Cette maxime est attribuée dans le roman à La Rochefoucauld, mais c'est d'abord chez Héraclite qu'on la retrouve. Voilà pour la petite info qui vous permettra de briller en société (enfin, si vos amis n'ont pas encore investi dans Google Home ou Alexa...), mais vous verrez que ce titre colle surtout parfaitement aux développements de notre roman du jour. Un an après "Le Jour du Chien", Patrick Bauwen met une nouvelle fois en scène Chris Kovak et Audrey Valenti dans "La Nuit de l'Ogre" (aux éditions Albin Michel). Un thriller dans la continuité du précédent (même si ce n'est pas à proprement parler, il vaut mieux les lire dans l'ordre pour comprendre les liens entre les personnages), où l'on retrouve l'obscurité des souterrains, mais aussi un élément nouveau : la mort. Vous me direz, dans un thriller, c'est attendu. Certes, mais là, elle tient un rôle, elle est un personnage central de l'intrigue, un protagoniste tout à fait particulier et, il faut bien le dire, très impressionnant...
Depuis les événements racontés dans "Le Jour du Chien", Chris Kovak n'est plus le même : il maigrit à vue d'oeil, s'habille systématiquement tout en noir, dort aussi mal qu'il se nourrit peu. Et puis, surtout, il se noie dans le travail. Médecin urgentiste dans un hôpital parisien, il multiplie les gardes, au mépris des règles et de sa santé.
Lors d'une de ses gardes supplémentaires, à l'issue d'une nuit étonnamment calme, il se fait mettre à la porte par Greta Van Grenn, la redoutable et redoutée surveillante générale, qui le renvoie chez lui se reposer comme on punirait un garnement ayant fait une bêtise en classe. Rechignant pour l'exemple, il finit par quitter les lieux.
Dehors, l'aube approche, il pleut, il fait froid... Paris s'éveille et risque d'être d'une sale humeur... Sur le parking, au moment de mettre le contact, quelqu'un ouvre la portière de sa voiture et s'installe sur le siège du passager, demandant de l'aide avant toute autre chose... Surprise et frissons garantis pour le docteur Kovak, jusque-là seulement escorté par ses idées noires...
L'étrange visiteuse est une jeune femme, une vingtaine d'années, guère plus, apparemment blessée à une main, visiblement aussi fatiguée que le médecin. Ensemble, ils font un bout de chemin dans Paris, encore déserte à cette heure-ci. Elle demande de l'aide, puis refuse d'expliquer sa situation, s'agace des questions de Kovak et finit par le planter sur un boulevard pour prendre le métro.
Mais, elle a laissé derrière elle son sac à dos. Lorsque le médecin le remarque, plus moyen de rattraper la jeune femme. Il espère trouver une adresse, un indice sur son identité afin de lui rendre ses affaires. Il ouvre le sac, humide de ce qui ressemble à du sang, et... tombe nez à nez, c'est le cas de le dire, avec une tête... Une tête barbotant dans un bocal en verre rempli de formol...
D'abord, ce sont ses réflexes de médecin qui remplacent l'effarement. Il observe cette tête, une tête de femme... Puis, il réalise qu'on a dû la voler quelque part et qu'il va falloir rendre des comptes... Pas génial, cette histoire. Il fait alors demi-tour et retourne à l'hôpital, car celle qui peut l'aider s'y trouve encore : Greta Van Grenn.
Elle est la première à qui il raconte cette improbable histoire, la fille qui monte dans la voiture, leur dialogue de sourds, la fuite, le sac, la tête... Comme prévu, Greta écoute, conseille à Kovak d'apporter le bocal à la police, puis, soudainement, change d'attitude, explique qu'elle va mener sa petite enquête et met Kovak à la porte pour la seconde fois de la journée...
