Françoise en dernier · Daniel Grenier

Françoise en dernier · Daniel Grenier

Une semaine livresque passée sous le signe de l’enchantement avec le dernier roman de Daniel Grenier, Françoise en dernier

D’abord, je vais mettre les points sur les i et régler une affaire, une affaire épineuse au sujet du milieu littéraire québécois. Le Québec est petit, le milieu du livre aussi. Le consensus est de mise (même si je ne vois pas pourquoi il devrait l’être). Il n’est jamais de bon ton de dire du mal d’un livre. On flatte dans le sens du poil, mais derrière les portes, ça critique allègrement. Les fois où que j’ai émis un avis négatif – et personnel, qui n’engage que moi – sur une oeuvre littéraire québécoise, je me suis souvent faite ramasser dans le tournant, le plus souvent en message privé. Chacun a droit à son opinion. Tout se dit. Il suffit d’avoir les bonnes manières pour le dire. Les goûts, les affinités et les sensibilités, ça ne se discutent pas. Tout ça pour dire que l’hypocrisie est souvent proche du consensus. 


Françoise en dernier · Daniel GrenierCe long détour pour pas grand-chose parce que j’ai adoré Françoise en dernier. Sincèrement! 

J’ai découvert Daniel Grenier avec L’année la plus longue, paru en 2015. Ce roman était arrivé comme un vent de fraîcheur dans mon paysage littéraire grisailleux. J’attendais sa Françoise avec impatience. Tous les ingrédients étaient réunis pour que cette histoire me plaise. Et ce quelle m’a plu!

Françoise en dernier, donc. Je n’ai pas compris le «en dernier» du titre et je n’en ferais aucun cas. Un titre, c’est juste un titre. Mais la Françoise, par contre, elle, elle m’a marquée! Ça se passe à l’été 1997, en banlieue de Montréal. Françoise a 17 ans. Intrépide, aventurière, elle va où le vent la porte. Elle vole pour le fun, accumule des petits riens, lit des biographies de gens oubliés. Elle tague des wagons de train, y laissant sa marque. Elle part souvent, aussi. Cette Boucles d’or moderne squatte des maisons vidées de leurs propriétaires partis en vacances. Au bout de quelques jours, elle rentre chez elle pour le souper, comme si de rien n’était. Le jour où, dans un salon de coiffure, elle tombe par hasard sur un vieil exemplaire du magazine Life, sa vie prend une nouvelle tournure. Helen Klaben, qui apparaît en couverture, donnera à Françoise l’envie de déployer ses ailes et de prendre son envol. En jeune hobo, Françoise part à pied, sur le pouce, en bus, en train, en char, direction le Yukon, où elle se rapprochera des traces laissées par son idole. 
«Je te connais assez bien maintenant pour savoir que, sans cette histoire-là, t’es pas vraiment toi-même.» 
Françoise en dernier · Daniel GrenierSi Françoise est un personnage marquant et attachant, celui d’Helen Klaben l’est tout autant. Helen Klaben a réellement existé. Elle est décédée au début du mois de décembre à Palo Alto, en Californie, à l’âge de 76 ans. Cette jeune Brooklynoise de 21 ans est partie sur un coup de tête, en Alaska, à l’hiver 1963. Elle ne s’est jamais rendue à destination. L’avion piloté par Ralph Flores, dans lequel elle prenait place, a crashé en pleine forêt, au Yukon. Ralph et Helen ont passé 49 neufs jours, emmitouflés dans des températures avoisinant les -40, buvant de la neige fondue et mangeant du dentifrice après avoir épuisé leurs réserves. C’est un miracle qu’ils aient survécu. 
Daniel Greniernoue son intrigue avec un doigté de maître, greffant habillement le fait divers et la fiction. L’histoire véridique d’Helen, mêlée à celle de la trépidante Françoise, m’a fascinée. Ici, aucune ado désespérée (et désespérante) qui se gratte le nombril et se morfond de l’Amour, personnage cher aux jeunes auteur(e)s québécoi(se)s. Françoise est un mouton noir indépendant. Son audace et sa quête de liberté sont contagieuses. Cette virée du continent nord-américain, du Tennessee au Yukon, en passant par l’Iowa, donne envie de lever les feutres et de partir à l’aventure. Il y a bien quelques fils blancs qui dépassent ici et là, quelques scènes arrangées par le gars des vues, mais sans être naïve, j’ai voulu n’y voir que du feu, et je n’y ai donc vu que du feu. 
Un roman de la route à la sauce féminine, ça fait un bien fou à lire. Un roman enlevant, défrisant, brillamment orchestré, porté par un style vigoureux.Ce roman, c’est une grosse bouffée d’air frais revigorante. Je peux dores et déjà affirmer que Françoise en dernier figurera dans mon top 5 québécois de l’année. Rien que ça!
Françoise en dernier, Daniel Grenier, Le Quartanier, 224 pages, 2018.
Il est possible de lire un extrait du roman sur le site de la maison.