Le pire et le meilleur des années 80 belges

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

Le Delhaize d'Alost en 1985.

Les années 1980 en Belgique, ce sont les gouvernements Martens successifs, la création d'Ecolo, la victoire de Sandra Kim à l'Eurovision, la visite du Pape Jean-Paul II, le drame du Heysel (39 morts)...
Les années 1980 en Belgique, ce sont bien entendu aussi les attaques des CCC (Cellules communistes combattantes) et celles, sanglantes, des Tueurs du Brabant qui ont terrorisé le pays entre 1982 et 1985, et toujours non élucidées, plus de trente ans après.
Qui ne se souvient pas de ces braquages d'enseignes Delhaize le plus souvent, tournant au carnage? Des ouvertures d'enquêtes, des réouvertures d'enquêtes, des réréouvertures d'enquêtes? Aujourd'hui, plusieurs victimes directes ou indirectes, ne sont plus de ce monde. Certains des tueurs non plus, peut-être. Peut-être, car ils n'ont jamais été clairement identifiés.
Aujourd'hui, en parallèle au beau et poignant film de Stijn Coninx, "Niet schieten" (Ne tirez pas), actuellement au cinéma, qui revient sur la tuerie du Delhaize d'Alost le 9 novembre 1985 et est tiré d'un livre éponyme, sort un nouveau livre de David Van de Steen qui le complète fort bien et le prolonge. Toujours avec la journaliste Annemie Bulté, l'ancien gamin de neuf ans miraculeusement rescapé publie "Survivant des Tueurs du Brabant" (traduit du néerlandais par Liliane Tackaert et Christian De Greef, Racine, 256 pages). Un récit-enquête qui s'imposait aux yeux des auteurs vu les nombreuses rencontres faites après le premier.
"Survivant des Tueurs du Brabant" est non seulement le récit de David qui échappa, à neuf ans, aux tueurs qui massacrèrent devant lui son père, sa mère et sa sœur, brisant sa famille, tuant son enfance, mais aussi celui des autres victimes de cette période noire toujours mystérieuse. Devenu adulte, mari et père, apaisé, David Van de Steen reprend la quête de son grand-père aujourd'hui décédé, "Petje", Albert Van den Abiel, cet homme extraordinaire qui ne baissa jamais les bras dans sa recherche infinie de la vérité. Enquêtant, confrontant, interpellant tous ceux qui semblaient parfois se taire. Des documents entreposés notamment dans une mallette en crocodile, devenue le témoin que le grand-père a passé à son petit-fils sur son lit de mort.
Avec la journaliste Annemie Bulté, David Van de Steen fournit un récit extrêmement fouillé de nombreux éléments liés aux Tueurs du Brabant depuis les années 80. Témoignages, enquêtes, pistes diverses s'offrent à nos yeux incrédules devant la manière dont police et gendarmerie ont alors travaillé. Mal. Très mal. Et guère mieux depuis, l'affaire n'étant toujours pas élucidée. Evidemment la question du pourquoi s'impose. Sans complotisme, les auteurs ne l'esquivent pas.
Si David Van de Steen écrit ici son histoire personnelle, il y intègre aussi toutes les autres victimes de ces drames, directes et indirectes, d'hier et d'aujourd'hui, et leurs proches, se faisant ainsi le porte-voix de ceux qu'on n'a jamais voulu entendre. Ça pique aux yeux et ça pique au cœur, mais il est nécessaire de le lire pour connaître cet aspect de la Belgique.
Pour feuilleter en ligne "Survivant des Tueurs du Brabant", c'est ici.

Mais les années 1980 en Belgique, ce sont aussi celles qui voient la naissance, en 1985, de l'émission télévisée "Strip-Tease", créée à la RTBF par Marco Lamensch et Jean Libon - elle passera aussi sur France 3 de 1992 à 2012 - et dont ils garderont la responsabilité éditoriale jusqu'en 2005. Qui n'en a pas gardé un ou plusieurs épisodes en mémoire? Ou au moins la voix off de Martine Matagne.
"Strip-tease, l'émission qui vous déshabille", voulait proposer des documentaires d'un genre nouveau où les commentateurs s'effaceraient pour laisser parler les protagonistes. Les sujets venaient essentiellement de la vie de tous les jours mais la manière de les aborder était on ne peut plus originale, choquant les uns, réjouissant tous les autres.
Si l'épisode sans doute le plus culte de l'émission tout aussi culte fut sans doute "La soucoupe et le perroquet" (1993) où on découvrait un certain Jean-Claude Ladrat en train de construire une soucoupe volante dans son jardin dans un reportage du journaliste Frédéric Siaud, il y en eut plus de huit cents autres!
Un chiffre qui paraît assez dingue mais que Marco Lamensch, un des créateurs de l'émission, nous détaille à l'envi dans le livre qu'il consacre à son ancien bébé, plus de trente ans ans après sa naissance, l'épatant recueil sous forme de miscellanées "Strip-Tease se déshabille" (préface de Philippe Geluck, Editions Chronique, 224 pages). Il a choisi une vingtaine de reportages dont il donne un résumé et un texto avant de les utiliser comme tremplins vers des sujets annexes, les sujets les plus fous, les portraits des divers intervenants, le film "Strip-Tease", etc.
Ça part dans tous les sens et c'est bien ça qui est intéressant et rigolo dans l'ouvrage. On n'aurait pas voulu d'une chronologie stricte. Par contre, sauter d'un sujet à l'autre, de la soucoupe initiale au photographe de charme final en passant par les portraits de petites filles modèles et de vieilles dames toujours vertes ou le difficile sujet de l'extrême-droite, et surtout y suivre Marco Lamensch sur les chemins de traverse à propos de l'émission qu'il ouvre pour nous est une riche expérience. Un seul regret, tout petit: que les dates des reportages ne soient pas mentionnées alors que chacun est rendu à son réalisateur.
De grand format, abondamment illustré, touffu sans être étouffant, "Strip-Tease se déshabille" est aussi un très beau retour en arrière sur ce que la société a été.

La soucoupe et le perroquet.