Fin de l'histoire... Ou pas. Car tout cela trotte dans la tête du médecin qui, malgré la confiance qu'il a en Greta, ne peut s'empêcher de mener sa petite enquête de son côté. Mais, lorsqu'il reprend contact avec Greta, c'est pour découvrir une toute autre image de cette femme autoritaire et froide, capable de mener son service à la baguette. Et cette faiblesse va tout changer...
Comme souvent, avec les thrillers, lorsqu'il faut se lancer dans le résumé, la sempiternelle question est : où place-t-on le curseur ? Il faut se demander jusqu'où aller dans le récit, quels éléments donner et quels autres taire, comment émoustiller la curiosité sans trop en révéler... Un équilibre jamais évident, dans ce genre où chaque situation fait partie de l'intrigue.
Comme souvent aussi, le lecteur en sait plus que les personnages, grâce à l'oeil de ce narrateur qu'on dit omniscient, car il peut adopter tous les points de vue. On se retrouve au milieu du gué, car on sait plus de choses que les personnages, mais, et heureusement, on est encore loin de tout savoir, à commencer par l'objectif que fixe l'auteur, seul maître à bord du roman.
La suite, c'est en la lisant que vous la découvrirez, même si vous vous imaginez bien que l'enquête de Chris Kovak ne va pas suivre les chemins attendus. Décidément, ce brave urgentiste a le chic pour tomber sur des femmes qui apparaissent et disparaissent sans prévenir, c'était déjà le point de départ du "Jour du Chien", dans un contexte toutefois très différent.
Je n'ai pour le moment parler que de Chris Kovak, mais en préambule, j'ai évoqué Audrey Valenti, qu'il a rencontrée dans "Le Jour du Chien". Là encore, c'est un choix, je vais en dire assez peu sur elle, car elle apparaît dans "La Nuit de l'Ogre" dans un rôle différent. Et d'ailleurs, comme le lecteur, elle va devoir s'y habituer, en prendre la mesure.
Pour ceux qui se posaient la question sur la relation entre Kovak et Valenti à la fin du "Jour du Chien", la réponse est claire et nette : le médecin a coupé les ponts avec tout, sauf avec son boulot. Il a repris sa vie en changeant tout et Audrey ne fait pas partie de ce nouveau chapitre de son existence. Mais pas de cette intrigue, que ses fans se rassurent.
Pour cette deuxième enquête, Chris Kovak va suivre une piste qui va le ramener dans un univers qui lui est familier : celui des facultés de médecine, et en particulier celle de Paris, dont il est issu. Tout comme Patrick Bauwen, d'ailleurs. Eh oui, pour ceux qui en doutaient encore, il y a beaucoup de Bauwen dans Kovak.
Un véritable microcosme qui possède ses règles, ses codes, ses traditions, son rythme de vie de dingue, ses communautés, aussi, et c'est dans cet univers qui ne se livre pas facilement au profane, à celui qui n'appartient pas à cette catégorie d'étudiants. Il y a les choses amusantes, d'autres moins, des comportements de groupe qui font parfois sourire et d'autres fois, agacent, choquent, même.
Mais, au-delà des étudiants, c'est aussi l'occasion de découvrir des endroits qu'on ne connaît pas toujours (je pense au musée Dupuytren, évoqué plusieurs fois, mais qu'on ne peut plus visiter pour le moment) ou auxquels il est impossible d'accéder lorsqu'on n'est pas étudiant en médecine. On découvre même des lieux incroyables, comme la salle Cusco, à l'Hôtel-Dieu de Paris...
Ne croyez pas pour autant qu'on abandonne les souterrains et les zones obscures et sombres dans lesquels se déroulait une bonne partie de l'intrigue du "Jour du Chien". Non, tout cela est encore là, même dans ce que je viens d'évoquer, on plonge dans les profondeurs des bâtiments ou des sociétés, là où l'on ne risque pas de regarder le soleil en face...
