’inscrira dans la durée (démarchage de salons, librairies,…). Y’a du boulot !
BDE : Comment s’est monté du coup le projet que tu lances avec Allan Barte ?
A : Ce n’était pas du tout prévu à la base ! Je suis le travail d’Allan Barte sur sa page Facebook, j’apprécie vraiment ses dessins d’actualité. Un jour, il a dit qu’il aimerait bien monter une page Tipeee pour ses dessins, je suis venu en parler avec lui et de fil en aiguille, le projet d’album est arrivé ! Je ne pensais pas du tout lancer un album en parallèle de RIP (il sortira même avant RIP!)
BDE : Quelle est ton action comme éditeur pour Allan, avec ses fans assez nombreux sur le web, pour ce qui est de la fabrication album et la prépration de sa diffusion et distribution, et aussi pour le crowdfunding avec Ulule ?
On a pas mal discuté sur ce projet et, pour résumer, je prends les risques pour que cet album puisse se faire. L’objectif n’est pas de faire un financement participatif qui pourrait réussir comme il pourrait échouer mais bien une campagne de préventes.
Ensuite, je vais m’occuper d’une grosse partie du suivi de fabrication puis de la logistique. De son côté, Allan recense et sélectionne tout ce qui va figurer dans cet album consacré à la première année du quinquennat de Macron. Si ça marche bien, on a prévu d’en faire 4 autres… Sauf s’il y a une révolution avant. ^_^.
Il aura aussi du boulot à l’issue de cette campagne : dédicaces et dessins originaux sont également commandés !
BDE : Un petit mot pour finir ?
A : Merci de m’avoir lu. J’espère que cette nouvelle approche du système éditorial vous donnera envie d’en savoir plus et, pourquoi pas, soutenir les projets qui vont être lancés. Si, par la suite, quelques bonnes pratiques pourraient se généraliser, ça serait vraiment bien !
Campagne de préventes Vivre en Macronie
Interview réalisée par Damian Leverd le 13 novembre 2018
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