Même le scorpion pleure

Par Denis Arnoud @denisarnoud


Même le scorpion pleure de Guy Rechenmann aux Éditions Cairn
Depuis son installation sur le Bassin d’Arcachon, Augustin était devenu un ami proche, un père spirituel pour Anselme Viloc. Aujourd’hui, notre flic de papier enterre celui qu’il aimait tant.
Augustin, marin pêcheur retraité, force de la nature à la santé insolente, est mort subitement. Rupture d’anévrisme. Il n’aura pas profité longtemps de sa retraite. Sa maison, le chalet Rousseau, Augustin l’avait vendu en viager à un jeune homme qu’il appréciait. Il était ravi que celui-ci prenne sa suite, même s’il n’était pas pressé de quitter ce monde. Le viager aura été de courte durée.
À l’enterrement de son ami, Anselme est choqué par l’attitude du nouveau propriétaire qui dissimule mal sa satisfaction et son sourire. Les sens du policier se mettent en alerte. Il soupçonne quelque chose de louche. Il fait part de ses doutes à son commissaire qui lui rit au nez. La mort est tout ce qu’il y a de plus naturel. Comment tuer quelqu’un par rupture d’anévrisme. Anselme ne lâche pas le morceau, il fait confiance à son intuition.
Le décès de ce père de substitution ravive en Anselme, sa blessure originelle. Il ignore tout de sa naissance, de sa famille. Cette fois, il ne peut plus repousser cette enquête très personnelle. Il a attendu trop longtemps. Il est temps pour lui de découvrir ses racines. Cette recherche est nécessaire à son équilibre. Mais pour cela, il a besoin de vacances.
« La recherche de l’équilibre, ce maître mot qui, ajoutée à la volatilité de la vie, m’ordonne d’aller fouiller à nouveau  au risque de rencontrer des monstres ou peut-être des fantômes. La quête de mon passé n’est possible qu’en période de repos. La perte d’Augustin, un père spirituel, me renvoie vers mon père naturel. Il est l’heure. Il me faut du calme, mais aussi du courage. On habille toujours son ignorance par son imaginaire, on l’embellit. J’ai attendu longtemps. Toute ma vie n’a été faite que de hauts et de bas, oh, des petits hauts et des bas bien profonds. Maintenant ça y est, le regard des autres ne m’effraie plus, je suis prêt à sauter dans le vide. J’ai un parachute accroché dans le dos, je le sais et le temps n’est plus un problème. Il faut que je sache. Winston Churchill disait : « Un peuple qui oublie son passé n’a pas d’avenir », idem pour l’homme. »
Les démarches administratives d’Anselme pour découvrir ses origines, ne donnent rien. Les documents relatifs à sa naissance semblent s’être évaporés. Il doit trouver un autre moyen. Ses doutes concernant le décès d’Augustin le titillent. Il s’en ouvre à David, son ami, le patron du restaurant L’Escale où il a ses habitudes. Celui-ci lui révèle un cas similaire de viager express, cette information confirme à Anselme son intuition. Il faut enquêter. Il met Jérémy, son adjoint, sur le coup.
David recommande à Anselme de s’adresser à un astrologue pour le guider dans sa recherche sur ses origines. Le thème astral qui lui fait l’homme de l’art est bluffant mais ne répond pas à toutes les questions, c’est une bonne base de travail. L’astrologue adresse Anselme à un thérapeute qui pourra l’aider par un travail de régression à résoudre le mystère de ses origines. Anselme est persuadé que la résolution de son enquête personnel conditionne celle des viagers. Il en a l’intuition.
De ces deux enquêtes menées en parallèle, je ne vous en dirai pas plus. À vous de mettre vos pas dans ceux d’Anselme.
J’ai retrouvé avec plaisir Anselme Viloc, le flic de papier ainsi que sa tribu : sa femme, sa fille, Jérémy son adjoint, David son ami, et Lilly, cette petite fille au Q.I. de 180 rencontrée dans le premier volet des aventures d’Anselme, qui sait si bien secouer le policier.
Ici, pas de coups de feu à tous les coins de rues, pas de courses poursuites interminables, pas d’hémoglobine. Anselme Viloc est un observateur, un contemplatif. Oh, bien sûr il passe du temps sur le terrain, mais ses enquêtes il les résout en mettant les pièces du puzzle en ordre, bien à l’aise dans son transat face au Bassin d’Arcachon. Heureusement qu’il a Lilly pour le pousser dans ses retranchements, pour le forcer à agir. De contemplatif il devient contemplactif.
J’aime les romans policiers de Guy Rechenmann, tout en finesse, tout en introspection, en monologues intérieurs. Des romans pleins de poésie et de psychologie. Même le scorpion pleure est le quatrième volet des enquêtes d’Anselme Viloc. Il peut se lire indépendamment des autres mais je vous recommande fortement toute la série.
Monsieur Rechenmann, je ne vous remercie pas, la lecture de votre roman m’a fait veiller jusqu’à quatre heures du matin !