Et d'ailleurs, si j'avais trouvé que "le Jour du Chien" reposait sur l'opposition constante du noir et du blanc, de la lumière et de l'obscurité, dans cette nouvelle enquête, force est de reconnaître que la lumière a sacrément perdu du terrain. Dès le titre, on est fixé : si l'on dit que "La Nuit de l'Ogre" est un roman sombre, ce n'est pas juste une question de tonalité, d'atmosphère...
La nuit et l'ombre tiennent une place très importante dans cette histoire, et dès le début du livre, d'ailleurs. Dès son exergue, en fait, puisque Patrick Bauwen annonce tout de suite la couleur, en y plaçant une citation tirée d'une chanson de Leonard Cohen, qu'on entend par la suite dans le cours de "La Nuit de l'Ogre".
Une noirceur dans laquelle le lecteur de thriller aime se couler, sinon il lirait autre chose, mais une noirceur également propice pour celui que l'on va suivre, et ce dès la couverture : ce mystérieux homme au chapeau melon à la présence pour le moins angoissante... Mais, là encore, énorme avantage du lecteur sur les personnages... Et sur ceux qui n'ont pas encore lu le livre, donc : chut !
Et puis, il y a la mort... Curieusement, vous noterez que, hormis la personne à qui appartenait la tête du bocal, le résumé qui ouvre ce billet n'évoque aucune mort, qu'elle soit naturelle ou violente. Bon, soyons francs, ça ne va pas durer et si on peut tout à fait imaginer un thriller sans victime, en misant sur la dimension psychologique, en revanche, la violence en sera toujours une composante.
On trouve d'ailleurs son lot de violence, dans "La Nuit de l'Ogre", celle directement reliée à l'intrigue, et d'autre, par exemple celle à laquelle Audrey va être confrontée simplement parce qu'elle est une femme. Le débat sur la violence dans la fiction est interminable, mais il faut aussi reconnaître quand elle s'inspire de la sinistre réalité, qu'elle touche les femmes ou les enfants.
Refermons la parenthèse, car je digresse et je laisse la mort de côté. Lui manquer de respect n'est guère prudent, alors intéressons-nous à elle, qui tient une place toute particulière dans ce roman. Pour moi, elle en est un des personnages, car sa présence est palpable, visible même. Et cette perception est l'un des enjeux de cette histoire.
Je marche sur des oeufs, je fais très attention à ce que je dis pour ne pas trop en dévoiler. Il y a tout un travail dans "La Nuit de l'Ogre" sur sa représentation, sur l'image de la mort. "Ne peut-on vraiment pas la regarder en face ?", semble nous lancer Patrick Bauwen, qui déplace ensuite ses personnages comme les pièces d'un jeu d'échecs afin de nous le démontrer.
Thriller, c'est ce qui fait frissonner, trembler. Le suspense, la mise en scène, les rebondissements, l'action, tout cela doit susciter ces émotions chez le lecteur. Mais, ici, Patrick Bauwen mise sur autre chose, sur un réalisme cru qui frappe l'esprit, justement parce que ces images ne sont pas le fruit de l'imagination, mais bien réelles.
J'ai évoqué le musée Dupuytren, plus haut, il donne déjà une idée de ce que je veux dire. Patrick Bauwen évoque par ailleurs dans le courant de son livre le travail d'Andres Serrano. Volontairement, je ne vais pas aller plus loin. Pour plusieurs raisons : la première, c'est qu'il vaut mieux s'y intéresser en cours de lecture, ou après, pour ne pas s'influencer.
La deuxième, c'est parce qu'il faut vous avertir de ne vous y intéresser que si vous avez le coeur bien accroché. Cet artiste a fait un travail qu'on peut tout à fait contester, qu'on peut rejeter, même, mais il faut reconnaître sa puissance incroyable. C'est extrêmement impressionnant, cela met terriblement mal à l'aise, n'y jetez un oeil que si vous êtes sûrs de vous.
