Quand Dieu boxait en amateur

Quand Dieu boxait en amateur
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En deux mots:
Un père forgeron, champion de France de boxe et interprète de la passion du Christ. Face à cet homme aux talents multiples, son fils est émerveillé. Jusqu’au jour où l’âge et la maladie viennent mettre à bas cette statue qu’il croyait indéboulonnable. L’incompréhension et la douleur viennent alors se mêler à l’admiration.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Mon père, ce héros

Après Fils du feu, un premier roman choc, Guy Boley rend hommage à son père à travers les épisodes marquants de sa vie. L’occasion aussi de prendre congé d’un monde ouvrier et d’une époque englouties par le «progrès».

Présentant Fils du feu, le premier roman de Guy Boley, j’écrivais: «un livre forgé avec puissance et élégance, avec rage et exaltation. C’est l’enfer la tête dans les étoiles.» Quand Dieu boxait en amateur est dans la droite ligne de cette découverte initiale et nous offre le portrait de René Boley, né le 3 mai 1926 à Besançon à l’hôpital du quartier, «entre les rails et les wagons, les tenders et les tampons, dans les panaches bleutés de leurs lourdes bouzines aux déchirants sifflets», décédé le 8 octobre 1999, «dans ce lieu ferroviaire où le destin la lui avait offerte. (…) Distance entre le lieu de sa naissance et celui de sa mort: trois étages.»
Entre son décès et sa mort, il y a aussi le vibrant hommage d’un fils qui a partagé sa vie de chanteur, d’acrobate et acteur, de forgeron et de boxeur. Et de chercheur de mots. Car le dictionnaire ne l’a jamais quitté: «C‘est son problème, les mots, à cause du père inconnu qui s’est fait écraser paf-entre-deux-wagons-comme-une-crêpe-le-pauvre, la mère contrainte d’aller faire des ménages chez les riches (bourgeois du centre-ville) et lui l’école au rabais, puis l’apprentissage chez le premier patron qu’on a trouvé forgeron-serrurier, on aurait pu tomber sur pire pour, hop, entrer dans la vie active à tout juste quatorze ans, l’âge légal, parce que ça fait un salaire de plus à la maison.» Le travail est dur, pénible, mais il n’est pas pour autant sujet à déprime. Au contraire, on essaie d’avancer, de progresser, de construire. «On ne choisit pas son enfance, on s’acclimate aux pièces du puzzle, on bricole son destin avec les outils qu’on a sous la main» Ainsi, avec sa belle voix pousse René à distraire ses amis les cheminots, à leur offrir des morceaux d’opérette. Mais il n’entend pas s’arrêter là: «La gloire l’attirait comme l’aimant la limaille».
Sa mère et son grand ami Pierre vont lui en donner l’opportunité. La première l’inscrit à la boxe pour l’aguerrir. Le 28 décembre 1952, il sera couronné champion de France et donnera naissance trois jours plus tard à son narrateur de fils. Le second, devenu curé, lui offre de un rôle d’apprenti comédien, «catégorie théâtre d’eau bénite» dans la représentation de la passion du Christ. On imagine bien ce que le garçon de trois ans peut ressentir en voyant son paternel en Jésus-Christ.
Mais cette route vers la gloire va soudain se briser. Car si les difficultés du quartier, l’arrivée des locomotives électriques et la mutation industrielle commencent à faire des dégâts, ce monde qui change n’est rien face à la douleur de perdre un enfant.
Le chagrin, l’incompréhension, la colère sourde s’exprimer alors avec violence.
Le roman a soudain basculé. Le fils découvre un autre père…
Guy Boley a le sens de la formule qui fait mouche. Son style, à nul autre pareil, nous offre un roman superbe, entre épopée et tragédie. Où l’humain à toute sa place, à savoir la première!
« Quand un monde s’écroule, tous ceux qui vivent dedans, au loin ou à côté, s’en retrouvent affectés. Et, s’ils n’en meurent pas, toujours ils perdent pied Vésuve ou Pompéi, chagrins d’amour ou deuils intempestifs, c’est du pareil au même, il ne reste que cendres, vapeur d’eau ou buée, tempêtes de cris et océans de larmes. Des vies en suspens, comme des draps humides qui ne sécheront jamais plus. Aussi ai-je fui au plus vite ce pays endeuillé, et quitté ce cocon qui n’en était plus un. »

