Vintage and Badass – Le cinéma de Tyler Cross (Fabien Nury – Brüno – Editions Dargaud)
Avec son nom qui claque et ses airs de dur à cuire désabusé, Tyler Cross est l’un des héros de BD les plus réussis de ces dernières années. En trois albums seulement (« Black Rock », « Angola » et « Miami »), ce gangster sans morale et sans pitié est parvenu à remettre au goût du jour le genre noir. Découpage en cinémascope, personnages vicieux, dialogues percutants: tous les ingrédients sont là! Véritable trait d’union entre la BD et le cinéma, la série « Tyler Cross » puise l’essentiel de ses intrigues, son ambiance et son imagerie dans les films noirs produits par Hollywood dans les années 40, 50 et 60, notamment « High Sierra » avec Humphrey Bogart, « Cool Hand Luke » avec Paul Newman ou « Tony Rome » avec Frank Sinatra. Mais en réalité, ses influences cinématographiques sont bien plus larges que ça. C’est du moins ce qu’on découvre dans « Vintage and Badass », un étonnant ouvrage dans lequel Fabien Nury et Brüno, les deux auteurs de « Tyler Cross », répertorient avec passion tous les films qui ont été pour eux une source d’inspiration pour la création de leur gangster de papier. « Nous sommes pire que des copieurs: des pillards invétérés », souligne avec humour le scénariste Fabien Nury. « Nous multiplions les rapines partout où l’on passe entre deux siestes. Il semble même qu’à force, ce soit devenu un réflexe inconscient… Non coupable, monsieur le juge. »
Si vous aimez les films noirs, vous allez en avoir pour votre argent avec « Vintage and Badass ». Ce gros livre de près de 200 pages passe en revue plus de 70 films ayant nourri la série « Tyler Cross » d’une manière ou d’une autre. Chacun de ces longs métrages a droit à une fiche explicative rédigée par Fabien Nury et à des illustrations somptueuses réalisées par Brüno dans son style graphique très caractéristique. Répertoriant leurs influences de manière aussi méthodique qu’un tueur en série avec ses victimes, Nury et Brüno font la distinction entre une poignée de films qu’ils appellent « le puits », c’est-à-dire leurs sources directes (« chaque Tyler Cross puise une large partie de son imagerie dans ces films », écrit Nury), et une deuxième sélection plus large baptisée « le territoire ». Autrement dit, des films dont l’influence sur leurs BD est peut-être moins directe, mais tout de même bien réelle. Dans cette deuxième sélection, Nury et Brüno séparent les films américains en noir et blanc, les films américains en couleurs, les films britanniques, les films français, les films italiens et les films asiatiques. Ils gardent même quelques pages pour des films plus récents (David Cronenberg, David Fincher ou les frères Coen, par exemple), car ils les considèrent comme des dignes héritiers de leurs illustres aînés. Au final, cela donne un ouvrage réellement jouissif. Tout d’abord, parce que c’est rare de voir des auteurs citer de manière aussi précise leurs sources d’inspiration. Ensuite, parce qu’il faut bien avouer que la plupart des films évoqués par « Vintage and Badass » sont aujourd’hui tombés dans l’oubli. Pour les cinéphiles moins avertis, ce livre est donc une magnifique occasion de découvrir (ou redécouvrir) d’authentiques pépites du 7ème art. Merci pour la leçon de cinéma, messieurs Nury et Brüno!