Dans "La Nuit de l'Ogre", c'est donc au tabou de la mort que s'attaque l'auteur des "Fantômes d'Eden" ou de "Monster". Si l'on devait reprendre l'idée de contraste, comme pour "Le Jour du Chien", ce serait donc certainement la mort et la vie. La première, que l'on cherche de plus en plus, dans nos sociétés occidentales, à camoufler, la seconde que l'on voudrait célébrer sans cesse...
Encore une fois, Patrick Bauwen offre une lecture captivante, dérangeante, aussi, inquiétante et violente, portée par ce personnage mystérieux avec son chapeau melon et par un Chris Kovak lui-même assez flippant. Loin de l'image habituelle du héros (ce qu'il n'est de toute façon pas, sauf par son métier d'urgentiste, un vrai sacerdoce), c'est un personnage sombre et hanté que l'on découvre.
Ce qui s'est passé lors du "Jour du Chien" l'a plongé dans une profonde dépression dont il ne parvient à sortir que lorsqu'il bosse, jusqu'à l'épuisement. Pour le reste, on croirait avoir affaire à un mort-vivant, dont le comportement va jusqu'à effrayer les personnages qui font sa connaissance. Il est rare de voir un personnage central aussi mal en point, et ça fait mal au coeur.
Je me suis laissé happer par les différents fils narratifs de cette intrigue, apparemment très différents, dans le fond comme dans la forme, pour un résultat très bien ficelé et haletant jusqu'au bout. Il y aurait certainement encore beaucoup à dire, sur le rôles des policiers, par exemple, dont le chef, Batista, reste très méfiant à l'encontre de Chris Kovak.
Si "Le Jour du Chien" avait comme unité de lieu la ville de Paris, "La Nuit de l'Ogre" va vous faire voyager beaucoup plus loin, prenant des directions surprenantes, nous montrant des choses fascinantes et troublantes. Un roman qui pousse ses personnages dans leurs retranchements, pour attraper un tueur qui pourrait bien nous rester longtemps en mémoire...
Et l'on se réjouit de la perspective de retrouver Chris Kovak, puisque tout laisse penser qu'il y aura un troisième volet à cette série. On s'en réjouit, certes, même si on se demande dans quel état on le retrouvera et quelles horreurs il lui faudra encore affronter. Mais on s'en réjouit aussi parce qu'on se rapproche du moment où l'on découvrira la réponse à la question que l'on se pose depuis le début du "Jour du Chien"...
Dites, vous ne vous sentez pas observés, soudainement ?
Depuis les événements racontés dans "Le Jour du Chien", Chris Kovak n'est plus le même : il maigrit à vue d'oeil, s'habille systématiquement tout en noir, dort aussi mal qu'il se nourrit peu. Et puis, surtout, il se noie dans le travail. Médecin urgentiste dans un hôpital parisien, il multiplie les gardes, au mépris des règles et de sa santé.
Lors d'une de ses gardes supplémentaires, à l'issue d'une nuit étonnamment calme, il se fait mettre à la porte par Greta Van Grenn, la redoutable et redoutée surveillante générale, qui le renvoie chez lui se reposer comme on punirait un garnement ayant fait une bêtise en classe. Rechignant pour l'exemple, il finit par quitter les lieux.
Dehors, l'aube approche, il pleut, il fait froid... Paris s'éveille et risque d'être d'une sale humeur... Sur le parking, au moment de mettre le contact, quelqu'un ouvre la portière de sa voiture et s'installe sur le siège du passager, demandant de l'aide avant toute autre chose... Surprise et frissons garantis pour le docteur Kovak, jusque-là seulement escorté par ses idées noires...
L'étrange visiteuse est une jeune femme, une vingtaine d'années, guère plus, apparemment blessée à une main, visiblement aussi fatiguée que le médecin. Ensemble, ils font un bout de chemin dans Paris, encore déserte à cette heure-ci. Elle demande de l'aide, puis refuse d'expliquer sa situation, s'agace des questions de Kovak et finit par le planter sur un boulevard pour prendre le métro.