Quand Dieu boxait en amateur
Guy Boley
Éditions Grasset
Roman
180 p., 17 €
EAN : 9782246818168
Paru le 29 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Besançon

Quand?
L’action se situe de 1926 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans une France rurale aujourd’hui oubliée, deux gamins passionnés par les lettres nouent, dans le secret des livres, une amitié solide. Le premier, orphelin de père, travaille comme forgeron depuis ses quatorze ans et vit avec une mère que la littérature effraie et qui, pour cette raison, le met tôt à la boxe. Il sera champion. Le second se tourne vers des écritures plus saintes et devient abbé de la paroisse. Mais jamais les deux anciens gamins ne se quittent. Aussi, lorsque l’abbé propose à son ami d’enfance d’interpréter le rôle de Jésus dans son adaptation de La Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, celui-ci accepte pour sacrer, sur le ring du théâtre, leur fraternité.
Ce boxeur atypique et forgeron flamboyant était le père du narrateur. Après sa mort, ce dernier décide de prendre la plume pour lui rendre sa couronne de gloire, tressée de lettres et de phrases splendides, en lui écrivant le grand roman qu’il mérite. Un uppercut littéraire.

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Guy Boley présente Quand dieu boxait en amateur © Production Hachette France

Les premières pages du livre
Besançon est une petite ville de l’est de la France qui, sous ses airs de ne pas y toucher, n’en est pas moins capitale de la Franche-Comté et de l’horlogerie, préfecture du Doubs, chef-lieu d’un arrondissement composé de treize cantons et de trois cent onze communes, ville natale de Victor Hugo et des frères Lumière mais aussi, excusez du peu, capitale de l’ancienne Séquanie, connue alors sous le nom latin de Vesontio, cité qui fut, en cette époque barbare, une ville pilote d’envergure puisqu’elle possédait déjà, bien avant l’invention du tourisme, un sens inné de l’hospitalité. Des hordes d’envahisseurs portant la hache, la masse d’arme ou l’espingole en guise de caméscope la visitaient régulièrement et laissaient, dans le gris-bleu de ses pierres, stigmatisés, gravés, burinés ou ciselés, quelques indices de leurs passages qui constituent ce que l’on nomme en une formule quelque peu pompeuse: la longue et douloureuse histoire de la cité.
Plaquée au creux d’une cuvette naturelle comme l’est une pâte feuilletée dans le fond d’un moule à tarte, la ville est close par un couvercle caparaçonné de toits ocre, aux tuiles serrées et aux cheminées hautes que maintiennent et soutiennent des maisons relativement basses habitées par d’honnêtes commerçants, des pharmaciens aisés plus ou moins bovarystes, de respectables docteurs et d’éminents notaires, sans omettre, bien sûr, militaires et curés qui occupaient jadis casernes et églises, leurs bâtisses imposantes obstruant encore, à ce jour, la partie la plus antique et dénommée romaine de la susdite cuvette.
Un fleuve en forme de lyre, le Doubs, sertit comme un bijou ce bouclier de toitures et d’âmes subséquemment nommé centre-ville, où grouillent, jours fériés et chômés, des badauds dont l’activité maîtresse consiste à arpenter les deux ou trois rues commerçantes et à s’extasier devant leurs luxuriantes vitrines, aquariums du désir frustré où des chaussures neuves, poissons de cuir inertes sur fond de velours rouge, se contemplent par paires dans le blanc des œillets.
Quelques ponts, dont les ingénieurs respectant le cahier des charges ont privilégié la robustesse au détriment de l’esthétique, permettent de traverser le fleuve et d’accéder aux quartiers périphériques qui, s’éloignant progressivement de l’épicentre, vont du plus huppé au plus populaire.
C’est précisément dans l’un de ces quartiers d’ultime catégorie que nous nous trouvons actuellement, un peu plus haut que la gare Viotte, entre la cité des Orchamps et la cité des Parcs, à la frontière du quartier des Chaprais et du dépôt, loin des vitrines et des godasses, loin des rupins et des bourgeois, des militaires et des vicaires, en bordure d’une espèce de no man’s land formé par un amas de traverses, de hangars et de rotondes où sont entreposées les locomotives qui ne roulent pas et celles qui ne roulent plus.
Au pied de ces ferrailles aux ronces entrelacées, s’élève un bâtiment trapu et court sur pattes qui fut jadis coquet et que tous appelaient: l’hôpital du quartier. On y faisait de tout, deuil et maternité. C’est là qu’il vit le jour, René Boley, mon père, le 3 mai 1926, entre les rails et les wagons, les tenders et les tampons, dans les panaches bleutés de leurs lourdes bouzines aux déchirants sifflets.
Ce quartier fut toute sa vie, sa seule mappemonde, sa scène de théâtre, son unique opéra. Il y grandit, s’y maria, procréa. Ne l’aurait pas quitté pour toutes les mers du globe et leurs îles enchantées.
Il y passa sa vie, sa vie de forgeron, y aima l’enclume, la boxe et l’opérette. Et le théâtre, par-dessus tout.