Mais, elle a laissé derrière elle son sac à dos. Lorsque le médecin le remarque, plus moyen de rattraper la jeune femme. Il espère trouver une adresse, un indice sur son identité afin de lui rendre ses affaires. Il ouvre le sac, humide de ce qui ressemble à du sang, et... tombe nez à nez, c'est le cas de le dire, avec une tête... Une tête barbotant dans un bocal en verre rempli de formol...
D'abord, ce sont ses réflexes de médecin qui remplacent l'effarement. Il observe cette tête, une tête de femme... Puis, il réalise qu'on a dû la voler quelque part et qu'il va falloir rendre des comptes... Pas génial, cette histoire. Il fait alors demi-tour et retourne à l'hôpital, car celle qui peut l'aider s'y trouve encore : Greta Van Grenn.
Elle est la première à qui il raconte cette improbable histoire, la fille qui monte dans la voiture, leur dialogue de sourds, la fuite, le sac, la tête... Comme prévu, Greta écoute, conseille à Kovak d'apporter le bocal à la police, puis, soudainement, change d'attitude, explique qu'elle va mener sa petite enquête et met Kovak à la porte pour la seconde fois de la journée...
Fin de l'histoire... Ou pas. Car tout cela trotte dans la tête du médecin qui, malgré la confiance qu'il a en Greta, ne peut s'empêcher de mener sa petite enquête de son côté. Mais, lorsqu'il reprend contact avec Greta, c'est pour découvrir une toute autre image de cette femme autoritaire et froide, capable de mener son service à la baguette. Et cette faiblesse va tout changer...
Comme souvent, avec les thrillers, lorsqu'il faut se lancer dans le résumé, la sempiternelle question est : où place-t-on le curseur ? Il faut se demander jusqu'où aller dans le récit, quels éléments donner et quels autres taire, comment émoustiller la curiosité sans trop en révéler... Un équilibre jamais évident, dans ce genre où chaque situation fait partie de l'intrigue.
Comme souvent aussi, le lecteur en sait plus que les personnages, grâce à l'oeil de ce narrateur qu'on dit omniscient, car il peut adopter tous les points de vue. On se retrouve au milieu du gué, car on sait plus de choses que les personnages, mais, et heureusement, on est encore loin de tout savoir, à commencer par l'objectif que fixe l'auteur, seul maître à bord du roman.
La suite, c'est en la lisant que vous la découvrirez, même si vous vous imaginez bien que l'enquête de Chris Kovak ne va pas suivre les chemins attendus. Décidément, ce brave urgentiste a le chic pour tomber sur des femmes qui apparaissent et disparaissent sans prévenir, c'était déjà le point de départ du "Jour du Chien", dans un contexte toutefois très différent.
Je n'ai pour le moment parler que de Chris Kovak, mais en préambule, j'ai évoqué Audrey Valenti, qu'il a rencontrée dans "Le Jour du Chien". Là encore, c'est un choix, je vais en dire assez peu sur elle, car elle apparaît dans "La Nuit de l'Ogre" dans un rôle différent. Et d'ailleurs, comme le lecteur, elle va devoir s'y habituer, en prendre la mesure.
Pour ceux qui se posaient la question sur la relation entre Kovak et Valenti à la fin du "Jour du Chien", la réponse est claire et nette : le médecin a coupé les ponts avec tout, sauf avec son boulot. Il a repris sa vie en changeant tout et Audrey ne fait pas partie de ce nouveau chapitre de son existence. Mais pas de cette intrigue, que ses fans se rassurent.
Pour cette deuxième enquête, Chris Kovak va suivre une piste qui va le ramener dans un univers qui lui est familier : celui des facultés de médecine, et en particulier celle de Paris, dont il est issu. Tout comme Patrick Bauwen, d'ailleurs. Eh oui, pour ceux qui en doutaient encore, il y a beaucoup de Bauwen dans Kovak.
Un véritable microcosme qui possède ses règles, ses codes, ses traditions, son rythme de vie de dingue, ses communautés, aussi, et c'est dans cet univers qui ne se livre pas facilement au profane, à celui qui n'appartient pas à cette catégorie d'étudiants. Il y a les choses amusantes, d'autres moins, des comportements de groupe qui font parfois sourire et d'autres fois, agacent, choquent, même.
Mais, au-delà des étudiants, c'est aussi l'occasion de découvrir des endroits qu'on ne connaît pas toujours (je pense au musée Dupuytren, évoqué plusieurs fois, mais qu'on ne peut plus visiter pour le moment) ou auxquels il est impossible d'accéder lorsqu'on n'est pas étudiant en médecine. On découvre même des lieux incroyables, comme la salle Cusco, à l'Hôtel-Dieu de Paris...
Ne croyez pas pour autant qu'on abandonne les souterrains et les zones obscures et sombres dans lesquels se déroulait une bonne partie de l'intrigue du "Jour du Chien". Non, tout cela est encore là, même dans ce que je viens d'évoquer, on plonge dans les profondeurs des bâtiments ou des sociétés, là où l'on ne risque pas de regarder le soleil en face...
Et d'ailleurs, si j'avais trouvé que "le Jour du Chien" reposait sur l'opposition constante du noir et du blanc, de la lumière et de l'obscurité, dans cette nouvelle enquête, force est de reconnaître que la lumière a sacrément perdu du terrain. Dès le titre, on est fixé : si l'on dit que "La Nuit de l'Ogre" est un roman sombre, ce n'est pas juste une question de tonalité, d'atmosphère...
La nuit et l'ombre tiennent une place très importante dans cette histoire, et dès le début du livre, d'ailleurs. Dès son exergue, en fait, puisque Patrick Bauwen annonce tout de suite la couleur, en y plaçant une citation tirée d'une chanson de Leonard Cohen, qu'on entend par la suite dans le cours de "La Nuit de l'Ogre".
Une noirceur dans laquelle le lecteur de thriller aime se couler, sinon il lirait autre chose, mais une noirceur également propice pour celui que l'on va suivre, et ce dès la couverture : ce mystérieux homme au chapeau melon à la présence pour le moins angoissante... Mais, là encore, énorme avantage du lecteur sur les personnages... Et sur ceux qui n'ont pas encore lu le livre, donc : chut !
Et puis, il y a la mort... Curieusement, vous noterez que, hormis la personne à qui appartenait la tête du bocal, le résumé qui ouvre ce billet n'évoque aucune mort, qu'elle soit naturelle ou violente. Bon, soyons francs, ça ne va pas durer et si on peut tout à fait imaginer un thriller sans victime, en misant sur la dimension psychologique, en revanche, la violence en sera toujours une composante.
On trouve d'ailleurs son lot de violence, dans "La Nuit de l'Ogre", celle directement reliée à l'intrigue, et d'autre, par exemple celle à laquelle Audrey va être confrontée simplement parce qu'elle est une femme. Le débat sur la violence dans la fiction est interminable, mais il faut aussi reconnaître quand elle s'inspire de la sinistre réalité, qu'elle touche les femmes ou les enfants.
Refermons la parenthèse, car je digresse et je laisse la mort de côté. Lui manquer de respect n'est guère prudent, alors intéressons-nous à elle, qui tient une place toute particulière dans ce roman. Pour moi, elle en est un des personnages, car sa présence est palpable, visible même. Et cette perception est l'un des enjeux de cette histoire.
Je marche sur des oeufs, je fais très attention à ce que je dis pour ne pas trop en dévoiler. Il y a tout un travail dans "La Nuit de l'Ogre" sur sa représentation, sur l'image de la mort. "Ne peut-on vraiment pas la regarder en face ?", semble nous lancer Patrick Bauwen, qui déplace ensuite ses personnages comme les pièces d'un jeu d'échecs afin de nous le démontrer.