Fidèle à ses amours, attaché à sa terre, aux pierres et aux amis, aux fumées qui mouraient et aux rails qui rouillaient, il rendit l’âme, le 8 octobre 1999, dans ce lieu ferroviaire où le destin la lui avait offerte: l’hôpital du quartier. Ce dernier avait beaucoup vieilli ; mon père aussi ; ils étaient quittes.
Toujours est-il, pierres ou chair délabrées, qu’il mourut dans le même bâtiment que celui qui l’avait enfanté et, si l’on en croit les indications inscrites dans le livret d’état civil : presque à la même heure.
Distance entre le lieu de sa naissance et celui de sa mort: trois étages.

Extraits
« C‘est son problème, les mots, à cause du père inconnu qui s’est fait écraser paf-entre-deux-wagons-comme-une-crêpe-le-pauvre, la mère contrainte d’aller faire des ménages chez les riches (bourgeois du centre-ville) et lui l’école au rabais, puis l’apprentissage chez le premier patron qu’on a trouvé forgeron-serrurier, on aurait pu tomber sur pire pour, hop, entrer dans la vie active à tout juste quatorze ans, l’âge légal, parce que ça fait un salaire de plus à la maison. »

« Il y a donc la boxe et le linge qui sèche. Les escaliers cités, le cornet à pistons, le père en uniforme prisonnier dans son cadre. Le dictionnaire, bien sûr, ses mots échevelés dont nul ne sait user. Il y a aussi la forge, ses masses et son enclume, puis les rails du dépôt. Tableaux de son enfance qui serait triste et vide s’il n’existait l’humain pour lui donner une âme.
Et l’humain, pour René, se condense en un seul: Pierrot, l’ami des origines, le copain de toujours. Le frère incontournable. Ils sont tous deux semblables à Oreste et Pylade. Ou Castor et Pollux. Unis du berceau au tombeau. »

« Ils ont remarqué, ça derniers mois, que les locomotives à vapeur n’arrivaient plus ici comme des malades à rétablir mais comme des condamnées, à la queue leu leu, la chaine autour du cou, sans espoir de retour. Le dépôt, jadis brave dame compatissante, ne fait plus fonction d’hôpital, de centre de soins ou maison de repos: c’est devenu un lieu d’équarrissage où la ferraille hurle sous la morsure du chalumeau. C’en sera bientôt fini de ces bouzines asthmatiques, de ces masses de fonte affectueuses, bonnes grosses mères fessues à qui des pelletées de charbon mettaient le feu au cul. La fée électricité promène désormais ses volts au cœur des caténaires, le charbon ne brûle plus, les fumées disparaissent, le ciel est bien trop bleu. »

À propos de l’auteur
Guy Boley est né en 1952. Après avoir fait mille métiers (ouvrier, chanteur des rues, cracheur de feu, directeur de cirque, funambule, chauffeur de bus, dramaturge pour des compagnies de danses et de théâtre) il a publié un premier roman, Fils du feu (Grasset, 2016) lauréat de sept prix littéraires (grand prix SGDL du premier roman, prix Georges Brassens, prix Millepages, prix Alain-Fournier, prix Françoise Sagan, prix (du métro) Goncourt, prix Québec-France Marie-Claire Blais). (Source : Éditions Grasset)

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