Thriller, c'est ce qui fait frissonner, trembler. Le suspense, la mise en scène, les rebondissements, l'action, tout cela doit susciter ces émotions chez le lecteur. Mais, ici, Patrick Bauwen mise sur autre chose, sur un réalisme cru qui frappe l'esprit, justement parce que ces images ne sont pas le fruit de l'imagination, mais bien réelles.
J'ai évoqué le musée Dupuytren, plus haut, il donne déjà une idée de ce que je veux dire. Patrick Bauwen évoque par ailleurs dans le courant de son livre le travail d'Andres Serrano. Volontairement, je ne vais pas aller plus loin. Pour plusieurs raisons : la première, c'est qu'il vaut mieux s'y intéresser en cours de lecture, ou après, pour ne pas s'influencer.
La deuxième, c'est parce qu'il faut vous avertir de ne vous y intéresser que si vous avez le coeur bien accroché. Cet artiste a fait un travail qu'on peut tout à fait contester, qu'on peut rejeter, même, mais il faut reconnaître sa puissance incroyable. C'est extrêmement impressionnant, cela met terriblement mal à l'aise, n'y jetez un oeil que si vous êtes sûrs de vous.
Dans "La Nuit de l'Ogre", c'est donc au tabou de la mort que s'attaque l'auteur des "Fantômes d'Eden" ou de "Monster". Si l'on devait reprendre l'idée de contraste, comme pour "Le Jour du Chien", ce serait donc certainement la mort et la vie. La première, que l'on cherche de plus en plus, dans nos sociétés occidentales, à camoufler, la seconde que l'on voudrait célébrer sans cesse...
Encore une fois, Patrick Bauwen offre une lecture captivante, dérangeante, aussi, inquiétante et violente, portée par ce personnage mystérieux avec son chapeau melon et par un Chris Kovak lui-même assez flippant. Loin de l'image habituelle du héros (ce qu'il n'est de toute façon pas, sauf par son métier d'urgentiste, un vrai sacerdoce), c'est un personnage sombre et hanté que l'on découvre.
Ce qui s'est passé lors du "Jour du Chien" l'a plongé dans une profonde dépression dont il ne parvient à sortir que lorsqu'il bosse, jusqu'à l'épuisement. Pour le reste, on croirait avoir affaire à un mort-vivant, dont le comportement va jusqu'à effrayer les personnages qui font sa connaissance. Il est rare de voir un personnage central aussi mal en point, et ça fait mal au coeur.
Je me suis laissé happer par les différents fils narratifs de cette intrigue, apparemment très différents, dans le fond comme dans la forme, pour un résultat très bien ficelé et haletant jusqu'au bout. Il y aurait certainement encore beaucoup à dire, sur le rôles des policiers, par exemple, dont le chef, Batista, reste très méfiant à l'encontre de Chris Kovak.
Si "Le Jour du Chien" avait comme unité de lieu la ville de Paris, "La Nuit de l'Ogre" va vous faire voyager beaucoup plus loin, prenant des directions surprenantes, nous montrant des choses fascinantes et troublantes. Un roman qui pousse ses personnages dans leurs retranchements, pour attraper un tueur qui pourrait bien nous rester longtemps en mémoire...
Et l'on se réjouit de la perspective de retrouver Chris Kovak, puisque tout laisse penser qu'il y aura un troisième volet à cette série. On s'en réjouit, certes, même si on se demande dans quel état on le retrouvera et quelles horreurs il lui faudra encore affronter. Mais on s'en réjouit aussi parce qu'on se rapproche du moment où l'on découvrira la réponse à la question que l'on se pose depuis le début du "Jour du Chien"...
Dites, vous ne vous sentez pas observés, soudainement ?